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Après les émeutes des communes, on en est aux révoltes des classes
moyennes. La tendance est aujourd'hui à faire grève: dans les écoles, les
radios publiques, dans la Santé et même dans les entreprises chinoises. Si on
peut s'enrichir à Sonatrach, par la ruse et les fils, les Algériens se disent
qu'ils peuvent augmenter le salaire par la force et la non-violence violente.
Le chroniqueur l'avait annoncé du haut de son temple ambulant: le premier parti
d'opposition au régime sera celui de la fiche de paie. Les arguments sont là,
sans Aït Ahmed, le RND, la kasma ou la pétition pour la démocratie: d'abord les
Algériens mangent mal, ensuite il y a trop d'argent pour les trottoirs et pour
les bureaux d'études étrangers, ensuite le pays est un veau mort dont la viande
appartiendra au plus rapide, ensuite l'effort est le chemin le moins court pour
gagner plus. A la fin, il faut aller chercher son salaire au lieu d'attendre
qu'il vous vienne à pied, la fin du mois. D'ailleurs, les tensions sociales ont
longtemps été mises en sursis par trois produits anesthésiants: le long
après-terrorisme, l'effet Bouteflika et l'équipe nationale 2009. Des trois, il
ne reste plus rien que des os à faire bouillir dans de l'eau pour faire croire
que c'est une soupe populaire. Du coup, réveillé par le ventre, le peuple s'en
va chercher plus en expliquant qu'il va faire moins. C'est le mécanisme de la
grève et de sa menace dans une économie saine qui fonctionne sur la base de la
production, de la productivité et de la nécessité pour un Etat d'avoir un
peuple qui travaille. Et c'est là que l'on débouche sur l'exception: l'Algérie
est un régime politique qui n'a pas besoin que son peuple travaille. La
richesse, ce n'est pas le peuple qui l'assure mais le pipe-line. Du coup, les
luttes sociales sont faussées en Algérie: le Régime les prend pour des tensions
et des manipulations politiques déstabilisatrices de son ordre policier, les
travailleurs s'y associent mus par la colère de ne pas avoir droit à une rente
si grosse.
En termes
mathématiques, l'équation est la même qu'en 1962, sauf que là, le Peuple est
moins naïf, plus nombreux, moins apeuré par la matraque et n'ayant plus rien à
attendre de l'Indépendance qui est dans le rétroviseur et pas derrière le
pare-brise. Et du coup, le régime se comporte comme s'il était en 62: il offre
des colis alimentaires, puis menace, puis frappe, puis explique qu'il s'agit de
la main étrangère et du FFS ou de Hassan II. Il recourt à la Justice pour invalider
la Nature et ferme la RTA, ses journaux publics et pourchasse les meneurs. Et
du coup, on arrive à cette conclusion sur une myopie généralisée: le Régime ne
pense même pas qu'il lui faut réviser ses protocoles de traitement des tensions
sociales. Il est encore socialiste, il possède encore la RTA et le peuple est
encore un Peuple qu'il fait manger ou danser, selon ses croyances. Au mieux,
face au pluri-syndicalisme, il va user des mêmes méthodes que pour le
pluralisme défunt: autoriser 2.567 syndicats, manipuler, laisser le peuple se
moquer de lui-même jusqu'à avoir la nostalgie du Soug El Fellah puis frapper
fort en donnant un peu. Cela a «marché» durant les années 90, mais cela risque
de ne pas fonctionner pour 2010. La raison ? Pour les tensions sociales, c'est
simple: on est militant dès qu'on a faim, on devient actif dès les dix derniers
jours du mois, dans chaque maison il y a la kasma de la cuisine et il suffit
d'aller au marché pour participer à un congrès extraordinaire. Pire encore, la
grève est devenue un exercice nationalisé: même Bouteflika recourt, d'après ce
que l'on dit, à des sortes de grèves de signatures lorsque les listes des
nominations ne lui plaisent pas ou lorsqu'il a envie de mettre ses employeurs
sous pression. Tout comme le Peuple.