Encore une fois la même rumeur: il est mort. Qui ?
Quelqu'un. On ne sait pas qui, mais tout le monde a son nom. Depuis peu, à la
place d'une vie politique, on a la mode de la mort politique. Le Général Smain,
il y a quelques mois, puis le patron de la DGSN, puis l'ambassadeur Belkheir,
puis le Général qui en a lu l'oraison funèbre. Puis. Tellement et si bien que
la seule formation politique que l'on voit se rassembler, sans se déchirer ni
se faire redresser, est celle des enterrements et des condoléances officielles.
Tout le monde en fait, les uns aux autres et en boucle. Des entrepreneurs au
ministre de leur secteur et qui vient de perdre sa mère, des ministres à leurs
chefs et des chefs à leurs familles. La raison ? Il ne reste plus que cela à
vivre : la mort des autres. Le cimetière est le dernier espace politique où
l'on doit se montrer, s'y cacher ou parler ou même sourire et se retrouver, se
regrouper ou se réconcilier. Comme les martyrs d'autrefois, les morts
d'aujourd'hui ont droit à leur culte. Du coup, après la liste ouverte, les
Algériens se sont mis à attendre la suite, puis l'ont fabriquée: avec une tombe
creusée et des rumeurs à la pelle, il ne manquait plus que le défunt pour
relancer la vie (politique) par la mort (d'un politique). Et du coup, les
Algériens se sont tournés vers leur tête de liste: l'homme qui a fêté son
anniversaire il y a trois jours exactement. Car chez nous, dès qu'un président
ne préside pas l'ENTV, un conseil des ministres ou un repas avec un
ambassadeur, c'est qu'il est mort. Un curieux sort jeté au président de la
RADP, venu pour, dit-il, redonner vie à ce pays qui lui redonnera une seconde
mort permanente après celle de 1979. Bouteflika étant le seul président au monde
à devoir prouver qu'il est en vie lorsque ce sont ses frères qui tombent
malades. Et nous sommes le seul peuple au monde à attendre la mort d'un
président comme on attend, ailleurs, l'annonce des vrais résultats d'une
élection pour Obama. Et c'est là donc qu'on y arrive aujourd'hui, depuis
quelques jours : une rumeur sur un vol vers la Suisse, sans atterrissage
possible sauf dans l'au-delà. Et dans un pays où la connexion est défectueuse
entre le peuple et son régime, le blog mortuaire a pris une telle ampleur que
tous les Algériens attendent, aujourd'hui, ce fameux jeudi de l'après match
pour savoir ce qui s'est passé. Est-ce Bouteflika qui ne reviendra plus ou l'un
de ses proches ? Bien sûr, posée ainsi, la question a quelque chose d'indécent
et ressemble à une rhétorique de charognard mais il en est ainsi en politique :
quand on veut avoir la vie d'un peuple, le peuple veut tout savoir de votre
vie. Reste enfin l'analyse clinique : comment s'en sortir de ce cercle où le
seul évènement est le néant ? Comment renouer avec la vie sans y faire des
trous ? Pourquoi nous n'avons plus que l'espoir mécanique des fossoyeurs ?