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Les marchés ont
été soulagés d'apprendre que Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale
américaine (Fed), avait été reconduit à son poste par le Sénat. C'était la
décision la plus appropriée du point de vue de la stabilité financière.
Un changement au sommet aurait introduit un doute quant à la détermination de la Fed à répondre de manière décisive à la crise ? voire un doute quant à son engagement à long terme à maîtriser l'inflation. L'action menée par Bernanke ces deux dernières années a été largement appréciée et une bagarre politique sans fin pour le contrôle de la politique monétaire américaine était la dernière chose dont le monde avait besoin, dans une période qui reste très délicate pour l'économie mondiale. Pourtant, trente sénateurs ont voté contre la reconduction de Bernanke, un choix qui pourrait être en partie dû à de la politique partisane. Mais Bernanke a été nommé par le président George W. Bush, et d'autres voix, à la fois démocrates et indépendantes, se sont élevées contre le renouvellement de son mandat. L'opposition à Bernanke s'explique en partie par son action avant la crise économique. N'était-il pas un membre pur et dur du « consensus Greenspan », qui voulait que la Fed n'avait pas à être responsable des bulles, qu'elles soient spéculatives ou liées au crédit, et qu'elle devait se contenter de réparer les pots cassés ? Bernanke était également favorable à un taux d'intérêt faible, adopté après l'éclatement de la bulle Internet et qui, du point de vue de plusieurs économistes a été maintenu trop longtemps, alimentant l'expansion économique et contribuant à la récession. En fait, il défendait très récemment encore cette position, alors même que de nombreux autres banquiers centraux ont tacitement ou expressément accepté l'idée qu'une nouvelle approche était nécessaire en ce qui concerne le crédit et le prix des actifs. Ces prises de position du président de la Fed sont sans doute à l'origine des réticences de plusieurs analystes à l'égard de Bernanke. Les arguments en sa défaveur se sont par la suite trouvés mêlés à une critique plus générale de l'action de la Fed. Aurait-elle du être autorisée à renflouer l'assureur géant AIG, à un prix aussi élevé, sans l'approbation du Congrès américain ? Comment se fait-il que le bilan de la Fed puisse cumuler les dettes, engageant potentiellement des milliards de dollars des contribuables, sans que le Congrès ait son mot à dire, si ce n'est longtemps après les faits ? Ces questions ont donné lieu à des appels en faveur d'audits de l'action de la Fed et d'un plus grand contrôle de son processus de décision. Le congressiste Ron Paul, qui est à la tête de ces attaques contre la Fed, n'est plus aussi isolé qu'il l'était il y a deux ans. Nous sommes en territoire dangereux. Toute suggestion visant à soumettre les décisions de politique monétaire à un contrôle politique aurait pour effet d'affoler les marchés. La plupart des économies avancées ont conclu que l'indépendance des banques centrales était une bonne chose. Les politiciens conviennent du fait, quand ils pensent de manière rationnelle (ça arrive), qu'on ne peut pas leur faire confiance avec l'arme du taux d'intérêt, en particulier en période électorale. Ils l'ont donc confiée aux technocrates, en espérant qu'eux sauront faire des choix rationnels pour le bénéfice du plus grand nombre. Je partage ce point de vue. Un problème se pose toutefois, qui a été souligné par la crise. Les arguments qui s'appliquent dans le cas des taux d'intérêt ne sont plus aussi pertinents dès lors qu'on examine les autres fonctions des banques centrales. Si une banque centrale engage des fonds publics pour soutenir une entreprise privée, même en justifiant son action par le risque systémique, d'autres critères de responsabilité ne sont-ils pas nécessaires ? Et si elle est un organisme institutionnel de surveillance directe, ainsi que le prêteur de dernier ressors, d'autres considérations encore s'imposent. Les instances de surveillance prennent des décisions qui ont pour effet d'influer sur les retours sur investissement privés et les droits de propriété. Elles doivent fonctionner dans le cadre de contraintes légales et de responsabilité rigoureuses, incluant le gouvernement et le corps législatif. Dans le cadre de son projet de réforme de la réglementation, l'administration Obama compte donner davantage de ces moyens d'action à la Fed, une approche qui a immanquablement renforcé la position de ceux qui estiment que plus de pouvoir implique plus de responsabilité. Le problème consiste à définir deux formes différentes de responsabilité pour deux fonctions différentes. Est-il possible d'avoir d'un côté un président de la FED rigoureusement indépendant pour ce qui est des taux d'intérêt et de l'autre un président devant rendre compte de son action quand il prend des décisions de contrôle ? Avec grand peine, à mon avis. Il est très difficile de faire comprendre ces nuances aux législateurs. Une fonction déteindra immanquablement sur l'autre. Les propositions de renforcer le rôle de réglementation de la Fed comportent donc de nombreux risques. Il serait à mon avis préférable de maintenir le rôle systémique général de la Fed, ce qui éviterait de soulever de nouvelles questions de responsabilité. Il y aurait moyen de créer, à un niveau inférieur, une instance unique de contrôle bancaire combinant les fonctions de diverses agences du Trésor, dont l'Office of the Comptroller of the Currency et l'Office of Thrift Supervision, et les fonctions des banques fédérales régionales. L'idéal serait d'y ajouter les autorités de réglementation bancaires fédérales, mais je me rends compte qu'à ce stade, je commence à empiéter sur les dispositions bien-aimées de la Constitution américaine ! Ce cadre de réglementation permettrait à la Fed de s'exprimer librement sur le développement du système financier dans son ensemble, sans se préoccuper des implications pour les institutions qui sont sous sa tutelle. La crise a démontré qu'un certain franc-parler est nécessaire. Une solution dans ces lignes protégerait également l'indépendance cruciale du rôle que joue la Fed par rapport à la politique monétaire. Le président Obama ne doit pas imaginer que les débats sur la responsabilité de la Fed ont disparu avec la reconduction de Bernanke. S'il persiste dans le projet de confier d'autres missions à la Fed, ces débats reprendront de plus belle. Pour préserver l'indépendance de la Fed, qui est un bien public mondial de premier plan, il doit ramener l'autorité de la Fed à son rôle central. Traduit de l'anglais par Julia Gallin * Directeur de la London School of Economics. Son dernier ouvrage est Global Financial Regulation |
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