Les deux familles ne faisaient pas bon ménage. Les nouveaux venus, en
2006, dans ce petit douar d'Ararsa (commune de Béthioua), où tout le monde se
connaît, n'ont jamais eu le sentiment d'être les bienvenus. Eux qui ont
déménagé du quartier de Fernand-ville, Bir El-Djir, se sentaient, à tort ou à
raison, inexorablement étrangers dans ce douar. Mais, c'était vis-à-vis des
voisins d'en face que la situation était la plus compliquée, la plus
embrouillée. L'animosité entre les deux familles a atteint son comble, lorsque
l'un des fils des nouveaux venus s'est vu refuser sa demande en mariage avec
l'une des filles de la famille voisine. Depuis, c'est la guerre froide entre
les deux ménages. Ensuite, vint cet incident grave qui a carrément embrasé les
relations bilatérales : la fugue de la fille, partie avec son fiancé rejeté
chez un proche parent de celui-ci, dans le faubourg de Sidi El-Bachir. La jeune
fugueuse et son voisin amoureux n'étaient apparemment pas conscients de la
gravité de leur acte plein de conséquence qui sera la cause indirecte du crime
jugé hier. Tout au long des débats et des plaidoiries, le nom de la jeune
fugueuse revenait inévitablement, tel un leitmotiv. Les membres des deux
familles antagonistes, cités en témoins ou en partie civile, ont beau essayer
d'étouffer cette affaire le temps d'une audience, l'histoire de la «fugue de la
fille», selon la version des uns, celle du «détournement de mineur», selon la
version des autres, a été évoquée à maintes reprises, et par plus d'un,
sommairement ou longuement. Dans ce climat de rancune et de ressentiment
réciproques entre les deux foyers, la moindre chamaille était alors susceptible
de se transformer en étincelle pouvant mettre le feu aux poudres. Et c'est ce
qui arriva malheureusement durant cette dramatique nuit du 24 juin 2009. Ce
soir-là, il y avait une fête de mariage dans le village. Beaucoup de jeunes
s'étaient enivrés à cette occasion, bien avant le coup d'envoi des
réjouissances. La victime, le frère cadet du fiancé déchu, en faisait partie. A
un moment donné, il attrapa un pinceau et commença à marquer un graffiti sur le
mur de leur propre domicile, disant : «maison à vendre, appeler au No?». Par
là, il venait d'exprimer sur le mur son cher vœu de quitter ce village isolé du
monde pour revenir en ville, un souhait que refusait catégoriquement le père de
famille. Ce dernier, agacé par l'acte provocateur de son fils, a décidé de le
corriger. S'en suit une dispute entre père et fils. Le voisin, que cette
famille ne portait pas dans son cœur, est intervenu. Bien mal lui en a pris.
Quelque temps après, une bagarre a éclaté entre ce dernier et la jeune victime.
Celle-ci, atteinte d'un coup de couteau au côté gauche du thorax, a succombé à
ses blessures. Selon l'accusé, «la victime, dans le feu de l'action, a trébuché
et est tombé accidentellement sur le couteau qu'elle tenait à la main.» Selon
l'accusation, et d'après plusieurs témoins, «c'est le mis en cause qui a, de
manière volontaire, planté son arme dans la poitrine de la victime.» Le P.G a
requis la perpétuité. Le tribunal a condamné l'accusé à 20 ans de réclusion.