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Au même moment où il lance une campagne de rapprochement avec le
judaïsme, le pape Benoît XVI orchestre une stratégie d'affrontement avec les
musulmans. Confond-il sciemment islam et islamisme politique ou fait-il preuve
de méconnaissance des problèmes réels de ce monde ? Dans les deux, il y a des
raisons de s'inquiéter.
Le pape Benoît XVI vient d'annoncer la tenue d'un synode (réunion d'ecclésiastiques) pour le mois d'octobre prochain afin d'examiner la situation des chrétiens dans les pays musulmans, en particulier ceux du Moyen-Orient, et d'arrêter une stratégie pour leur protection et la défense de la pratique de leur foi. Rien d'exceptionnel a priori. Le pape et l'Eglise sont dans leur rôle. En revanche, identifier et circonscrire la «menace» contre le christianisme à la religion musulmane sonne comme un appel à la guerre des religions et alimente le discours des tenants du clash des civilisations. Benoît XVI a adressé, mardi dernier, une invitation à quelque 150 évêques résidant dans 17 pays musulmans ou à forte majorité musulmane pour un synode qui se tiendra du 10 au 24 octobre 2010 au siège du Vatican à Rome. L'invitation est accompagnée d'une directive de travail (Lineamenta) aux évêques et aux comités chrétiens, qui fixe le cadre et le sens de la réflexion sur le sujet. Dans cette directive sont soulignées les persécutions des chrétiens dans les 17 pays en question. Et bizarrement, cette initiative papale est annoncée au lendemain de son autre initiative en direction de la communauté juive d'Italie, dans laquelle il appelle au rapprochement, au dialogue entre le christianisme et le judaïsme. «Beaucoup, pour ne pas dire tout, nous réunit», a-t-il déclaré devant les rabbins italiens. Et c'est un acte de bon sens parce qu'il milite pour «paix» des religions, même si Benoît XVI a, rappelons-le, décidé de ce geste d'apaisement en direction de la communauté juive pour leur faire accepter la béatification du pape Pie XII, accusé de s'être tu (voire même de complicité) lors de l'extermination des juifs par le régime nazi d'Hitler. Le pape aurait pu continuer dans cette logique de paix envers l'islam. Oui, envers l'islam, parce qu'à son niveau, il n'ignore pas quand même que l'islam est, lui aussi, pris en otage par une minorité d'intégristes et utilisé à des fins politiques par les régimes politiques des pays arabes ou à forte majorité musulmane (Turquie ; Indonésie...). En faisant croire que c'est l'islam, en tant que religion du livre, qui est à l'origine de la persécution (vraie par ailleurs) des chrétiens dans ces pays et non la nature - liberticide - des régimes politiques de ces pays, le pape accentue l'amalgame et la confusion entre religion et politique, entre peuples et régimes politiques dictatoriaux. Confusions et amalgames desquels se nourrissent tous les extrémismes d'aujourd'hui, à commencer par celui islamiste. L'activisme de Benoît XVI pour la défense de la foi chrétienne catholique gagnerait en sympathie s'il militait pour la défense de toutes les confessions religieuses, sans distinction, et dénoncerait toutes les persécutions ou stigmatisations des croyants, à commencer par celles commises par les régimes et sphères politiques, y compris en Occident lorsqu'il s'agit de musulmans. C'est le propre et la mission par excellence de tous les prophètes du livre: la foi en Dieu et la défense de l'homme quel qu'il soit lorsqu'il est opprimé. La situation est suffisamment grave de par le monde et les inquiétudes des faibles si lourdes que le pape, eu égard à son rang et ce qu'il représente, n'a pas à en rajouter une couche. L'histoire du christianisme nous apprend que lorsque le Vatican s'accommode du pouvoir politique (et lui sert de faire-valoir) il s'en est suivi guerres et misères de l'homme. Des missionnaires de l'évangélisation à l'aube de la Renaissance aux conquêtes coloniales, le christianisme n'a pas été au-dessus de tout soupçon. Loin de là, l'histoire de la propagation du christianisme est marquée par les violences et les guerres. Le premier concile de Trente (1542-1553) a creusé le fossé entre catholiques et protestants, tant le pape Pie IX avait condamné la liberté de conscience et a consacré la dimension divine du pape ; Vatican I (1870) intervenait en pleine guerre franco-allemande et de Rome (et le Saint-Siège) occupée par les troupes française de Napoléon III ; Vatican II (1962-1965) sous Paul VI a, dans le contexte des mouvements de libération des pays colonisés, de celui de la philosophie moderne et de la révolution technologique, opéré la «libération» du catholicisme de ses ultimes carcans moyenâgeux. L'Eglise s'est ouverte sur la modernité et le dialogue avec les autres dogmes religieux (oecuménisme). C'est en ce sens que Vatican II marque un tournant dans «l'intégration» du christianisme à la démocratie. Alors, en ces moments de crises financière et économique mondiale, en ces moments où la communauté internationale cherche des solutions aux tensions en Asie mineure (Iran), aux guerres en Afghanistan et Irak, à une stratégie contre le terrorisme au nom de l'islam, aux tensions confessionnelles un peu partout dans le monde, Benoît XVI a-t-il besoin de stigmatiser les peuples musulmans (et non les régimes politiques de ces pays) pour creuser un peu plus le fossé entre chrétiens et juifs d'une part et musulmans d'autre part ? Ce ne sont pas les musulmans qui oppriment les chrétiens, puisque eux-mêmes subissent l'oppression de leurs gouvernants. Et l'histoire démontre que juifs, chrétiens et musulmans n'ont jamais été aussi en paix et en harmonie que lorsque des musulmans éclairés gouvernaient le monde entre le VIIème et XVème siècles. «Le 21ème siècle sera spiritueux ou ne sera pas», a prédit l'écrivain français André Malraux. Face à la déferlante du consumérisme et de l'abondance matérielle, il faisait référence à la spiritualité comme vecteur de paix et élévation de la «condition humaine». Pas comme lieu d'affrontement. |
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