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Nessma, la chaîne qui voit plus loin que son ombre

par Mohammed BEGHDAD

L'ENTV a déboursé sur la table d'Aljazeera la modique somme de 10 millions de dollars (presque l'équivalent de 72 milliards de nos centimes) sans aucune hésitation pour faire plaisir, semble-t-il, aux nombreux supporteurs de l'équipe nationale de football.

Elle s'est acquittée de 1 million de dollars (7 milliards 200 millions de centimes) pour un seul match de 90 minutes alors qu'on peut regarder gratuitement sur la parabole ces confrontations à partir de plusieurs satellites sur plusieurs chaînes de télévision qui pullulent le ciel comme Eurosport, les télévisions malienne, sénégalaise ou mozambicaine pour ne citer que celles-là.

Les rois de la dÉbrouille

 Les Algériens se débrouillent depuis longtemps pour suivre les meilleurs championnats européens, la Champion's League ou l'Europa League. Ils sont devenus des spécialistes en matière de la débrouillardise. Les démos, les cartes abracadabra, le Sharing ou le Streaming sont devenus le vocabulaire familier de ces derniers temps pour ces amateurs de la géométrie parabolique. Il n'y qu'à surfer sur le net pour s'en apercevoir ou faire un tour chez les vendeurs des accessoires de TV. Il y a belle lurette que les passionnés du ballon rond ont concocté leur programme avant même que l'ENTV signe le chèque doré en monnaies sonnantes et trébuchantes. Les Tunisiens et les Egyptiens, qui ont trouvé le prix trop onéreux contrairement aux nôtres, ont boycotté. Les chaînes cairotes ont carrément appelé leur public à lorgner du côté des chaînes citées plus haut en diffusant leur fréquence. Ils ont même osé parler du piratage illégal des chaînes payantes.

Retour au bercail ?

 Avec cette manne financière, ces très généreux messieurs de la télévision, auraient pu, améliorer les conditions de travail de leurs journalistes en augmentant leurs salaires et sauver la boîte des départs massifs de leurs compétences vers de meilleurs cieux. Comparativement aux autres chaînes de télévision, notre ENTV fait figure d'arriérée en matière de décor des plateaux de goûts démodés et vieillots à faire fuir plus d'un, surtout que la télécommande permet l'évasion furtive aux bouts des doigts. On ne peut attirer, ni fidéliser un public, surtout les jeunes, avec une mentalité à l'ancienne et où la langue de bois fait des siennes. Ses journalistes, à l'instar de ceux qui les ont précédés, n'attendent que le moment opportun pour faire le grand saut. Ils ne peuvent pas longtemps résister aux sons des sirènes, aux offres alléchantes et aux moyens de travail de normes universelles. Jusqu'à présent, nous n'avons vu aucun retour de ces journalistes à leurs premiers employeurs. Cela relèvera du miracle si les conditions actuelles restent immuables. C'est comme si on demanderait à Ziani, Matmour, Meghni, Bougherra ou Yebda de venir jouer dans notre championnat de division une, eux qui sont habitués aux normes de la Bundesliga allemande et de la Premiere League anglaise. Nous observons donc nos expatriés journalistes, chaque soir sur tous les plateaux des télévisions moyen-orientales et maghrébines, défendre l'Algérie becs et angles devant les attaques répétées des médias égyptiens. Ils ont démontré leur professionnalisme et leur loyauté jusqu'aux bouts des ongles face aux journalistes d'Oum Dounia qu'on les croyait intouchables. Cela prouve que les cadres que l'Algérie a formés durant des décennies, sont très talentueux et valeureux. C'est dommage que le pays les perd aussi facilement du jour au lendemain. A défaut d'une véritable politique salariale et d'un environnement professionnel adéquat, l'hémorragie continue.

 Derradji, super star. Même avec ces 72 milliards payés par l'ENTV, je n'ai pas résisté à aller regarder, sans débourser aucun sou, les deux dernières parties de notre équipe nationale sur Aljazeera. Je me suis régalé, avec la voix de Hafid Derradji offerte gracieusement par Aljazerrasport. J'ai aussi suivi avec une attention particulière les riches débats avec des directs de Luanda et d'autres villes de la CAN. Depuis qu'ils ont quitté l'unique, nos journalistes, se sont épanouis. Ça saute de façon flagrante aux yeux. On les redécouvre avec joie et une fierté indescriptible. Ils se sont métamorphosés de manière extraordinaire. Leurs qualités ligotées et endormies durant longtemps se sont soudainement explosées. Vraiment, on ne les reconnaît plus du fait de leur progression majestueuse. Ils sont sur toutes les chaînes et ils sont très appréciés par le large public arabe.

POURQUOI PAS LES TRAVAILLEURS ?

 Cet argent aurait pu garantir plusieurs années un salaire décent aux journalistes de la télévision publique pour les garder du vent de la Harga qui souffle de partout. De même, les travailleurs de la SNVI de Rouiba ou ceux d'Arcelor Mittal d'Elhadjar auraient accueilli ce capital de 72 milliards comme une bouffée d'oxygène au moment où ils luttent pour leur survie. Les smicards auraient sauté de joie si cette somme ait été rajoutée à leurs fiches de paie par rapport aux maigres 3000 DA d'augmentation vite amortis par l'inflation galopante. De toutes les façons, on pourrait en faire mille et mille bonnes choses.

LE DInDON DE LA FARCE

 Franchement, j'ai été mal à l'aise lorsque Aljazeera a renoncé à ses exigences financières pour permettre aux téléspectateurs arabes de suivre les matchs de l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte. Je me suis dit dans mon for intérieur que mon pays s'est fait pigeonner comme un novice. Sincèrement, cela fait mal au cœur d'être assigné au rôle du dindon de la farce. Nous n'avons entendu aucun commentaire des responsables qui se sont faits tout petits. Comme c'est souvent le cas, le mutisme l'emporte. Point de réactions. Trouvez-moi un algérien qui ne dispose pas d'une parabole. J'ai l'impression que les nôtres ne se sont pas battus comme il se doit. Il est vrai que l'on a perdu le sens des luttes justes. Par ce geste, a-t-on voulu montrer notre fortune en payant cash la somme exigée par Aljazeera ? Va-t-on demander à Aljazeera de nous rembourser les 3 millions de dollars pour avoir le droit de regarder les 3 matchs du premier tour de notre équipe ou bien ce sera un cadeau puisque l'Algérie n'a pas gaspillé que ce beau pactole. Que personne ne sache ce qui se cache derrière l'iceberg. Les Egyptiens et les Tunisiens ont refusé de payer les matchs malgré la participation de leurs équipes à la CAN. Ils ont protesté, ont fait du tapage jusqu'à ce que Aljazeera plie et décrypte les matchs des 3 pays arabes pour permettre à tout le monde de les suivre en clair.

Nessma, Une TV À l'AlgÉrienne

 Malgré l'achat des matchs, l'ENTV perd ses clients une fois la diffusion du match terminée et les clips dédiés au foot aient pris fins. Ils se branchent immédiatement sur Nessma TV pour la soirée. La petite TV privée Tunisienne prend des galons de jour en jour auprès des téléspectateurs algériens. Vu le grand potentiel que représente notre pays, Nessma concentre ses efforts vers notre direction en multipliant son charme. Elle sait que son avenir se joue chez nous. Elle a parfaitement raison de chercher ses intérêts. Elle est en train donc de faire un tabac surtout depuis qu'elle s'est rangée sentimentalement en faveur des Algériens durant la double confrontation footballistique algéro-égyptienne. Nessma aspire à devenir le média le plus suivi dans le Maghreb en concurrençant le franco-marocain Médi1Sat. Tandis que l'Algérie assiste en spectateur impassible et passif. De quoi s'étonner de notre absence face à cette guerre futuriste maghrébine des médias.

UN GROS MARCHÉ DE 90 Millions de Clients

 Captiver 90 millions de maghrébins, comme ils se plaisent à le rappeler les animateurs de Nessma, représente un gros marché commercial qui peut rapporter gros sur le long terme.           L'aubaine qui lui tend les bras est inouïe. Au regard de ses potentialités et de sa position géographique dans le Maghreb, c'est l'Algérie qui devait jouer ce rôle essentiel de moteurs médiatiques et autres. Rappelons que Nessma ne renferme que 5 ou 6 animateurs qui font tout pour tourner la maison. Je ne connais pas exactement le budget de fonctionnement de cette nouvelle machine ni ses ressources humaines mais il serait intéressant de l'étudier par rapport à notre lourd média.

LES CHOUCHOUTÉS INVITÉS ALGÉRIENS

 Il ne passe pas un jour sans que l'émission Ness Nessma n'invite des Algériens de tous bords, le plus souvent des artistes, des comédiens, des chanteurs et des sportifs. Ils n'ont pas encore franchi le pas de convier la société civile, les hommes politiques et les syndicalistes. J'ai vu une fois le Premier ministre italien Berlusconi, magnat des médias italiens et néanmoins détenteur du Milan AC.

 Abdelkader Secteur, l'humoristique de Ghazaouet y est même passé alors qu'il demeure un inconnu du public télévisuel local. Nessma TV a engagé pour la circonstance pendant cette CAN des anciens joueurs Algériens tels que Djamel Menad , Abdelhafid Tasfaout et bien d'autres pour commenter tous les soirs l'actualité de la CAN.

 Ils ont même été costumés aux couleurs de Nessma, femmes y comprises. Le sigle de notre Nessma s'est même converti aux formes des couleurs nationales. Djezzy y a même payé un spot sur Nessma Tv tout en sachant que son clip aura plus d'impact que chez l'unique. Il n'y a pas d'autres explications à ce nouveau phénomène. Cette «petite » TV a grandi en un laps de temps très court par rapport à notre lent dinosaure que rien ne semble le perturber dans son long sommeil. Ce ne sont que des chuchotements de gamins. Ah ! S'il pouvait se regarder dans une glace.

LA LÉGENDE

 Nessma a l'air de connaître fortement la mentalité de l'Algérien. Il ne faut surtout pas l'énerver, ne pas lui crier dessus. Il déteste l'opposition frontale. Il ne recule devant rien si on lui lance un défi. Il aime se battre jusqu'au bout comme un féroce. Il n'est pas un fennec pour rien, un vrai guerrier du sahara. Il ne lâche rien. C'est un baroudeur et n'aime pas qu'on lui marche sur les pieds. Oum Dourman a perpétué sa légende auprès des frères arabes. Mais si vous faîtes abstraction de toutes ces contrariétés, vous conquérez son amitié à vie. Comme la fable algérienne le rappelle, il vous donnera sa veste si vous prenez froid. Il vous couvrira de sa protection. Pour l'amadouer, il faut le caresser dans le sens du poil. Nessma sait qu'elle trouvera en lui un terrain lisse acquis à jamais. Mais attention au retournement de la situation si vous le trahissez. Il redevient plus impitoyable.

Nessma respire algÉrien

 Les promoteurs de Nessma, par leur intelligence et leur dynamisme, sont en train de damer le pion et rafler la mise. Ils sentent que nous vivons dans un désert médiatique incontestable. Sans l'avouer, Nessma TV sait que sans les téléspectateurs algériens, elle ne peut pas aller loin. L'Algérien constitue l'air que respire Nessma TV. Elle ne peut vivre sans les 2 poumons Algériens, la conquête de son public et la conséquente publicité. Il y a quelques mois, son directeur accompagné de ses présentateurs vedettes a tenu une conférence de presse où il a annoncé souhaiter établir un bureau permanent de sa TV fétiche à Alger. Par ses visées légitimes, il voit plus loin que l'horizon. La nature a horreur du vide. Nessma veut occuper admirablement l'espace qui s'offre candidement à elle sans puiser assez d'efforts. Il n'y a rien de concurrent sérieux en face d'elle. Et c'est de bonne guerre pour les Tunisiens. Que du terrain vierge à occuper pour celui qui désire investir. Lorsqu'on se pointe sur Nessma TV, l'Algérien est roi. Il est le client Number One. C'est le nœud gordien de cette chaîne. Sans lui, rien ne peut se faire, rien ne se crée. Et Nessma lui tend superbement les bras et le coeur. Comme on le constate fort bien, l'avenir de Nessma est en Algérie. La preuve en est l'extraordinaire forcing pour la séduction du public algérien épars et qui ne trouve pas preneur chez lui. J'allais oublier l'essentiel, Nessma a commencé son enchantement depuis ses premiers pas. Il est clair qu'elle vise et mise beaucoup sur notre pays. La preuve, les géants placards publicitaires dans toutes les villes du pays qu'elle s'est payés chèrement pour envoûter les Algériens.

L'Orphelin

 Quant à l'orphelin médiatique algérien, il continue à errer en zappant entre Aljazeera, MBC, Médi1Sat ou les chaînes égyptiennes où il s'est fait insulter pendant des mois sans qu'il puisse y répliquer. Si, Nessma a quand même essayé de laver l'affront des algériens dans une de ses émissions en rétorquant avec l'humour connu des tunisiens en réponse aux médias égyptiens. Elle est là au moment opportun à défendre l'Algérien contre l'ogre médiatique égyptien. Cette sensationnelle réplique lui vaut l'amour et le dévouement du sentimental public algérien qui n'oublie pas sitôt ce geste mémorable. Et il le lui rend admirablement. Pour un coup publicitaire, cela en est vraiment un. Je tire un grand chapeau à Nessma pour cet extraordinaire boomerang de marketing et pour leur réalisme de pros. Pour l'instant, c'est le coup de foudre. Le public algérien égaré, est tantôt ballotté au nord, tantôt jeté à l'est, continuellement scotché à l'ouest. Il ne sait pas à quel saint se vouer. Après le million et deux cents milles touristes de nos compatriotes chaque été en Tunisie et les millions d'euros arrosés sur cette terre, c'est au tour des téléspectateurs d'être aspirés vers l'est. La Tunisie la verte reste patiente à d'autres retombées économiques et à faire de belles conquêtes à sa bien aimée de l'Ouest. En attendant de meilleurs jours médiatiques chez nous, on se contente pour le moment de subir avec nos yeux tournés vers nos voisins en plus des vacances à passer chez eux.