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Un poison nommé débat sur l'identité française

par Paris : Akram Belkaid

Sarkozy et Besson le Ganelon doivent être satisfaits. A quelques semaines des élections régionales, le débat sur l'identité française s'est transformé ? fallait-il être devin pour le prédire ? en débat sur l'islam, les musulmans et l'immigration. On pourrait même dire que c'est devenu une simple joute malodorante sur la burqa, comme si ce voile intégral représentait l'unique problème d'une France qui peine à sortir de la crise économique et à trouver sa place dans la mondialisation.

 A mi-mandat, ce débat est la preuve de l'échec patent du président français. Echec sur le plan économique où ses réformes fiscales en faveurs des ménages les plus fortunés n'ont pas eu l'effet escompté. Echec sur le plan social où le chômage ne cesse de s'aggraver et où, plus que jamais, la principale peur des Français est le déclassement et la hantise de voir ses propres enfants vivre moins bien que soi. Echec sur le plan diplomatique où, contrairement à ce que laissent penser ses agitations de matamore de sous-préfecture, Sarkozy ne peut se targuer d'aucune réussite majeure pour le compte de son pays et de son économie. Faute de pouvoir vendre des réacteurs nucléaires aux Emirats arabes unis, le voici d'ailleurs réduit à espérer que Renault ne délocalisera pas une partie de sa production en Turquie et que le président brésilien Lula ne reviendra pas sur sa décision d'acheter des Rafales?

 Pour faire oublier l'enlisement de sa politique, sa côte de popularité qui est au plus bas, l'état calamiteux de banlieues où il ne peut mettre les pieds (!) et son manque d'emprise croissant sur sa «famille» politique, l'ancien maire de Neuilly a donc ressorti les vieilles méthodes. Draguer l'extrême-droite en espérant qu'elle votera pour la majorité aux régionales et qu'elle palliera les voix de droite et du centre-droit qui feront certainement défection en raison de deux années et demi de présidence approximative et totalement inutile.

 La recette est simple : commandons le plat de l'identité nationale et c'est l'islam que l'on retrouvera sur la table. Dès lors, il s'agit d'entretenir l'idée que les musulmans de France menacent pêle-mêle la République, la chrétienté et même, puisqu'on n'en est pas à une contradiction près, la laïcité. Quoi de mieux pour convaincre l'extrême-droite et tout ce que la France compte comme xénophobes, islamophobes et autres bouffeurs de curés en mal d'ennemis, de se précipiter dans les bras de Sarkozy ? Burqas, prières dans la rue, polygamie, intégrisme, djihadisme sont autant d'éléments de com' qui sont alors convoqués de manière à être présentés comme des dangers imminents. Et pour convaincre les indécis, il ne faut pas hésiter à monter en épingle le comportement d'écervelés qui n'ont peut-être jamais mis les pieds en Algérie de leur vie mais qui profitent des victoires de l'équipe algérienne de football pour dire tout le mal qu'ils pensent de ce qui est en fait leur propre pays, c'est-à-dire la France. Au besoin, il faut pratiquer l'amalgame et parler par exemple d'excision en laissant entendre que cette pratique infâme est ordonnée par la charia et qu'elle est revendiquée par les musulmans de France !

 Mais rien de tout cela n'est étonnant. Ce n'est effectivement pas la première fois qu'une telle démarche est adoptée par le locataire du Palais de l'Elysée. Et ce n'est pas la dernière fois que l'islam est utilisé à des fins dilatoires. Prenons les paris dès maintenant : en 2012, Sarkozy, qui sera à coup sûr candidat à sa succession malgré ce que cherchent à nous faire croire ses conseillers en communication (d'après eux, il «s'interrogerait»?), nous ressortira la carte de l'identité nationale et les musulmans feront encore de parfaits boucs émissaires.

 Mais ce débat, ou plutôt le débat à propos du débat, nous apprend tout de même des choses, du moins les confirme-t-il. Il apparaît ainsi qu'une partie de ce que fut la gauche plurielle est en totale harmonie avec Sarkozy sur le thème de l'identité nationale. Il y a par exemple ceux qui furent proches ou sympathisants du courant souverainiste et qui aujourd'hui, au nom de l'idée de la défense de la nation française, se livrent à des attaques récurrentes contre les musulmans suspectés de tous les maux parce qu'ils refusent l'assimilation (on ne parle même plus d'intégration).

 Ces nationalistes de gauche entretiennent eux aussi le discours du «on ne se sent plus chez nous», faisant mine d'ignorer que la France est le pays d'Europe où l'intégration fonctionne le mieux. Le pays d'Europe où l'on enregistre le plus grand nombre de mariages mixtes et, c'est un fait peu connu, le pays d'Europe où il y a le plus de femmes musulmanes qui épousent des non-musulmans (sans que ces derniers aient à se convertir comme l'exige la charia).

 A cause de quelques centaines de burqas et à cause de quelques dizaines de rues où se déroulent les prières du vendredi, on veut faire croire que, demain Paris, Marseille ou Lyon seront comparables à Kandahar. A quoi cela rime-t-il ? Sait-on au moins ce que cela risque de provoquer à long terme ? Cette stigmatisation des musulmans est un poison qui se répand lentement, très lentement, dans la société française. Sans crier gare, ce poison façonne les mentalités, agit sur les inconscients et réveille certainement des passions coloniales que l'on croyait éteintes. Ce débat, ce poison, donne à penser que, finalement, peut-être, ces «gens-là» ont sûrement quelque chose à se reprocher car, sinon, on n'en parlerait pas autant. Que, finalement, peut-être, la France ne pourra jamais les absorber. Que, finalement, peut-être, ces «gens-là» obéissent secrètement à d'autres lois qu'à celle de la République et qu'ils sont au service d'un complot mondial, celui des djihadistes, pour le contrôle de l'Occident judéo-chrétien.

 Je suis persuadé, que demain, après-demain, tôt ou tard, ce poison versé sur les étals par Sarkozy et ses sbires sera à l'origine de drames sanglants. Lorsque je l'explique à certains confrères français, ils montent sur leurs grands chevaux. Ils ont tort, et ils devraient se dire qu'il arrive parfois que l'Histoire aime à repasser les plats?