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Outrée par les
scandales de corruption au plus haut sommet de l'Etat, l'opinion publique,
telle qu'elle s'exprime dans la presse et dans les commentaires privés, est
remontée contre les partis politiques perçus comme des organisations inutiles
pour le pays, ou plutôt utiles seulement pour ceux qui les utilisent pour avoir
des positions lucratives d'élus. Les partis ne jouent pas leur rôle, estiment
les citoyens, frustrés de voir la corruption se généraliser dans les
institutions de l'Etat à une échelle effrayante. Il faut dire que
l'administration, en refusant les contre-pouvoirs institutionnels et les partis
représentatifs, est génératrice de corruption. Les partis qui siègent dans les
Assemblées ne sont pas représentatifs et c'est ce qui explique leur
inefficacité. Mais au fait, qu'est-ce qu'un parti politique et à quoi sert-il?
Selon la définition largement admise de la science politique, un parti est une association de citoyens qui se reconnaissent dans les mêmes valeurs relatives à l'organisation de la société et de l'économie. Ils se réunissent et se structurent au niveau national pour convaincre la majorité de l'électorat de voter pour eux pour former un gouvernement et mener une politique économique et sociale conforme aux valeurs qu'ils défendent. Cela suppose trois éléments constitutifs de la modernité politique. 1. Le peuple est source de pouvoir comme c'est stipulé dans les constitutions des Etats de droit ; 2. La société est traversée de courants idéologiques différents reconnus en tant que tels ; 3. Les représentants élus sont des locataires - et non des propriétaires des lieux du pouvoir - qui se succèdent selon la logique de l'alternance électorale. Dans les pays du Tiers Monde où la modernité est encore en construction, la problématique des partis ne se pose pas dans ces termes. Les lieux du pouvoir sont occupés définitivement par des élites cooptées qui prétendent détenir le monopole de la souveraineté nationale. L'argument avancé pour justifier ce monopole est la fragilité de l'unité nationale, l'ennemi étranger disposant de relais locaux, et enfin l'immaturité du peuple à choisir ses dirigeants. Ce discours, comique dans son contenu et tragique dans ses conséquences, sert de fondement idéologique à l'autoritarisme et ne laisse aucune place à des partis politiques autonomes. La vocation de ces derniers est de conquérir le pouvoir d'Etat ; or, si celui-ci est en permanence occupé, il n'y a rien à conquérir. Et pourtant, il y a des partis dans de nombreux pays du Tiers Monde en général, et en Algérie en particulier. A quoi servent-ils ? Même s'ils sont inutiles pour les citoyens, ils remplissent toutefois des fonctions qui sont à dévoiler. Du système à parti unique au multipartisme sans alternance électorale Le système du parti unique ayant partout échoué, de nombreux régimes autoritaires se sont convertis au multipartisme après l'avoir vidé de son sens, établissant des régimes où se tiennent régulièrement des élections sans alternance électorale. L'expérience algérienne - qui n'est pas unique de ce point de vue - est pleine d'enseignements pour la science politique. Elle présente un modèle de multipartisme où des élections sont organisées pour légitimer le même régime qui se succède à lui-même depuis 1962, malgré ses échecs retentissants en économie et dans tous les secteurs de la vie sociale. Le régime a abandonné le système du parti unique mais a compensé cet abandon par le trucage des élections, s'appropriant ainsi l'électorat dont le vote est réparti selon la logique des quotas à des partis fidèles et dociles. Dans ce schéma de faux multipartisme, il est demandé aux partis de renoncer à leur autonomie et surtout de renoncer à jouer le rôle de contrepouvoir dans les institutions. La typologie des partis en Algérie est très particulière. Il y a deux partis du pouvoir, FLN et RND, ce qui est en soi une bizarrerie politique. Rien ne les distingue sur le plan politique. Jumeaux idéologiques et rivaux dans la course aux postes, il est à se demander si leurs finances ne proviennent que des cotisations de leurs adhérents. Il y a ensuite deux autres partis, Hamas et PT, qui ont un pied dans l'opposition et un pied dans le gouvernement ou l'alliance présidentielle. Leur fidélité à l'administration est largement récompensée par la distribution des quotas à l'Assemblée Nationale. Hamas a toujours eu plus de quarante sièges et le PT est le seul parti trotskyste au monde à avoir 21 députés dans un parlement. Il y a enfin des partis qui ne veulent pas se soumettre comme le FFS, stigmatisé et accusé de porter atteinte à l'unité nationale, alors qu'il est empêché de s'implanter en dehors de la région centre comme l'attestent les arrestations de ses militants à Ghardaïa. Pour les autorités, il est quasiment interdit de militer au FFS sans être de la Kabylie. Une administration hostile à la représentativité des partis Cette typologie des partis ne reflète pas les réalités politiques du pays et ne véhicule pas les demandes sociales des différents groupes sociaux. Elle érige au contraire entre l'Etat et la population des partis artificiels qui sont nuisibles à la culture politique. Au lieu de construire des relais institutionnels entre elle et les citoyens, l'administration préfère organiser des réseaux de clientèle intéressés uniquement par la prédation des richesses de l'Etat. N'ayant pas de représentants dans les institutions de l'Etat, la population a recours à l'émeute et, entre deux émeutes, elle se réfugie dans l'apathie. En un mot, il y a une demande d'Etat, mais il n'y a pas d'offre qui lui corresponde. L'administration ne veut pas tirer sa légitimité des citoyens ; elle préfère la puiser de la force des services de sécurité. Les rapports d'autorité se fondent sur la violence et la crainte de la police et non sur le consensus et la légitimité politique. La dynamique de privatisation du pouvoir trouve sa source dans l'anthropologie humaine, contrariée en démocratie par une autre dynamique provenant des mouvements sociaux donnant naissance à des partis et des syndicats autonomes. Avant d'être une culture, la démocratie est un rapport de force qui permet - ou ne permet pas ? l'émergence de partis réellement représentatifs. Si l'élite dirigeante avait le sens des perspectives historiques, elle accompagnerait les changements dans le sens d'une participation politique de la population au champ de l'Etat, et accepterait des partis et des syndicats autonomes. C'est la seule solution pour mettre fin à la puissance de l'administration discréditée par le fléau de la corruption. L'existence de partis représentatifs est la condition essentielle de construction de l'Etat de droit. Il y aura bien sûr des troubles, des crises gouvernementales et des insultes dans les Assemblées du fait même que l'Algérie est une jeune nation à la recherche d'institutions stables. Mais ce n'est pas parce qu'il risque de tomber qu'il ne faut pas laisser l'enfant apprendre à marcher. |
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