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Haïti: Le prix de la liberté

par             De Notre Bureau De Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Le drame d'Haïti est aussi l'oeuvre des hommes. Les Haïtiens mènent depuis deux siècles un combat inégal et déloyal pour leur liberté. L'élan de solidarité manifesté au lendemain du terrible séisme, notamment par la France et les USA, est-il le début de la réparation d'une injustice historique ?

 Le pays d'Haïti est, sans aucun doute, le pays qui symbolise le mieux l'injustice des hommes faite à d'autres hommes. Il est l'expression violente du désordre économique mondial mis en place par la loi du plus fort. En réalité Haïti se mourait quotidiennement, chaque jour un peu plus et depuis bien longtemps sur l'autel des concurrences géopolitiques et du mercenariat des multinationales financières et industrielles. Comment ne pas s'élever contre l'explication par la nature de l'enfer que vivent les Haïtiens ? Ouragans, déluges et séismes disent-ils. Pourtant sur la même île, la même latitude et la même géographie, sa voisine la République dominicaine est un paradis touristique. A quelques encablures et sous la même latitude et géographie, l'île de Cuba assure à ses habitants un enseignement, une médecine et des structures sociales de qualité malgré le blocus américain.

 Pourquoi Haïti est-il si pauvre, si vulnérable et si «maudit» par la nature ? C'est une longue histoire qui eut pour commencement un désir de liberté mal accepté par les puissances d'hier et d'aujourd'hui: la France, les USA et le Canada principalement. Soumis au régime esclavagiste pendant trois siècles de colonisation française, le peuple haïtien a été le premier à se révolter et à se battre pour son indépendance qu'il acquit le 1er janvier 1824. Charles X, roi de France, exigea alors que ce peuple paye à la France une «rançon» pour sa libération de 150 millions de francs-or, équivalent de 30 millions de dollars de l'époque. Cette rançon de la liberté n'a, à ce jour, jamais été remboursée aux Haïtiens. Plus tard, ce sera au tour des Américains et Canadiens de mettre sous tutelle Haïti par le truchement des prêts financiers et de conditions de déstructuration de sa propre économie. Le tout en installant et en soutenant des régimes politiques successifs dictatoriaux au service des multinationales américaines et canadiennes.

 Depuis 1825, Haïti paye le prix de son désir de liberté que ne lui a pas pardonné l'impérialisme du 19ème et 20ème siècles. L'aide internationale qui arrive aujourd'hui vers ce pays martyr après le violent séisme qui vient de le frapper et qui doit continuer, ne peut cacher ou faire oublier le vrai enfer dans lequel l'on jeté les puissance occidentales, en particulier la France, les USA et le Canada. Ce sont par exemple ces mêmes pays qui ont exclu Haïti de la Conférence internationale de 1990 et 2001 des pays pauvres très endettés de l'Amérique centrale et de la Caraïbe ! C'est la Banque mondiale et le FMI qui continuent à encaisser au titre du service de la dette extérieure des centaines de millions de dollars chaque année, poussant le pays dans les affres et la misère.

 Plus récemment, en 2008, et face à la pression d'organisations humanitaires, le directeur de la Banque mondiale, Robert Zoellick, déclarait que la dette d'Haïti - de l'ordre de 1,2 milliard de dollars - allait être annulée. Et plus d'une année plus tard, soit en octobre 2009 (il y a 4 mois), une résolution de l'Assemblée générale de cette même banque avec le FMI et la BID (banque d'investissement) revint sur cette annonce faite par son directeur ! D'autres exemples ? Au sortir d'une véritable guerre civile en 1994, Haïti a remboursé en 1995 et 1996 plus de 800 millions au titre de service de sa dette extérieure. C'est énorme pour un pays de moins de 10 millions d'habitants qui vivent dans la pauvreté extrême.

 C'est cette pression permanente des institutions financières internationales sur un pays pauvre qui fait de lui un pays instable, violent, pauvre. Aujourd'hui 81% de sa population vit sous le seuil de la pauvreté extrême ; 70% de sa population active est au chômage ; 50% totalement analphabète et l'espérance de vie à peine de 50 ans ! Et puis la France qui refuse de rendre la «rançon» de la liberté payée par Haïti et estimée aujourd'hui à plus de 900 millions de dollars, soit 80% de sa dette externe globale. Ironie de l'histoire, c'est exactement l'équivalent de la somme détournée par le dictateur Duvalier qui s'est installé en France en 1986 après qu'il en fut chassé par une énième révolte populaire. Les régimes militaires qui ont succédé aux Duvalier ont enfoncé encore plus dans la violence et la famine tout le peuple haïtien.

 Sans Etat, sans industrie, sans agriculture (détruite par le dumping aux produits américains et canadiens), Haïti est aujourd'hui un désastre humanitaire. Le séisme de mercredi soir est «le coup de grâce» au martyr que lui font subir depuis très longtemps les puissants de ce monde. L'élan de solidarité qu'il lui est manifesté en ces moments de drames et de larmes n'effacera pas leur responsabilité et leur culpabilité historiques.