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La Turquie
commence sa nouvelle année diplomatique à un train soutenu. Près de 200
ambassadeurs turcs à l'étranger et en Turquie, se réuniront cette semaine à
Ankara en début de semaine. Les ministres des Affaires étrangères allemand,
japonais et brésilien, de passage dans la capitale devraient assister à la
conférence.
Depuis plusieurs années, la Turquie réaffirme fortement sa vocation à devenir une puissance régionale dans une zone particulièrement conflictuelle, couvrant de la Méditerranée à l'Afghanistan, en passant par le Moyen-Orient, le Caucase, l'Asie centrale, jusqu'à l'Iran. Cette volonté est naturelle au regard de l'histoire (le Califat, l'empire Ottoman), de la géographie (Byzance puis Istanbul ont toujours été le « port » depuis plusieurs mondes), du dynamisme actuel de l'économie turque (de 5 à 7% de croissance annuelle), de sa démographie (76 millions de citoyens turcs). Mais ce dynamisme diplomatique turc trouve également son origine dans un mouvement de dépit, il faut bien le dire, justifié, devant le sort fait à sa demande d'adhésion à l'Union européenne. Candidate depuis 1965, la Turquie se heurte à l'opposition de la France, de l'Allemagne, de la Grèce, de Chypre et de l'Autriche. Des initiatives tous azimuts «La Turquie souhaite devenir une grande puissance régionale. Mais de quelle région ?» S'interrogeait un peu ironiquement Moscovici, ex ministre socialiste des affaires européennes, lors d'un colloque du CERI qui s'est tenue en décembre dernier, lors de «la semaine de la Turquie en France». Outre la démarche en direction de l'Europe, la Turquie a multiplié en effet les axes de développement stratégique «profonds» qui seraient fort utiles à l'Union Européenne qui joue au mieux, dans cette zone, le plus souvent le rôle de « spectateur verbeux». En Asie centrale et dans le Caucase, Ankara s'est appuyé sur des républiques ou d'importantes minorités turcophones. A la chute de l'Empire soviétique, la Turquie fut l'un des tous premiers états à reconnaître les nouvelles nations indépendantes, Turkestan, Abkhazie, Tadjikistan, Azerbaïdjan...(Et même l'Arménie !), avec lesquelles elle entretenait déjà des relations culturelles anciennes qui avaient perdurées, y compris pendant l'ère soviétique. Ces pays sont tous aujourd'hui ou possesseurs d'importantes réserves pétrolières ou gazières, ou vecteurs de pipe-lines et gazoducs qui transitent des sources énergétiques vers l'Océan Indien, la Mer Noire ou l'Europe. Aujourd'hui nombre de ces «artères énergétiques » passent soit directement par la Turquie, soit par des pays amis de celles-ci. Ce double intérêt pour la zone de l'Asie centrale et pour ces ressources énergétiques ont également rapproché Moscou et Ankara. La Turquie, membre de l'Otan depuis 1952, fut l'alliée indéfectible de la puissance américaine durant la guerre froide. Elle définissait sa politique en fonction des intérêts occidentaux. Elle constituait l'un des remparts sud devant «l'ogre soviétique». La chute du Mur de Berlin, la désintégration de l'empire soviétique a relativisé, de part et d'autre, la contribution d'Ankara au dispositif militaire de l'OTAN. Par ailleurs, la nouvelle économie turque a besoin de débouchés et d'énergie. La Russie devient donc un client naturel : dans la balance des échanges Russie/Turquie, Ankara importe essentiellement de l'énergie et ses exportations sont à 99% des « produits industriels ». Une certaine fraction de l'Armée turque, sensible au courant dit «eurasianiste», fut favorable à une «contre-alliance» Russie/Turquie : en 2008, «l'affaire Ergenekon» a permis au gouvernement turc de démanteler un réseau d'officiers généraux favorables à une politique étrangère pro-russe. «Zéro problèmes avec les voisins» C'est au Proche et au Moyen-Orient que l'influence turque s'est fait le plus sentir récemment. Présenté comme un allié traditionnel d'Israël, position confortée en 1996 par une série d'accords militaires avec Tel-Aviv, Ankara a pris une position très en pointe dans la condamnation de l'offensive israélienne sur Gaza. Depuis, c'est la brouille entre Netanyahou et Erdogan, le 1er ministre turc. Les Palestiniens (Hamas et Fatah) qui ne souhaitent pas dépendre uniquement de l'Égypte dans leurs vaines tentatives de « discussions » avec Israël, ont d'ailleurs demandé officiellement la médiation de la Turquie. La même demande a été faite par la Syrie, dans son inextricable débat sur l'avenir du Golan avec Tel-Aviv. Et pourtant ! La tension entre Ankara et Damas avaient été extrêmement forte jusqu'à l'expulsion du leader Kurde du PKK autonomiste, Ozalan, du territoire syrien en 1999. La nation kurde est l'une des clés d'explication de l'actuelle politique étrangère de la Turquie. Celle-ci abrite une forte minorité kurde (15 millions de p.) et le PKK a mené depuis plus d'une dizaine d'année une lutte armée pour la reconnaissance de son d'indépendance, puis au moins de son autonomie. La population kurde se répartit principalement entre la Turquie, l'Irak et l'Iran. Après une guerre civile et une répression d'une rare violence, Ankara a choisi de contourner le problème en améliorant ses relations avec l'Irak et sa minorité kurde, en faisant de même avec l'Iran. Le savoir faire des diplomates ottomans doit être probant puisque Bagdad demande leurs conseils pour préparer l'Irak post-dégagement américain et l'Iran a également demandé récemment la médiation d'Ankara sur le dossier très conflictuel du nucléaire qui l'oppose à Washington. «Zéro problème avec les voisins» : c'est le crédo de l'actuel ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davutoglu. Il fut, dès 2002, le conseiller diplomatique très écouté de Gül (ancien ministre des affaires étrangères et actuel président turc) et Erdogan. Nommé ministre des affaires étrangères en mai dernier, Davutoglu est l'artisan très volontaire du renouveau diplomatique turc. Même sur le dossier empoisonné des relations avec l'Arménie, le nouveau ministre des Affaires étrangères a désamorcer le vieux problème du génocide arménien en signant en fin d'année une reprise des relations diplomatiques entre les deux pays, malgré le conflit sur le haut Karabakh, toujours pas résolu entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, république turcophone. Lors de la dernière invasion de l'Irak, la Turquie a refusé l'usage de ses bases à l'aviation américaine ? Un must ! Pour ne pas froisser outre-mesure le grand allié, la Turquie a envoyé en Afghanistan, un contingent de soldats uniquement attachés à des tâches «de reconstruction». Beaucoup d'initiatives ! Seront-elles suivies d'effets positifs ? Dans la grande région le plus conflictuelle du monde, allant de la Méditerranée au Pakistan en passant par l'Asie centrale, les initiatives solitaires même très courageuses, sont rarement payées de succès immédiats. Faiblesses turques, fadaises européennes La Turquie connaît en effet encore certaines faiblesses qui limitent ses ambitions de grande puissance régionale. Son économie, malgré un taux de croissance exceptionnel qui pourrait faire de la Turquie la 6ème économie de l'Europe en 2020, a massivement besoin d'investissements étrangers. Son déficit budgétaire est une contrainte permanente sur ses investissements futurs. Sur le plan de ses relations extérieures, les relations entre la Turquie (devenue membre non permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU) et les États-Unis, principal et historique allié, traverse une phase de clair-obscur. Washington qui a été le meilleur soutien d'Ankara pour son adhésion à l'Union européenne (via ses alliés au sein de cette institution) a plutôt mal pris le refus des bases turques d'accueillir la force aérienne américaine lors de la seconde guerre d'Irak, modérément accueilli le gel des relations turco-israéliennes, carrément toussé sur la médiation proposée par Ankara à propos du différent sur le nucléaire iranien. La Turquie bénéficie d'un énorme avantage : elle dispose de la seconde armée de l'Otan, structure à laquelle elle est membre-adhérent. Toutefois, sur le plan intérieur, cet atout se transforme en handicap. L'armée turque, peu démocrate mais toute droite issue du modèle républicain, laïque et farouchement nationaliste de Kemal Atatürk, s'accommode mal de l'AKP, même modérément islamiste. Dans les derniers mois, après diverses « affaires », pressions, man_uvres et même complots militaires, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a dû convoqué, le 26 décembre 2009, le chef d'état major, Ilker Basbug. On ne sait pas trop ce qu'ils se sont dit. La démocratie turque en marche, dotée d'une presse très professionnelle, se voit régulièrement écornée par des excès de tous genres comme l'interdiction récente et contestable d'un parti doté d'un groupe parlementaire, le DTP, pro-kurde. L'AKP, louvoie en permanence entre la consolidation d'un Islam laïcisé et la remise en cause des fondamentaux du Kémalisme. Une très grande partie des cadres de l'armée, de l'État, de l'université et de très nombreux intellectuels restent cependant profondément attachés à ceux-ci. De la même façon, une très importante minorité chiite, les Alévis, un vingtaine de millions de personnes, pratiquent depuis des générations un Islam très libéral, hors de toutes contraintes. Devant toutes ces faiblesses et les nécessaires transformations à venir, les principaux grands courants politiques restent persuadés de l'importance cruciale de l'adhésion à l'Union européenne, malgré l'agacement qu'ils peuvent ressentir devant le mépris et le dédain de nombreuses décisions bruxelloises. La dernière en date est aussi humiliante qu'injuste : alors que la Turquie est candidate à l'entrée dans l'Europe depuis plus de cinquante ans, ces ressortissants ne peuvent y circuler qu'à la condition d'obtenir un visa alors que l'Union européenne viennent de dispenser de cette entrave les citoyens de Serbie, du Monténégro et de Macédoine, trois pays très fraichement postulant à l'intégration dans l'UE ! Même inégalité dans le traitement de l'intégration à l'Europe : réunis en fin d'année à Bruxelles, les représentants des 27 pays de l'UE ont ouvert un douzième «chapitre» thématique, consacré à l'environnement, sur la liste des 35 qui jalonnent les laborieux pourparlers d'adhésion engagés en octobre 2005 par la Turquie. Dans cette course de lenteur, il faut également savoir que sur les 35 dossiers, Chypre a d'ores et déjà émis un véto sur 12 dossiers et la France sur cinq ! Présidence espagnole La France et l'Allemagne sont les deux principaux pays qui font obstacle à l'intégration de la Turquie. Dans les deux cas, le plus souvent pour des raisons de basse cuisine électorale. Nicolas Sarkozy, empêtré sans son débat sur « l'identité nationale française » ne souhaite pas voir intégrer à l'Europe une nation musulmane forte de 75 millions de personnes. Il s'est même pris à vanter des « racines chrétiennes de l'Europe », prenant à rebrousse-poil la classe parlementaire, fortement attachée dans son ensemble à la République laïque. Angela Merkel obéit à des motifs aussi intestins dans une Allemagne qui abrite la forte communauté turque en Europe, forte de 3 millions de personnes. Les deux chefs d'état proposent à la Turquie un «partenariat privilégié » qu'Ankara refuse à très juste raison. La Présidence tournante de l'UE est passée à l'Espagne depuis le 1er Janvier. Son Premier ministre, le socialiste José-Luis Zapatero, est très attentif à l'ouverture de l'Europe vers la Méditerranée. Il est déjà favorable à l'intégration rapide des pays balkaniques : la Serbie qui, avec la Macédoine et le Monténégro, a déposé sa candidature à la fin de l'année dernière, l'Albanie a fait la même demande en avril 2009. La Bosnie est donnée comme candidate et la Croatie est en fin de parcours sur l'examen de ses 35 indispensables dossiers, Rappelons au passage que le seul grand conflit important et sanglant surgi en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale a eu lieu...dans les Balkans ! Zapatero pourrait permettre quelques ouvertures qui pourraient être confortées définitivement par la présidence belge en 2010. |
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