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La citoyenneté : le parent pauvre d'un débat sur l'identité nationale appauvrissant...

par Haoues Seniguer*

Depuis que s'est ouvert le débat sur l'identité nationale, hélas véritable fourre-tout et défouloir en temps de crise morale, la classe politique a littéralement perdu le sens des responsabilités et des priorités.

 Avec à la clé, la défiance de plus en plus aigüe de nombreux segments de la société au premier rang desquels celui des laissés-pour-compte de l'intégration sociale et économique qui attendent toujours des signaux forts en leur direction: les minorités dites «visibles».

 Force est de reconnaître, en marge de ce débat houleux, que les dérapages verbaux en tout genre ne cessent de se multiplier avec une gradation inquiétante et des accents parfois ouvertement racistes et clairement islamophobes y compris de la part d'élus de la République. On a la désagréable impression que c'est un peu à qui ira le plus loin en besogne la fois d'après renchérissant toujours d'avantage sur une identité nationale fantasmée !

 En effet, ceux dont on est pourtant en droit d'attendre au moins une impartialité liée à leur fonction, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont obtenu le mandat d'un peuple divers tant dans sa composition ethnique que religieuse, sont malheureusement les plus maladroits et les moins exemplaires en la matière.

 Quelle image détestable donne-t-on de la France et de la classe politique française à l'étranger ! Un seul effet positif dans ce marasme généralisé, les masques longtemps portés par les chantres du républicanisme abstrait (Liberté, Egalité, Fraternité) sont en train de tomber...Chacun en mesure à présent les limites. Beaucoup d'élus de la nation disent vouloir taire les appartenances supposées ou réelles de leurs co-sociétaires en ne considérant que l'individu sous sa seule dimension de citoyen alors même, qu'avec ce débat sur l'identité nationale, c'est l'effet inverse qui est en train de se produire. En effet, l'identité nationale se lit telle une injonction faite principalement aux «minorités visibles» : comme si il était exigé de leur part, plus que n'importe quel autre citoyen, qu'elles se dépouillent de leurs derniers oripeaux communautaires pour faire pleinement corps avec la nation.

 Chasser par la porte, la doctrine assimilationniste, naguère investie par l'Empire colonial français, est en train de faire un retour fracassant par les fenêtres de notre maison commune ; en l'occurrence notre chère République.

 Ce qui était censé rassembler et rapprocher les Français est en train de les diviser davantage, en stigmatisant non seulement une partie d'entre eux, au motif de considérations ethno-nationalistes et religieuses supposées ou réelles, mais également, de façon plus indirecte sans doute, la communauté des chercheurs complètement dessaisis d'un sujet qui a pourtant besoin d'être traité de manière a-partisane ou a-idéologique pour éviter précisément la récupération politicienne et la chasse aux sorcières.

 Contrairement aux effets de manche de l'actuel Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire (qu'en est-il au juste de cette ultime attribution qui mériterait beaucoup plus d'intérêt de la part de nos gouvernants), il n'est, pour l'heure, aucun autre sujet national plus clivant. Le fait que personne ou presque ne parlait d'identité nationale dans le tissu de notre nation, avant que l'ex-candidat aux premier et deuxième tours des dernières élections présidentielles n'en parlât durant sa campagne, nous démontre amplement, s'il en est, que cette question était à l'évidence inopportune et absente de la préoccupation quotidienne des administrés.

 Pourquoi au juste avoir ouvert la boîte de Pandore qui se traduit aujourd'hui par une espèce de banalisation du rejet de l'autre à tous les niveaux de la société ? Car se poser la question de l'identité nationale, c'est en quelque sorte susciter un problème qui ne se posait pas hier sauf pour des mouvements nationalistes (preuve que l'identité nationale est moins un problème qu'une question éminemment inopportune), créant ainsi un malaise supplémentaire vraiment mal venu dans l'actuelle conjoncture socioéconomique. Aurait-on oublié les inégalités criantes qui touchent les Français aux origines tenues suspectes ? Par ailleurs, en quoi est ce que l'amassement de définitions rendraient-elles plus effective l'intégration si tel était bien l'objectif du gouvernement et du parti majoritaire ? Ce dont personnellement nous doutons fort. En effet, d'autres considérations hélas beaucoup moins nobles semblent dominer et se jouer dans les coulisses du pouvoir...

 Ce qui est pour le moins surprenant dans le miroir aux alouettes que constitue le débat sur l'identité nationale, c'est que la question de la citoyenneté est complètement ignorée aussi bien par les artisans du projet et du débat que par ses contempteurs. Il m'est avis que le plus crucial en ces temps de violence sociale, est de reconsidérer la citoyenneté et de lui redonner toutes ses lettres de noblesse. Une citoyenneté qui met en valeur les droits et les devoirs des individus sans être systématiquement mise en regard avec le background ethnique, communautaire et/ou religieux non pour le neutraliser mais comme pour mieux le nier. Autrement dit, il ne s'agit pas, comme dans le cas de l'identité nationale, de mettre en opposition culture et/ou religion majoritaire versus culture et/ou religion minoritaire à partir d'un schéma préétabli ou d'un quelconque idéal type.

 En effet, combien sont ces Français, de tous horizons sociaux, religieux et communautaires, à s'engager activement dans les associations, dans les études, longues quelquefois, avec des moyens souvent fort modestes ; autant de manifestations de la vitalité de la société civile dans l'étendue de sa diversité.

 Si nos élites voulaient réellement mesurer les capacités réelles de leurs concitoyens de toutes origines à faire pleinement corps avec la nation, ils regarderaient davantage vers ces Français qui participent de la vitalité de la France au travers de leurs activités sociales, leur souci de réussir leurs études, de vivre ensemble, de contribuer de la sorte à la fabrique d'un nouvel universel français ; celui qui voit dans la multi-dimensionnalité des individus non une remise en cause de l'identité nationale mais une plus-value au rayonnement de la France dans le monde.

*Chercheur en sciences politiques au GREMMO/LYON II