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Halal ou la
yadjouz ? Le mur entre l'Egypte et Ghaza fait polémique et la confusion règne.
Particulièrement quand les imams s'en mêlent.
Après Cheikh Saâdane et Hadj Raouraoua, voici venu le tour de Cheikh Chibane. Dans la foulée de la belle victoire de l'équipe nationale contre son homologue égyptienne, Rabah Saâdane avait remporté une bataille d'envergure contre Hassan Shehata. Mohamed Raouraoua avait de son côté battu à plate couture le président de la Fédération égyptienne de football, Samir Zaher. Et la série ne pouvait s'arrêter là. C'est donc Abderrahmane Chibane, président de l'Association des Ouléma, qui a pris le relais. Il vient d'asséner un coup décisif au président de la prestigieuse université d'Al-Azhar, Cheikh Mohamed Tantaoui. Mais cette fois-ci, il ne s'agit pas de football, ni des propos déplacés d'un animateur de télévision mégalomane. Le sujet est autrement plus grave. Il s'agit de l'avenir de Ghaza, et du terrible sort auquel sont soumis ses habitants, un an après l'agression israélienne. Le chef d'Al-Azhar a émis une fetwa validant la décision égyptienne de construire un mur le long de la frontière avec Ghaza, pour empêcher les habitants de creuser des tunnels en vue de se ravitailler à partir du territoire égyptien. Ces tunnels, dans lesquels meurent des dizaines de jeunes Palestiniens, sont la seule voie de contact des Palestiniens de Ghaza avec le monde : partout ailleurs, y compris par mer, l'embargo israélien se poursuit de manière impitoyable depuis des années, sous le regard complice des pays occidentaux et la démission ou la résignation des pays arabes. L'Egypte, quant à elle, a fait son choix. Empêtrée dans une crise politique et économique très grave, incapable d'agir, elle a fait concession sur concession, jusqu'à devenir totalement ligotée. Mohamed El-Baradei, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, le reconnaît brutalement : l'Egypte a atteint le fond, a-t-il dit. Ce qui amène ce pays, le plus peuplé du monde arabe, à prendre des positions humiliantes, comme celle consistant à défendre une solution israélienne en Palestine, ou à fermer hermétiquement sa frontière pour empêcher les Palestiniens de Ghaza de se ravitailler et se procurer des armes. L'Egypte a donc décidé de construire un mur pour rendre sa frontière avec Ghaza hermétique. Et le pouvoir égyptien a mobilisé toutes ses clientèles pour expliquer et justifier sa décision. Organisations de masse, artistes, société civile et intellectuels courtisans ont répondu présent. Al-Azhar aussi. Et ce n'est pas un imam farfelu qui l'a fait. Il s'agit du conseil de recherche islamique d'Al-Azhar, considéré comme la plus haute autorité de l'islam sunnite, qui a pris en charge la lourde responsabilité de justifier la construction du mur égyptien. Son argumentaire se base sur le droit de l'Egypte à prendre les mesures qu'elle estime nécessaires pour protéger ses frontières et assurer sa sécurité. Au passage, le collège des ouléma d'Al-Azhar - au nombre de vingt-cinq - tente de discréditer les Palestiniens qui creusent ces tunnels, en les accusant de s'adonner à un trafic de drogue. La fetwa d'Al-Azhar a donné lieu à une levée de boucliers, avec une condamnation quasi unanime. De l'organisation des Frères musulmans aux imams de télévision, tous les professionnels de la fetwa ont dénoncé le mur égyptien, n'hésitant pas à le qualifier de « haram », contraire à la religion. A la pointe de ce combat, on retrouve les plus célèbres de ses prêcheurs, comme Youcef Al-Qaradhaoui et Abdelmadjid Zendani. Mais c'est un religieux algérien qui a volé la vedette à tout ce monde. Abderrahmane Chibane, président de l'Association des ouléma, ne se contente pas de condamner la position égyptienne. Il va jusqu'à dénier à Al-Azhar le droit d'émettre des fetwas pour le monde sunnite. Al-Azhar n'est plus qualifié ni pour émettre des fetwas, ni pour donner une légitimité religieuse, affirme M. Chibane. Al-Azhar n'était pourtant pas seul dans cette affaire. Abdellah Nedjar, autre imam célèbre, avait appuyé cette décision, de même que Akrama Sabri, muphti de la mosquée de Jérusalem, un cheikh plein d'ambiguïtés. Mis sous pression, celui-ci s'est contenté de déclarer que la construction du mur égyptien est une décision religieusement fondée. Comment se retrouver dans cette polémique entre de vénérables chouyoukh ? Faut-il y voir une opposition entre des imams officiels, contraints d'obéir à des injonctions politique, et d'autres qui se contentent de discourir sans tenir compte de l'impact de leurs paroles ? Ou bien faut-il classer les cheikhs en deux catégories, celle des mous, voire des traîtres, alors que d'autres seraient des purs et durs ? Une autre démarche consisterait à émettre une nouvelle fetwa, qui permettrait de trancher définitivement. Ces chouyoukh n'émettent pas d'avis religieux, mais des points de vue politiques. Ils font de la politique ; ils adoptent des positions conformes à ce qu'ils estiment être leurs intérêts, ou les intérêts de leurs pays. Ce qui est parfaitement honorable. En ce sens, leur discours est totalement politique. La religion n'est qu'une couverture destinée à donner un peu plus de poids à des positions politiques. Rendre à la politique ce qui lui appartient permettrait alors non seulement de préserver la religion elle-même, mais de voir clair dans une situation politique confuse. Mais est-ce possible dans des contrées où un match de foot devient le symbole du nationalisme, et où l'entraîneur de l'équipe de foot se fait imam et l'imam veut s'imposer en politique, alors que les hommes politiques sont interdits d'expression ? |
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