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Union européenne: Le challenge espagnol

par Notre Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

L'Espagne sera le premier pays à conduire les politiques européennes sous les impératifs du nouveau Traité européen, celui dit de «Lisbonne». L'occasion pour M. José Luis Zapatero de réhabiliter l'Europe aux yeux de ses partenaires. Le 2 janvier 2010, l'Union européenne entamera un nouveau mode de gouvernance basé sur l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. L'Espagne qui prend la présidence tournante pour les six mois à venir a inscrit, dans les priorités de son agenda, la mise en application des nouveaux mécanismes institutionnels prévus par le Traité. Et ce ne sera pas chose aisée tant les «luttes» pour préserver les pouvoirs de décision (et d'influences) entre le Conseil, la Commission, le département des affaires étrangères et le Parlement sont déjà engagées. L'Espagne a fait savoir, par la voix de son ministre des AE, Miguel Angel Moratinos, qu'elle ne compte pas laisser toutes les initiatives en matière de politique étrangère et de coopération avec les pays tiers, notamment celle avec l'Amérique latine, aux «nouveaux» chefs que sont le président permanent du Conseil et la ministre des AE. «Il n'y aura pas de concurrence, il y aura complémentarité», a déclaré en substance M. Moratinos.

 Cela traduit bien les inquiétudes espagnoles sur d'éventuelles pertes de son influence sur les politiques communautaires de l'Union. Sinon, le ministre espagnol n'aurait pas eu besoin de rappeler des évidences inscrites dans le Traité de Lisbonne. Traité qui attribue, justement, la conduite de la politique étrangère de l'UE au président permanent du Conseil européen, en l'occurrence M. Herman Van Rompuy, et de la ministre des AE, Mme Catherine Ashton. Par ailleurs, le chef du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, en difficulté dans son pays, ne peut laisser passer l'occasion de sa présidence tournante pour replacer l'Espagne au «centre» de la décision européenne et regagner la confiance de ses compatriotes. D'autant plus que son pays est sérieusement touché par la crise économique internationale. Zapatero a bien retenu les leçons du président français, Nicols Sarkozy, qui s'est forgé une image de grand dirigeant en multipliant réunions au sommet et campagnes médiatiques. L'illusion a été parfaite et Sarkozy a, tout en portant des coups au fonctionnement des institutions européennes, notamment au pouvoir de la Commission européenne, fait croire au monde (et aux Français) qu'il a les capacités d'un chef d'Etat hors du commun. Zapatero sait tout cela et n'hésitera pas à faire de même.

 Cependant, une inconnue demeure, celle de la personnalité du président permanent de l'UE, le Belge Herman Van Rompuy. D'aucuns se gardent de confondre sa discrétion et son amabilité avec de la «faiblesse» politique. Que du contraire. Van Rompuy est un redoutable diplomate et un artiste du compromis politique. Il l'a prouvé en venant à bout d'une crise politique d'une extrême complexité qui a failli emporter son pays, la Belgique. De plus, il ne faut pas sous-estimer Mme Ashton qui va représenter la politique étrangère de l'Union. Cette Anglaise a affûté ses armes au sein de la Commission où elle a été commissaire et bénéficie du soutien de Manuel Barroso, le président de la Commission. Certaines indiscrétions avancent que c'est M. Barroso qui a insisté pour sa nomination à ce poste prestigieux. Et puis il y a Manuel Barroso qui n'a pas oublié les «misères» que lui a causées Nicolas Sarkozy lorsqu'il assurait la présidence tournante de l'UE entre juillet et décembre 2008. Nouvellement réélu pour un mandat de 5ans (2010 - 2014), M. Barroso espère faire regagner à la Commission (sorte d'exécutif de l'UE) tout son rôle et son poids, notamment son pouvoir d'initiative. Il réhabilitera par la même occasion son prestige entamé depuis 2008.

l'upm et les questions sahraouie et palestinienne

 En plus de cet exercice pour l'équilibre des pouvoirs de décision, Zapatero va devoir faire avancer, voire résoudre, des contentieux politiques entre l'Europe et les pays tiers. Ainsi, l'Espagne aura la double tâche de synchroniser ses propres ambitions sous l'aune du nouveau Traité de Lisbonne et de réussir à boucler les dossiers qui lui sont chers. Et des dossiers, l'Espagne n'en manque pas. A commencer par celui de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Ce dossier est largement discrédité par son approche de la question palestinienne d'abord, et par l'insignifiance de ses investissements financiers ensuite. M. Zapatero sera-t-il assez perspicace et «agressif» pour rééquilibrer la relation UE - sud Méditerranée ? Car, le constat est fait que l'Europe s'est plus arrimée vers les pays de l'Est ces dernières années, ne laissant aux pays du Sud que des discours et des projets (UPM) difficilement réalisables. Faut-il rappeler que l'UE sous présidence française a fait passer en force, en décembre 2008, une décision attribuant à Israël le statut de partenaire privilégié alors que Ghaza, la palestinienne, étouffait sous l'étau israélien et le reste de la Palestine subissait la multiplication des colonies sauvages ? Le Statut particulier attribué à Israël lui permet d'assister, en tant que membre observateur, aux réunions des différents Conseils européens. C'est dans ces circonstances politiques que l'Espagne aura à convaincre de la justesse (et de la générosité) du projet de l'UPM.

 L'autre dossier qui pourrait «perturber» la présidence espagnole de l'UE est celui du Sahara Occidental. Ancienne puissance administrante du Sahara Occidental, l'Espagne est en droit et devoir d'exprimer clairement sa position et de mobiliser l'UE sur l'application des résolutions pertinentes de l'ONU sur le Sahara, soit l'exercice des Sahraouis de leur droit à l'autodétermination. Le destin de l'UPM est indissociable de ceux du Sahara Occidental et de la Palestine. L'Espagne disposera, à partir du 2 janvier prochain, de tous les atouts pour convaincre l'Europe à pratiquer une diplomatie du droit et de la justice et d'ouvrir une nouvelle de coopération en Méditerranée. Les dossiers sont lourds mais le challenge en vaut la peine. L'Espagne et Zapatero n'en sortiront que grandis.