Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La culture, mon beau souci !

par Abdou B.

«Un art qui a de la vie ne reproduit pas le passé; il le continue».(A. Rodin) Après le groupe Cevital, qui avait lancé un emprunt obligataire avec succès, c'est au tour du groupe ETRHB (un sigle trop long) de réussir le sien. Plus de six milliards de dinars ont été levés auprès de sept institutions bancaires basées en Algérie. S'il faut se réjouir de voir de grosses entreprises algériennes, privées, oser pour investir, acquérir des équipements lourds, il y a lieu cependant de constater la réserve de géants de droit public suspendus aux marchés publics, aux subventions et renflouements à partir du Trésor public, donc directement liés aux recettes des hydrocarbures qui font vivre la maison Algérie. La liberté d'entreprendre, les capacités de management et la gestion moderne d'une politique des ressources humaines dans le secteur public n'ont ni l'ampleur ni la créativité que l'on trouve dans les grandes entreprises privées. L'indépendance du public, l'imagination des dirigeants restent bridées par les tutelles et les fonctionnements administratif et bureaucratique. Une des réussites des champions nationaux réside dans le fait qu'ils recrutent, ce qui est de bonne guerre, des cadres issus du secteur public où ils ont acquis l'expérience et une somme de connaissances. L'agro-alimentaire, le bâtiment, les travaux publics, les industries de transformation, la variété des montages qui se font, à partir de certaines importations, font tourner des secteurs et rendent de réels services à l'économie, aux consommateurs et génèrent des recettes pour le fisc et créent des emplois. Ce sont là des effets positifs qui satisfont des demandes et couvrent des besoins économiques et sociaux. Les investissements en question sont des fondements essentiels pour la construction d'un tissu industriel qui irrigue l'économie et le développement nationaux, porteurs de croissance à même de diminuer la dépendance dans de nombreux domaines. Mais si les secteurs qui amènent à initier des emprunts obligataires sont vitaux et indispensables, il y a d'autres industries, elles aussi rentables, qui mériteraient un grand débat national et qui ont été souhaitées par le président de la République dans son message lors de la journée de l'artiste en juin dernier. Il s'agit bien entendu des industries culturelles qui peuvent rapporter gros et qui sont en même temps aussi nécessaires que le pain, le logement et l'emploi. Prises sous les angles culturel, identitaire, économique et financier, donc productrices d'emplois, ces industries ne semblent intéresser que très peu de responsables dans l'exécutif, le législatif et dans le monde de l'entreprise. Or, selon les analyses, chiffres et statistiques de l'UNESCO, des grands groupes multinationaux, des gouvernements européens, américains et asiatiques, les industries culturelles sont parmi les premières avec celles de l'automobile, de l'alimentaire, du médicament, des transports, de l'énergie, etc. Même en période de crise, la fréquentation des salles de cinéma, de concerts, des théâtres, de la danse, de la bande dessinée, n'a connu aucun fléchissement. Au contraire, dans les pays développés, tous les espaces culturels, avec les musées, les librairies, pour tous les âges et catégories sociales, le marché de la culture se porte bien et la consommation de biens et services dans les domaines est plutôt à la hausse.

 La naissance régulière de chaînes de télévision dans le monde atteste, elle aussi, qu'il y a des demandes, des concurrences qui font tourner à plein régime les entreprises de productions audiovisuelles, du film, du documentaire, des jeux et de tout ce qui peut aller dans une grille de programmes.

 Que les sociétés de programmes soient généralistes, d'information, thématiques ou bien hautement spécialisées (nature, histoire, géographie, musique, etc.).

 Dans tous ces domaines et secteurs, l'Algérie semble bloquée, attentiste, livrée sans aucune résistance aux chaînes satellitaires. Au lendemain de l'indépendance, l'Algérie avait aux environs de 450 salles de cinéma, un petit théâtre rue Mogador, celui qui était animé par K. Yacine. Le secteur de l'exploitation cinématographique est aujourd' hui le plus rachitique du Maghreb. Dans les années 80, il y avait des festivals internationaux du film (Annaba - Constantine), une salle de théâtre et pour le one-man-show à Riad El Feth où Fellag a connu un franc succès à ses débuts... Si le passé est le passé, bien dépassé, il y a l'avenir.

 L'année 2010 va voir la création d'un fonds destiné à renflouer le Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographique (FDATIC). Ce dernier qui existe depuis des décennies, a connu certaines mutations mais sans gros effets sur la production de films en termes industriel et de quantité. Dans tous les cas, un tel fonds, qui peut inciter et encourager, ne pourra jamais remplacer des PME / PMI constituées en une industrie pour la production, l'exploitation, la distribution et les travaux techniques qui regroupent divers métiers (laboratoires, équipements de production, de la postproduction, les décors et costumes, les effets spéciaux...).

 Tenue totalement exclue par elle-même, par la nature même de la politique officielle en la matière, l'entreprise privée n'est pas partie prenante des industries culturelles (salles de concert et de cinéma, productions de films et audiovisuelle, théâtre, danse et ballet, métiers du cirque etc.). A ce jour, le secteur culturel privé qui évolue positivement est celui de l'édition. A la clôture du dernier Salon international du livre d'Alger (SILA), il a été annoncé qu'un groupe d'éditeurs va, dans les semaines à venir, créer un forum représentatif des maisons d'édition du pays. Ce qu'il faut bien entendu saluer.

 Et le reste ? Le secteur privé est soupçonné de ne pas s'intéresser aux industries culturelles, pourtant extrêmement rentables dans de bonnes conditions. De son côté, l'Etat est soupçonné de se méfier des créations de l'esprit et de vouloir garder un total contrôle sur des activités et des produits, pourtant infimes, parce qu'ils relèvent de la liberté d'expression et de création. Le moyen le plus simple pour lever malentendus, soupçons et équivoques serait d'ouvrir le débat, de négocier avec les grands patrons du privé. Les objectifs seraient des complexes de salles de cinéma, de théâtres, de salles modernes et polyvalentes de spectacle, des laboratoires, des studios de tournage, sur tout le territoire national. En posant sur la table les problèmes du foncier, des incitations, de l'impôt différé, de la création d'emplois-jeunes, du cahier des charges, de la répartition géographique, d'une banque spécialisée, on pourra, peut-être, voir ces fameuses industries culturelles qui sont tellement florissantes dans le monde. Il est l'heure braves gens ! On peut même rêver de voir une impulsion forte donnée au débat pour aboutir à une définition consensuelle d'industries culturelles pour que l'Algérie quitte les rivages du sous-développement en la matière et produire pour sa télévision, recevoir des tournages de films internationaux, avoir un théâtre moderne par wilaya, etc. Si la culture est aussi vitale que tout le reste pour l'être humain, il serait temps d'en faire un axe majeur pour le pays, les partis et toutes les institutions, et non pas un simple beau souci.