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Belgique: Le chemin de croix

par Notre Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

Saisissant l'affaire des minarets, la Belgique s'intéresse plutôt aux autres signes religieux. Jusqu'aux croix dans les cimetières chrétiens.

Alors que partout en Europe, un débat «surréaliste» sur la question des minarets de mosquées (et de l'islam) met aux prises les sphères politiques et idéologiques, le royaume de Belgique s'offre une «parade» à la hauteur de l'événement pour rappeler à son peuple - et aux Européens - que la problématique des religions dans les sociétés modernes ne se réduit pas à la seule visibilité publique d'un minaret ou d'un clocher d'église. Et si débat il faut, le sénateur socialiste Philippe Mahoux n'a pas hésité à commencer par le commencement, et a de ce fait déposé, jeudi, devant la Commission des affaires institutionnelles du Sénat, une proposition de loi sur «une stricte application de la séparation entre les églises et l'Etat». Autrement dit, interdire, non seulement tous les signes ostentatoires d'une appartenance religieuse, mais aussi interdire «l'irruption» ou la présence de référents religieux dans les lieux et manifestations publics. Selon l'esprit de la proposition de loi, les croix chrétiennes ne devraient plus être visibles dans les cimetières, ou affichées dans certains hôpitaux, maisons de repos pour les personnes âgées, écoles mêmes dites catholiques etc. Mieux, il ne sera plus question pour le roi des Belges de prononcer ses voeux de Noël, ou de décréter jour fériés les fêtes religieuses. Du coup, les Belges perdraient 6 jours fériés par an représentant Noël, Pâques, la Pentecôte, l'Assomption, l'Ascension et la Toussaint. Sans compter celles qui font la joie des enfants comme la Saint Nicolas ou le Mardi gras. Cette proposition de loi date en fait de 2007, dont le débat a été mis en veilleuse en raison de la situation de crise que traversait à l'époque la Belgique pour la formation du nouveau gouvernement et de la délicate urgence d'une réforme institutionnelle qui déchire encore Flamands et Wallons. D'ailleurs, la proposition de loi du sénateur socialiste a été soutenue par des sénateurs libéraux flamands tel M. Jean Jacques De Gucht ou encore de l'écolo José Dubié. Ces deux sénateurs ont, depuis, réagi au retour de cette proposition de loi. «Mon but n'est certainement pas de déclencher une nouvelle tempête iconoclaste ni d'aller ôter les croix des cimetières», a déclaré M. De Gucht, estimant que le projet de texte pourrait être interprété de manière trop radicale. Côté écolo, c'est un autre sénateur, Marcel Cheron, qui a averti que «ce n'est pas le moment de prendre ce genre de risque», avant de rappeler «qu'il y a un large débat dans les Assises de l'inter-culturalité et qu'on ne peut le trancher de manière unilatérale pour le moment». Quant au sénateur libéral francophone Philippe Monfils, il a estimé que «le texte de loi présente des avancées intéressantes, mais contient aussi des aspects rigoristes excessifs». Sentant la tempête politique - et sociétale - que peut provoquer un tel débat, l'auteur de la remise à jour de ce projet de loi, le socialiste Philippe Mahoux, s'est rattrapé en demandant lui-même le report du débat, en attendant les conclusions des discussions en cours des Assises de l'inter-culturalité qui impliquent tous les acteurs politiques ainsi que les mouvements de la société civile. Le sujet est pour le moins étrange, dans la mesure où la Belgique est, pour des raisons historiques, de fait un Etat laïc. La première constitution belge, rédigée en 1831, une année après la naissance de l'Etat belge, affirme la neutralité de l'Etat, soit la séparation des églises et de l'Etat. Bien que la pays est aujourd'hui un modèle (à parfaire certainement) en matière de tolérance et de co-existence pacifique entre diverses communautés et religions, il n'est pas toujours à l'abri des réveils des nationalismes étroits d'ailleurs en Europe, ou identitaires chez soi, notamment entre Flamands et Wallons. Une ville comme Bruxelles où sont répertoriées plus de 170 nationalités différentes pour une population d'un million 200.000 habitants est un vrai défi à la modernité et une réponse cinglante aux porte-voix de la «pureté» ethnique.

 Le débat fiévreux qui a eu lieu mercredi et jeudi sur «la stricte séparation des églises et de l'Etat» démontre, malgré le caractère laïc de l'Etat, que le combat pour la défense des libertés individuelles et publiques n'est pas acquis définitivement, y compris en Occident. La vigilance contre les périls de l'obscurantisme religieux est une attitude permanente des élites politiques pour bannir, justement, l'utilisation des religions à des fins politiques.