Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

CHAPEAU, MESDAMES !

par K. Selim

La question de l'identité nationale française suscite, en Algérie, des commentaires étonnés et quelque peu persifleurs. Certains trouvent un peu triste de voir une démocratie avancée, fière de sa grande tradition intellectuelle, organiser du haut de ses institutions un débat digne d'une démocratie populaire des années soixante-dix. D'autres voient surtout, derrière les artifices de langage, une mise en question et en cause d'une population d'origine maghrébine dont l'altérité religieuse serait une menace pour la cohésion du pays.

 En ces temps que l'on voudrait de guerre des civilisations, c'est l'ennemi idéal. Menace fantôme, pour reprendre le titre d'un film de science-fiction pour adolescents attardés, mais diversion nécessaire qui pourrait être le centre de fixation de toutes les angoisses dans des sociétés gérées par la peur au nom d'intérêts économiques et politiques parfaitement identifiables.

 A de rares exceptions près, les dirigeants occidentaux ne se cachent plus derrière les discours équilibristes de naguère. Dans le même temps, crise ou non, le fossé se creuse de manière inédite entre riches et pauvres. Il se trouve - pur hasard, n'est-ce pas ? - que les citoyens «issus de la diversité» constituent le gros des exclus de la prospérité.

 Le néoconservatisme hexagonal, qui a dépassé le clivage classique entre droite et gauche, use à l'évidence de subterfuges médiatiques puissants pour aider à faire admettre son agenda. Quoi de plus efficace qu'une bonne piqûre de rappel poujado-lepéniste sur fond d'insécurité et d'immigration illégale ?

 La stigmatisation de l'éternel étranger non intégrable par définition, le musulman d'origine maghrébine, ne s'opère pas sur les modes primaires de l'extrême droite. Le discours, tout en nuances de formes, de métaphores bancales et de contorsions sémantiques, s'évertue à ne pas nommer, pour néanmoins désigner précisément à la vindicte le bouc émissaire ethnique.

 A ce jeu, l'establishment politico-médiatique, majoritairement islamo-arabophobe, fait assaut de créativité. Et c'est un transfuge de la direction du parti de gauche institutionnel, tradition SFIO oblige, qui apparaît comme le metteur en scène d'un débat administratif autour d'une identité nationale mise en péril par quelques burqas et - c'est la mode suisse - les minarets.

 Beaucoup d'intellectuels se sont élevés avec force contre la manoeuvre, mais un indicateur de l'inanité du débat est venu d'un lieu où on ne l'attendait pas vraiment. L'élection d'une Miss France prénommée Malika, élue par un public de téléspectateurs, est venue démentir le tropisme culturalo-racial qui, nous dit-on, serait une caractéristique populaire première.

 Il se trouve que l'une des expressions les plus respectables de l'identité citoyenne dans la haute tradition française - celle qui inspire du respect car universaliste, au sens élevé du terme - est bien celle de la principale organisatrice de cette manifestation, Geneviève de Fontenay, qui appelait de ses voeux l'élection d'une Miss France d'origine maghrébine.

 La dame, célèbre pour son élégance et son franc-parler, ne s'est jamais gênée pour dire ce qu'elle pensait d'une politique où l'identité se conjugue avec les rafles de sans-papiers. Avec le sourire radieux de cette Miss et la hauteur de vues de Mme de Fontenay, il est heureux de retrouver une France qui ne saurait être réduite à une unique et chétive identité. Chapeau bas, Mesdames !