|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Match de foot ou compétition politique majeure ? La rencontre
Algérie-Egypte peut hisser Djamel Moubarak au pouvoir comme elle peut saborder
la grève du CNES Ce n'est plus de la fièvre. C'est de l'hystérie. Le match Egypte-Algérie
de samedi 14 novembre 2009, comptant pour les éliminatoires de la Coupe du
monde qui se jouera en 2010 en Afrique du Sud, a largement dépassé le strict
plan du football, pour devenir un enjeu de premier plan pour les deux pays.
Au-delà de la qualification en Coupe du monde qui se profile pour l'une des
deux équipes, ce sont en effet les conséquences politiques et sociales de ce
match qui font trembler les dirigeants des deux pays.
«Pour l'Egypte, l'enjeu est très simple», nous dit un sociologue : «si l'équipe égyptienne se qualifie, Djamel Moubarak va succéder en douceur à son père». «Cela ne signifie pas pour autant qu'une élimination de l'Egypte signifiera que Djamel Moubarak sera écarté du pouvoir. Mais ce sera plus dur», dit-il. «Par contre, une élimination constituera une catastrophe nationale». Elle ramènera les Egyptiens à une dure réalité, celle des difficultés de la vie quotidienne, de la tension sociale, de la crise politique et de la question de la succession qui se poste avec acuité», ajoute-t-il. Ceci explique peut-être ce sentiment d'hystérie qui s'est emparé des «officieux» égyptiens, ces dignitaires dont la voix porte fort, alors qu'ils n'ont pas de poste officiel dans la hiérarchie du pouvoir. Présentateurs de télévision, éditorialistes et présidents d'association se sont en effet laissés aller à des propos violents, primaires, n'ayant d'égal que ce qui a été proféré par leurs alter-égo algériens. Le débordement était dès lors inévitable. Il s'est produit quarante-huit heures avant le match. Mais, si l'enjeu est important pour l'Egypte, il ne l'est pas moins pour la partie algérienne. Ce qui explique une attitude similaire, simplement aggravée, côté égyptien, par l'absence de perspectives, qui oblige à investir d'avantage dans le nationalisme primaire, chauvin et, finalement, destructif. Mais la gestion de ce match a obéi à la même logique dans les deux pays. Dans un premier temps, la montée de la tension a été suivie d'un oeil bienveillant par les autorités des deux pays. Jusqu'à ce que l'alarme soit tirée. Le ton est monté plus rapidement que ce qui était attendu, et il était devenu évident, depuis plusieurs semaines, que de graves dérapages étaient à craindre des deux côtés. Ceci a d'ailleurs poussé des officiels algériens et égyptiens à tenter d'y mettre un frein, en appelant au calme. Ministres, ambassadeurs, hauts responsables ont alors commencé à rappeler les «liens de fraternité entre les deux peuples». Trop tard. La rue continuait de s'enflammer. Les tentatives de calmer le jeu ne pouvaient plus avoir d'effet. La rue était désormais chauffée à blanc par la rumeur et par l'Internet, l'une alimentant l'autre. La rumeur sur des drapeaux brulés commençait à peine à circuler, pendant que des vidéos mises en ligne montraient de jeunes gens, même pas masqués, en train de brûler les drapeaux. Ceci couronnait plusieurs semaines de chants, de dessins et de poèmes supposés galvaniser les uns et humilier les autres. Il y a aussi une question de prestige sur laquelle il faut trancher. Même si les dirigeants ne l'avouent pas. Il y a des matches comme ça, qui restent dans l'histoire parce que leur enjeu est extra-sportif. Comme le match RFA-RDA il y a près de trois décennies, ou Iran-Etats-Unis durant le Mondial 1998, ou encore Argentine-Angleterre en 1986, peu après la guerre des Malouines. Il est pourtant difficile d'affirmer que des dirigeants algériens ou égyptiens ont sciemment orchestré tout cela. Par contre, certains faits sont troublants. Certains journaux, les plus hystériques, ont brusquement changé de cap pour rappeler que «ce n'est qu'un match de football», après avoir mené une campagne haineuse contre «l'ennemi». Comme si un tempo était donné quelque part. Ceci dit, l'enjeu politique ne concerne pas la seule Egypte. Les enjeux sont importants pour la partie algérienne. Car, en plus d'une immense joie que procurerait une qualification en Coupe du monde, une joie méritée pour une société constamment sous pression depuis bientôt deux décennies, une qualification en Coupe du monde assurerait aux autorités algériennes une année de paix sociale. Les grèves en cours, comme celle de l'Education, et celles à venir, avec une grève de deux semaines à l'université annoncée pour le début de la semaine, risquent de perdre leur impact. Le scénario de récupération de la victoire est, lui aussi, bien rôdé, avec messages aux joueurs dès la fin du match, accueil populaire à Alger et défilé dans les grandes artères d'Alger. Rabah Saadane sera fortement sollicité pour intégrer le RND ou le FLN. Le pays entrera ensuite dans une sorte d'hibernation jusqu'à la Coupe du monde, l'été prochain, en oubliant qu'il n'a pas de Championnat national de football, tant il est faussé par la triche et la corruption, que les joueurs de l'équipe nationale sont des produits d'autres systèmes de compétition, et que le pays n'a attiré que 100 millions de dollars d'investissements hors hydrocarbures durant le premier trimestre 2009, soit à peine le double de ce qu'aurait détournée Achour Abderrahmane ! Un dirigeant européen a déclaré qu'une victoire en Coupe du monde, c'est un pour cent croissance. En Algérie, une qualification en Coupe du monde, c'est un vrai bonheur, un peu de croissance peut-être, mais un formidable bol d'oxygène pour des jeunes qui sont preneurs de toute alternative à la harga. C'est rare qu'elle en trouve. Rien que pour cela, la qualification serait la bienvenue. |
|