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En matière de cancer, les malades et les responsables politiques souhaitent une intensification des recherches pour parvenir à une thérapie qui guérisse définitivement cette pathologie. Pourtant, dans bien des cas, le contrôle des tumeurs pourrait être plus efficace que leur éradication.
Il y a un siècle, le Prix Nobel allemand Paul Ehrlich a crée le concept de «projectile magique» - un composé qui cible et détruit les cellules cancéreuses ou les organismes à l’origine d’une maladie sans affecter les cellules saines à proximité. Le succès des antibiotiques il y a 50 ans semblait valider son idée. Le succès de la médecine dans la lutte contre les bactéries a été tel que la «guerre contre le cancer» repose toujours sur l’idée qu’en réunissant les talents et les moyens voulus, on trouvera un jour le «projectile magique» capable de cibler les cellules tumorales. Pourtant, l’exemple d’espèces exotiques et de récents modèles mathématiques de la dynamique des tumeurs montre qu’il est peut-être impossible d’éradiquer la majorité des cancers, et peut-être même que tenter de le faire risque d’aggraver la situation. En 1854, l’année de naissance d’Ehrlich, on a observé pour la première fois un papillon nocturne, la teigne des crucifères (Plutella xylostella) dans l’Illinois. Cinquante ans après, il avait envahi toute l’Amérique du Nord. Il infeste maintenant le continent américain, l’Europe, l’Asie et l’Australie. Son éradication avec des produits chimiques n’a donné que des résultats temporaires. A la fin des années 1980, des biologistes ont trouvé des lignées résistantes à tous les insecticides connus. Aussi les agriculteurs ont-ils abandonné l’idée d’éradiquer entièrement ce parasite. Pour maintenir une production de qualité à long terme, ils recourent aux insecticides seulement lorsque l’infestation dépasse un certain seuil. Dans le cadre d’une «gestion intégrée des nuisibles», on maintient sous contrôle des centaines d’espèces en limitant leur croissance démographique au lieu de chercher à les éradiquer. Cette stratégie est couronnée de succès. La capacité d’adaptation des cellules cancéreuses à des environnements variés, notamment ceux constitués de produits chimiques toxiques, ressemble à celle des parasites agricoles et d’autres espèces invasives. Comme dans le cas de la teigne des crucifères, l’éradication définitive de cellules cancéreuses qui se sont disséminées est problématique. Malgré le manque de résultats, le but de la thérapie anticancéreuse ressemble généralement à celui des traitements antimicrobiens : tuer le maximum de cellules cancéreuses en espérant que dans le meilleur des cas cela permettra de guérir le malade et dans le pire des cas de prolonger sa vie. Une chimiothérapie agressive permet de traiter définitivement certains types de cancer comme le lymphome de Hodgkin, le cancer des testicules ou la leucémie aigue myéloïde. Mais ce sont des cas dans lesquels les cellules tumorales répondent particulièrement bien au «traitement». De la même manière que les espèces invasives s’adaptent aux pesticides, la plupart des cellules cancéreuses s’adaptent au traitement censé les éradiquer. Le parallèle entre les cellules cancéreuses et les espèces invasives suggère que l’on trouvera une thérapie anticancéreuse efficace non pas dans les projectiles magiques de la microbiologie mais dans la dynamique évolutionnaire de l’écologie appliquée. Des études récentes montrent que les tentatives d’élimination des cellules cancéreuses pourraient accélérer l’émergence de résistances et à de récurrences tumorales, aboutissant à une moindre chance de survie des patients. Cela tient à un domaine peu exploré de la biologie des tumeurs : le coût de la résistance aux traitements. Les cellules cancéreuses dépensent de l’énergie quand elles évoluent de manière à résister à la chimiothérapie. Ainsi, pour s’adapter à des molécules toxiques, une cellule cancéreuse peut accroitre la vitesse de son mécanisme de réparation de l’ADN ou même rejeter le médicament à l’extérieur de la paroi cellulaire. Dans les thérapies ciblées, une molécule bloque le signal moléculaire qui commande la prolifération et la survie des cellules cancéreuses, mais ces dernières peuvent alors changer de stratégie, ce qui les affaiblit, car elles ne peuvent employer l’énergie qu’elles y consacrent à proliférer et envahir des tissus non cancéreux. Plus ces mécanismes de résistance sont complexes et coûteux, plus la population de cellules résistantes s’affaiblit. Plusieurs observations accréditent l’idée que les cellules cancéreuses ont un prix à payer pour leur résistance. En laboratoire, les cellules résistantes à la chimiothérapie perdent généralement leur résistance quand on enlève les molécules anticancéreuses. Les cellules affectées par le cancer du poumon résistantes à la gemcitabine prolifèrent moins, sont moins invasives et moins motiles que celles qui réagissent à ce produit. On trouve parfois des formes résistantes dans des tumeurs qui n’ont pas encore été traitées, mais seulement en petit nombre. Il semblerait que les cellules résistantes ne soient pas faibles au point d’être entièrement remplacées par des cellules sensibles au traitement, par contre en présence de souches sensibles au traitement elles doivent lutter pour proliférer. Selon nos modèles, en l’absence de thérapie les cellules cancéreuses qui n’ont pas développé de résistance prolifèrent au détriment de cellules plus faibles. Quand un grand nombre de cellules sensibles au traitement sont tuées par une thérapie agressive, les souches résistantes peuvent proliférer librement. Autrement dit, une dose élevée de chimiothérapie pourrait augmenter la probabilité qu’une tumeur réagisse de moins à moins à la thérapie. Aussi, de même qu’une utilisation judicieuse des pesticides permet de contrôler les espèces invasives, une stratégie thérapeutique conçue pour contenir la tumeur à une taille stable et raisonnable pourrait améliorer les chances de survie des malades en permettant aux cellules sensibles au traitement de bloquer la croissance des cellules résistantes. Pour tester cette hypothèse, nous avons traité par chimiothérapie à forte dose un cancer des ovaires humain appliqué à des souris. Le cancer a rapidement régressé, mais il y a eu une rechute qui a tué les souris. Par contre, lorsque nous avons traité les souris à dose plus faible et continuellement ajustée de manière à contenir le volume de la tumeur, bien qu’elles n’aient pas guéri, les souris ont survécu plus longtemps. Concevoir des thérapies qui limitent la masse d’une tumeur au lieu d’éradiquer toutes les cellules cancéreuses exige une stratégie qui ne se limite pas aux effets immédiats d’un traitement. Les chercheurs devront trouver les mécanismes qui permettent aux cellules de devenir résistantes et ce que cela leur coûte. Ils devront comprendre la dynamique évolutionnaire des populations résistantes de manière à concevoir des stratégies permettant de bloquer ou réduire leur capacité d’adaptation. Il ne faut certes pas renoncer à tenter de mettre au point des thérapies anticancéreuses toujours plus efficaces qui pourraient aboutir à une guérison définitive. Néanmoins, ne devrions-nous pas tempérer maintenant notre recherche du projectile magique et reconnaître la réalité de la dynamique évolutionnaire darwinienne dans ce qu’elle a de glacial ? Il faudrait peut-être que nous renoncions à l’objectif proclamé de la médecine, une glorieuse victoire sur le cancer, pour le remplacer par la reconnaissance de l’impasse dans laquelle nous sommes, et faire au mieux dans ce contexte. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz |
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