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Un mur ça tombe tôt ou tard

par Ahmed Saïfi Benziane

Le mur de Berlin dont on célèbre le vingtième anniversaire de sa chute en ce mois de novembre 2009, n’était en fait qu’une image symbolique de l’échec des Etats modernes longue de 155 kilomètres et des années, et visible à l’est comme à l’ouest de manières différentes. Tout simplement différentes. Image de l’échec des idéologies dans cette Europe post-hitlérienne qui sait exploiter sa cécité lorsqu’il s’agit d’autres murs. Le mur israélien emprisonnant un peuple en plein appauvrissement rongé par la faim et la soif, pour mieux l’achever au nom de cette légende d’une terre promise qui ne convainc plus personne. Un mur bien visible transposant le signe des lamentations de quelques croyances religieuses puisées dans une profondeur historique non vérifiable, prolongeant le crime contre l’Humanité, payé par d’éternelles victimes du judéo-catholicisme, sous le sceau d’un rapprochement confisqué. Mais comme le mur de Berlin, comme n’importe quel mur, le destin et l’Histoire veulent qu’il finisse en un tas de pierre où seul subsiste un petit vestige, une trace incertaine au milieu de l’oubli. Le mur américain isolant le blé mexicain, n’en prélevant que le bon grain sous forme de scientifiques et hommes de lettres, considérant que le reste, tout le reste, n’est que de l’ivraie inadmissible à la civilisation du fastfood, de la traite des noirs et du génocide amérindien. Le mur marocain honteusement soulevé de l’immensité désertique, plus recherchée pour la paix que pour la guerre. Un mur qui cache le dialogue perverti de toute une région n’ayant pas su transgresser le sens d’une frontière à l’ère ou les frontières ne sont plus que des images altérées par le temps. Mais un mur peut aussi échapper à la représentation physique que l’on s’en fait. Schengen n’est qu’un mur collé sur un passeport et que des armées de pauvres assaillent dont certains meurent en chemin et reviennent par la route des cercueils lorsqu’ils reviennent. Pour les autres, l’Eden se place entre la vie et la mort, entre l’exil et son royaume, à mi-chemin entre un pays dont ils gardent le parfum de la mère et un autre qu’il faut charmer pour que s’ouvrent ses bras, une fois trop tard. Au-delà de ce mur une charte du monde hypocritement prononcée assure chaque femme, chaque homme, de la liberté de circuler où bon leur semble parce que libres. Nés libres et asservis une fois nés. Plus près de nous le mur de l’incompréhension qui est fait de refus et d’interdits sans avoir besoin d’aucune nationalité, d’aucun extrait de naissance, d’aucune route pour opposer les uns aux autres par rapport aux intérêts, et qui voile sur son passage la véritable nature de l’Homme. Il est fait de bois et la langue qui s’y transcrit est faite de quelques mots sans phrases ni ponctuation. Une langue aussi pauvre que ceux qui en font usage. Une langue morte de promesses et aussi destructrice que le mur de Berlin, laissant derrière elle des fragments de traumatismes irréparables. Une preuve pour l’Histoire. Pour qu’elle puisse enregistrer que certains se sont cru obligés de dresser des murs là où un sourire suffit ou un signe de la main. Ceux qui ont dressé et qui dressent encore un mur entre femmes et hommes pour protéger une vertu qui éclate come une bulle à chaque clin d’_il à travers un voile. Qui dressent un mur entre une barbe aussi longue qu’une petite histoire d’amour et un magazine de mode au paier ramolli. Entre une école et une vraie cour de récréation plantée d’arbres si grands qu’une multitude de nids viendraient s’y construire, pour peu qu’ils soient plantés. Entre voisins partageant un palier pendant que la distance qui les sépare n’arrête pas de s’allonger formant une succession de dunes immobiles. Ente l’art, expression du don de soi et la manière de se l’approprier pour apaiser les pulsions dévastatrices, qui ne laissent de place qu’à la haine et au crime. Bien sûr que le mur de la pauvreté est de loin celui que privilégie la mondialisation en se réservant les stratégies de croissance les plus rapides, laissant les miettes du mangement au reste du monde. Un mur construit selon les us de la nouvelle gouvernance pour pauvres, riche en mots pauvre en couleurs et la coutume de gouvernants qui ont du mal à quitter les tribunes par peur du vertige. Construits par une Histoire drôle de gens qui habitent l’espoir ignorant celui des autres. Des gens qui arborent des colombes et partagent avec le vautour la proie une fois morte. Mais le mur du désespoir, celui contre qui se cogne les têtes bien faites et celle bien pleines laissant apparaitre les hématomes de la répression militaire et policière est celui contre lequel toutes les balles échouent parce qu’il refuse de n’être qu’une fin. Un aboutissement. Berlin entièrement libre pour la vingtième année libérée devrait évoquer aussi tous ces murs qui cloisonnent les rêves et n’être qu’un symbole à suivre.