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A chaque fois que le nom de Novembre était prononcé, la charge émotionnelle liée à ce mois remontait des fins fonds de l’âme pour nous rappeler ce que nous devons à ce mois prodigieux.
Nous lui devons simplement d’EXISTER et c’est déjà incommensurable quand on prend la peine de comparer notre quotidien, même celui qu’on estime exécrable, à la damnation endurée par nos parents dans les ténèbres de la nuit coloniale. Il cristallise à lui seul toute l’histoire de notre pays dans ses pages les plus glorieuses, mais aussi les terribles souffrances, les grandes épopées de nos héros souvent anonymes, les supplices de notre peuple et surtout les processions de martyrs qui ont consenti le sacrifice suprême. En son nom, des bataillons de jeunes se sont levés pour combattre l’injustice, offrant le meilleur d’eux-mêmes afin d’éradiquer l’humiliation de la véritable hogra. Une date sublime à l’image de la génération exceptionnelle qui a eu l’immense privilège de réveiller les consciences et d’allumer la flamme de la fierté nationale. Grâce à Novembre, on avait réappris à vivre en homme libre, récupéré notre identité, réapproprié notre culture et une religion débarrassée des pesanteurs du charlatanisme, précieux allié du colonisateur dans ses oeuvres sournoises d’annihiler toutes les velléités d’affranchissement qui pouvaient germer chez les autochtones. Qui pourrait oublier les prêches et les recommandations pseudo religieuses de la soumission aveugle et de l’obéissance sans limite à l’oppresseur élevé au rang de la providence prodigués à profusion par certains cercles ? Ceux qui trainaient comme un boulet le honteux statut d’indigène relégué à l’ignoble deuxième collège ont recouvré leur dignité. L’infâme SNP (Sans Nom Patronymique) accolé insidieusement à des prénoms souvent sarcastiques dont l’état civil de l’époque affublait sciemment la majorité de la population pour la rabaisser d’avantage était la moins vexatoire des brimades quotidiennes et de notre avilissement systématique. L’avenir des enfants des pauvres était tracé au berceau : ils étaient destinés à servir dans le meilleur des cas de «yaouled» chez le colon ou le féodal du coin en attendant d’avoir la force physique nécessaire pour reprendre fatalement le joug et la laisse que les parents ont légués en héritage. La population se débattait dans les affres de la faim, la précarité et les épidémies qui en décimaient des tribus et des douars entiers en l’absence de toute couverture médicale. Novembre est venu chambouler l’ordre établi. Il leur offre désormais tous les moyens d’évoluer vers les hautes marches du savoir et de la responsabilité. Ils ne sont limités dans leurs formations et leurs ambitions que par leurs propres capacités individuelles. A l’extérieur, l’engagement héroïque du peuple et les efforts titanesques pour s’arracher à sa condition infra humaine avaient fini par forcer l’admiration et le respect des autres nations. «Voilà donc les fameux Algériens !..». Ils ne sont pas rares ceux parmi nous qui avaient entendu cette expression dans la bouche de nos hôtes étrangers et ce, sous toutes les latitudes à l’époque où notre pays n’avait pas encore sombré dans les préjudiciables tiraillements. Novembre avait séduit l’humanité au point où notre capitale avait conquis avec panache le label incontesté de «Mecque des Révolutionnaires». Il serait naïf toutefois de prétendre que notre histoire ait pu faire l’économie d’une frange de renégats incrustés dans le corps d’une société magnanime et distillant leur poison pour réécrire l’Histoire à leur convenance ou plutôt conforme aux désirs des nostalgiques de Mr l’Administrateur du fameux Bureau arabe de triste réputation. A l’évidence, on doit admettre qu’une accumulation d’erreurs de jugement dans la gestion des affaires de la communauté nationale les a aidés consciemment ou non dans leur entreprise de démantèlement de tous nos repères patiemment et douloureusement érigés par les générations antérieures. Leur but : réduire la dimension de cette grande révolution à la taille d’un quelconque événement qui n’a ramené que... les difficultés d’obtenir un visa selon eux !. Certains iront jusqu’à regretter le départ des colons. Sur ce terreau pernicieux, de nouveaux courants sont apparus au fil des temps, il y avait celui qui prônait une nouvelle religion en affirmant détenir les clés du paradis à lui tout seul, l’autre qui remettait en cause l’identité nationale douloureusement reconquise en se découvrant une apparenté avec la civilisation de l’Atlantide, un autre ne jurait que par les canons de l’orthodoxie démocratique à condition qu’il soit assuré d’être lui, le pôle exclusif et inamovible. Il est grand temps de s’extirper de ce marécage nauséabond où l’on nous a conduits en abusant de notre crédulité sous le prétexte de la transparence : celui de l’auto-flagellation poussée à fond pour, nous semble-t-il, coller à l’air du temps. Dans cet esprit d’ouverture certains se sont laissés glisser jusqu’ à jeter le doute et même l’opprobre sur tout ce qui rappelle notre passé. Une arme offerte gracieusement aux autres qui n’éprouveront aucun scrupule pour nous parquer définitivement dans les rangs des éternels médiocres en se basant sur notre propre jugement de nous-mêmes. A voir les appréciations internationales on se pose tout de suite la question si ce sont les institutions qui manquent terriblement d’informations sérieuses sur notre pays ou bien ce sont les Algériens qui sont génétiquement incapables de se hisser au niveau des autres nations malgré leurs moyens colossaux. On découvre avec amertume que ce sont des Algériens qui n’hésitent pas à porter, sans aucune retenue, des jugements dévalorisants sur les efforts de leurs compatriotes et leur pays. Que gagnent-ils en retour à part le mépris qu’on réserve instinctivement aux renégats ? Ils ne cachent pas leur satisfaction quand leur pays est cité pour illustrer les mauvais exemples et devient la risée des autres nations. Echah ! ( bien fait) semblait dire quelqu’un de chez nous lorsque dans l’un des aéroports étrangers un pafiste sans doute surmené rabroua maladroitement un compatriote pour une broutille en lui disant « Vous n’êtes pas en Algérie ici...!». Ce genre d’observation a été relevé assez souvent en réaction à une banale incompréhension entre un Algérien et un étranger. On a fini par associer l’Algérie aux clichés d’un pays peuplé de gens peu fréquentables parce que trainant une mauvaise réputation en cultivant toutes les tares d’une société minée par l’anarchie et la rapine à grande échelle. Les meilleurs scores nous les obtenons malheureusement dans le terrorisme, la corruption, et les échecs récurrents dans tous les domaines etc... Des habitudes ont été importées, d’autres sont bien nées chez nous. La faillite de la mission de l’école et de la société en général dans l’éducation des nouvelles générations a abouti malheureusement à la perte des valeurs qui faisaient la force de notre personnalité et de l’ensemble des garde-fous contre les comportements nuisibles. Le laxisme, mais surtout l’impunité dont jouissent insolemment les incompétents et les grands spoliateurs de biens publics achèvent de pervertir l’aura de ce mois prestigieux et d’en décrédibiliser les enseignements. L’Algérien lambda ne se sent plus concerné par cette évocation dont le serment a été parjuré par ceux-là même qui avaient la charge insigne de veiller à la préservation de sa pureté originelle. Pour lui, quand on opte pour le confort et le pouvoir dans des conditions souvent scabreuses, on s’éloigne forcément du sens du message authentique et ce n’est pas avec une rencontre aussi solennelle soit-elle qu’on va retrouver la symbiose qui existait entre les différents membres de la communauté. Pour le citoyen ordinaire, les Novembristes sont synonymes de droiture et de générosité. Ils n’ont en tous cas aucun trait de ressemblance avec des salonards grassouillets suant dans des costards de haute couture et roulant en carrosse de luxe en complète inadéquation avec une société qu’ils ne cessent de dépouiller impunément au vu et au su de tous. Ils en sont même antinomiques. De véritables repoussoirs pour des générations auxquelles ils délivrent, paradoxalement, des discours sur l’effort et les hautes valeurs humaines. Ainsi, par calcul pour les uns et par manque de vigilance chez les autres nous avons dilapidé stupidement une grande partie de la culture de Novembre et bradé le capital de considération et de sympathie acquis de haute lutte auprès des autres. La célébration de cette prodigieuse date, devenue une ennuyeuse formalité, se fait présentement dans l’indifférence génèrale. Quelques vieilles reliques de Moudjahid encore vivants ameutés depuis la veille par une sono tonitruante installée dans les environs des établissements publics accompagnent un nuée de scouts turbulents au cimetière des Chouhada pour y déposer une gerbe de fleurs et bafouiller sans grande conviction un discours de circonstance éculé que personne n’écoutera. Les survivants reviendront l’année prochaine, amoindris de quelques-uns, pour honorer la mémoire de leurs frères de combat. Un haut parleur, au maximum de ses décibels, débite jusqu’à l’overdose les mêmes chansons devenues anachroniques sous une pluie de quolibets servis impudemment par des jeunes aigris à l’endroit des passages tels : «Nahnou 3oumalou eldjazair (le filet social)... Hazb Ethouar (Hazb essouragh ! Etc... Ce qui devrait être un moment d’intense émotion et de fierté d’être le digne héritier de ce mois prestigieux devient une banale servitude que le cortège des autorités et les habituels figurants de service doivent expédier protocolairement en toute urgence. Un spectacle triste à pleurer. Nous avons grand besoin de nous réconcilier avec nos valeurs originelles pour retrouver le respect de nous-mêmes et demeurer digne de porter haut le flambeau de nos glorieux ainés. Une lourde tâche pour pouvoir soutenir le regard accusateur des nouvelles générations que la cécité de certains a conduit vers la déculturation et le désespoir. Sous les cendres de Novembre, les braises sont éternellement ardentes. Il suffit de voir le vert qui couvre l’Algérie à l’occasion d’un simple match de foot-ball. Le nif et la taghenant : les deux remparts inexpugnables que l’Algérien gardera, dut-il perdre tout le reste. |
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