A chaque fois que
l'Etat se retrouve coincé quelque part, il se souvient qu'en dessous, il y a un
pays peuplé par autre chose que des généraux et des ministres, une carte de
géographie qui ne sert pas qu'à positionner les puits de pétrole dans l'espace,
des enfants qui se battent pour un avenir multicolore sans tablier, des
intellectuels qui savent écrire, lire et réfléchir.
C'est le cas du
Ministre des Moudjahidine qui se disaient anciens et qui ont fini par
comprendre que la fin d'une guerre n'est que le début d'une autre guerre contre
l'analphabétisme, la misère, le sous-développement. Une vraie guerre celle-là,
avec des morts aussi, des blessés, des sans-abris et des harraga. Qui ont fini
par comprendre que s'ils avaient lutté pour que les intellectuels puissent dire
la vérité comme ils en auraient fait le serment, sans en subir les
conséquences, l'Histoire aurait été écrite depuis longtemps déjà et que nous
serions passés aux choses sérieuses telles que l'analyse de cette Histoire et
la séparation du bon grain de l'ivraie. Mais comme la confusion arrangeait un
peu tout le monde là-haut et que les générations post-indépendance ne
disposaient que de racontars avec pour toile de fonds un certain article 120,
le mutisme a fini par céder la place à tous les mensonges, à de faux faits
d'armes et à l'écrasement de véritables combattants qui ont refusé cette
fameuse fiche communale comme justification de leur engagement envers Dieu
d'abord et une terre ensuite. L'Histoire a subi le sort des confiscations de la
parole et de l'écrit. Le texte pouvait attendre que des ventres plats se
remplissent d'air à faire éclater les boutons des uniformes. « Tu me colles une
décoration je t'en colle une, sur un champ de bataille imaginaire ». « Tu
prends le micro pour divaguer, je le prends pour t'appuyer ». De fil en
aiguille tout le monde s'est écarté des repères qui auraient pu fonder la
société et ce qui devait être une révolution n'a pu être qu'une guerre contre
l'occupation coloniale. Pourquoi alors cet empressement à faire accélérer
l'écriture de l'Histoire maintenant ? Maintenant que la révision
constitutionnelle a introduit cet acte entre les lignes d'une présidence à vie,
juste pour meubler un vide rassurant. Maintenant qu'Outre-mer des historiens
qui se sont spécialisé dans la guerre d'Algérie ont dit ce qu'ils avaient à
dire selon leur degré de maturité, selon les angles qui les guident,
remplissant les bibliothèques pour qui veut lire les lignes d'un passé. De ce
côté-ci on a continué à s'offusquer, à démentir, à jouer les vierges
puritaines, à tenir un langage intraduisible par l'écrit, à crier au complot et
à cette main étrangère brandie comme un spectre pendant que les affaires
succédaient aux affaires. Pendant que l'argent était utilisé comme une
muselière et que les crédits non remboursables faisaient détourner les regards
sur un passé qui mérite que l'on s'explique, d'autres recueillaient des
témoignages, fouillaient des archives et éditaient des ouvrage qui font
référence. Un passé qui mérite que l'on dise ce pourquoi des clans, et leurs
guerres dans la guerre. Qui mérite que l'on sache pourquoi autant de morts et
autant de veuves et d'orphelins. Qui mérite que l'on revendique une Algérie
réellement plurielle puisqu'elle l'a été avant la guerre et fermée par soucis
d'unicité de pensée après, si bien que les seuls penseurs sur lesquels
pouvaient reposer un projet social se sont tu ou ont pris le chemin de l'exil.
Maintenant que le vide a réussi à exclure la contestation, en la logeant dans
la case de la réaction, en la livrant à la vindicte populaire, en la taxant de
« hizb frança » on veut écrire l'Histoire. He bien ! écrivez-là puisque l'envie
vous en prend. Ecrivez-la à votre manière avec vos peu de mots blottis dans un
dictionnaire de fortune qui vous a permis de tenir plus de quarante ans au
pouvoir. On verra bien comment vous écrivez et de ce côté-ci de l'exclusion on
va bien rire. Ce qu'il faut savoir c'est que les pleurs ne servent plus à rien sauf
à remplir des encriers renversés au passage par des bottes. Et si devant les
larmes de nos responsables anciens et nouveaux qui couleraient y compris
pendant des heures, on pouvait se remémorer Sidna Youcef jeté dans un puits par
ses frères qui l'ont pleuré pendant des jours, l'heure n'est plus à un registre
de commerce périmé. L'heure est à la manière de s'en sortir devant les
face-à-face des forces de l'ordre contre des manifestants du même âge. Elle est
au compte-rendu envers une génération qui n'a pas touché aux dividendes de
l'indépendance et à laquelle on continue de raconter des histoires à dormir
assis. Assis sur la braise du chômage et de l'incertitude de son avenir pendant
que l'argent qui rentre par les pipe-lines coulent dans les mêmes poches depuis
toujours. De cela aussi l'Etat devrait se souvenir de temps en temps lorsqu'il
lui arrive de regarder en bas. L'Histoire s'écrira un jour, lorsque ceux qui se
croient éternels disparaitront lorsque le bon grain finira par être plus fort
que l'ivraie.