Le beau temps de
retour a levé le voile sur les nombreuses tentati- ves d'émigration clandestine
avortées en l'espace d'une poignée de jours. Dimanche 4 octobre à Mostaganem,
mardi 6 octobre au large de Annaba, puis encore à Mostaganem au large de la plage
Bahara et rebelote du côté de Annaba, trois jours plus tard, c'est-à-dire le
vendredi 9 octobre. Cette frénésie aventureuse s'est soldée par l'arrestation
de 110 harraga en moins d'une semaine. Ce retour en force, qui n'en est pas un
puisque le phénomène ne s'est jamais estompé, trouve son explication, selon
certaines lectures, dans la clémence du temps mais aussi dans l'attitude
«suicidaire» de plus en plus marquée des volontaires à l'exil. «Les jeunes
n'ont plus qu'un désir, fuir au risque de sa vie pour espérer tenter au moins
sa chance sur l'autre rive», dira Slimane, très au fait de la question. Il
avouera que la harga est loin d'être un sujet qui se conjugue au passé puisque
de plus en plus de jeunes se convertissent à l'idée en prenant exemple sur ceux
qui se sont déjà installés sur la terre «promise». «A voir les fréquences des
hargas, on en déduit qu'il n'y a pas de saison particulière ou de jour
particulier pour tenter la traversée», analysera un sociologue qui estime
également que malgré l'arsenal juridique mis en place, la pénalisation de
l'acte n'a pas été dissuasive. Ces chiffres soulignent par ailleurs l'échec des
différentes politiques de «réinsertion» et les programmes «économiques» en
direction des harraga, des promesses conjoncturelles qui sonnent comme creux de
la part de responsables politiques en totale rupture avec la réalité du
terrain. Notre sociologue s'invite à ce débat en insistant sur
l'incompatibilité du discours officiel pour enrayer ce phénomène avec les
aspirations des jeunes, las de faire semblant de vivre. «Les conditions
précaires d'une grande majorité de harraga, ainsi que le sentiment d'injustice
sociale sont en grande partie responsables de cet empressement à vouloir
tourner la page», ajoutera-t-il. Cette recrudescence des tentatives
d'émigration clandestine n'a été refroidie ni par les nombreux arraisonnements
en mer par les patrouilleurs des gardes-côtes ni par les récits dramatiques de
traversées qui finissent en deuil. Rien ne pourra les empêcher de continuer à
braver la mort, aucun programme ne sera à même de résoudre ce phénomène et tant
que la situation socio-économique de l'Algérien ne s'arrangera pas, il y aura
toujours des volontaires à l'exil, des volontaires pour la mort. En quatre ans,
l'Algérie a compté 260 morts et des milliers de disparus. Le nombre de cadavres
de harraga repêchés au large par les gardes-côtes a triplé en l'espace de
quatre ans. De 29 en 2005, il est passé à 98 l'année passée. 2008 est
considérée, au travers des statistiques, comme l'année la plus meurtrière pour
les harraga. Les services en question ont repêché 98 corps sans vie, soit une
hausse de 37% par rapport à l'année d'avant durant laquelle les gardes-côtes
avaient enregistré 61 morts. En 2008, les forces navales ont effectué 88 interventions
dans le cadre de la lutte contre l'émigration clandestine. Ces opérations ont
permis l'interception de 1.327 Algériens en majorité âgés, précise le bilan des
gardes-côtes, entre 21 et 29 ans. La majorité de ces jeunes viennent de la côte
Est du pays avec 636 «candidats» dont 442 sont issus de la seule wilaya
d'Annaba. En 2007, les forces navales ont intercepté 1.259 clandestins et 61
corps sans vie ont été repêchés au large des côtes. Le bilan de l'année 2006
s'élevait, quant à lui, à 1.016 personnes interceptées et 73 morts par noyade
repêchés. De 2005 à 2008, on a dénombré 261 morts en mer et 3.937 personnes
interceptées par les forces navales. Ces chiffres sont loin de refléter la
réalité tant les contours du phénomène ne sont pas cernés puisqu'ils n'incluent
pas le cas des disparus, morts noyés et rejetés sur les rivages des plages
espagnoles ou repêchés par les gardes-côtes étrangers. Des chiffres circulent
également avec insistance, parmi les initiés, sur ces cadavres d'Algériens qui
encombrent les morgues espagnoles. On parle ainsi de plus de 200 cadavres qui
attendent leur incinération suite à l'échec de leurs identifications et dans
l'absence de coordination entre les pays méditerranéens, ce qui a tendance à
compliquer la procédure de leur évacuation vers leurs pays d'origine. Les
morgues d'Almeria, d'Alicante et beaucoup d'autres villes méditerranéennes
abritent les corps sans vie de ces Algériens, candidats à l'émigration
clandestine. Des cadavres en décomposition, devenus méconnaissables par leur
long séjour dans les eaux salines, dérivant au gré des vagues en pleine mer.
Ils sont entreposés dans des casiers anonymes et froids en absence de document
à même de pouvoir les identifier d'une manière formelle. Loin d'une sépulture
digne et d'un deuil à faire, ces victimes des réseaux de la harga continuent
depuis des mois, voire des années, à pourrir à l'intérieur des morgues. Ce
rapatriement mortuaire est devenu la raison de vivre de plusieurs familles qui
veulent faire le deuil. Des familles devenues les habituées des morgues des
hôpitaux à la recherche d'un fils ou d'un frère disparu. Le dilemme de ces
chasses aux cadavres est l'obligation de tests ADN poussés pour identifier des
corps rejetés par la mer. Les harraga se débarrassent souvent de toutes leurs
pièces d'identité pour éviter une éventuelle reconduction dans leurs pays
d'origine et c'est ce qui rend difficile leur identification en cas de décès.