La victoire
encore fraîche de l'équipe nationale de football a suscité une joie immense et
une peur aussi bleue qu'un hématome de visage. Joie d'avoir traversé l'obstacle
rwandais avec une chance de qualification contre une Egypte qui se prend pour
le centre du monde. Joie d'avoir échappé aux griffes d'un arbitrage qui
confirme la persistance de la corruption, véritable gangrène africaine, ou tout
au moins de cette incompétence à faire des lois la seule limite entre les
Hommes. L'Afrique demeure une lecture difficile à écrire et beaucoup plus
facilement lisible par le haut. L'essentiel dan tout cela est que l'équipe
Algérienne donne à chaque fois du plaisir à faire occuper les rues par une
jeunesse en liesse à la limite de l'hystérie, brandissant un drapeau qui
voudrait en dire long sur le sens de ses couleurs. L'essentiel est que la rue
ne se fait pas occuper que par l'émeute et la destruction des édifices publics.
Qui remercier ? Un homme qui a été longtemps écarté du registre de la réussite
et dont la capacité à faire aboutir un projet, était reconnue de tous ? Des
joueurs qui font la joie des galeries européennes, alors qu'une simple
reconnaissance de leur valeur par une terre qui sait faire bouger leurs corps
sur un air de musique traditionnelle, suffit à leurs repères ? Des supporters
longtemps privés de victoires par manque de stratégie politique, poussés à
supporter des clubs étrangers et à porter haut leurs couleurs par désir de
reconnaissance en ceux qui savent gagner ? Reste l'occupation des rues par des
femmes, des hommes jeunes et moins jeunes, dansant, savourant l'instant,
oubliant l'espace d'un moment leurs problèmes, leurs misères, le mépris,
inventant des couleurs de feu et de lumière, circulant à travers eux-mêmes, se
transmettant cette force qui aurait pu nous éviter bien des regrets. Ensemble.
Un mouvement d'ensemble sans répétition, spontanément. Comme un certain 5
Juillet 62. A chaque victoire de l'équipe nationale. L'image d'un peuple qui
démontre que les lois qui le privent de manifester y compris contre Israël, ne
sont plus de mise et que ceux qui savent les faire respecter à coups de
matraques sont complètement dépassés. Ces lois qui imposent un silence total,
au mécontentement populaire et qui permettent à des émirs locaux une main basse
sur le pays. Bien sûr que les partis politiques et autres appendices
associatifs persistent dans la voie de l'autruche en feignant un rôle qu'ils ne
jouent plus ou qu'ils n'ont jamais joué. Ben sûr qu'à l'approche d'élections
ils rouvrent leurs portes sur des locaux moisis par la fermeture qu'ils
rénovent par des chants patriotiquement nostalgiques. Bien sûr qu'ils ne
servent qu'à un décor politique pour justifier le passage de grades à des
individus qui savent se faufiler entre les mailles du filet vers les cimes des
sièges de l'Etat. La leçon est pourtant facile à retenir. Une équipe de
football mobilise mieux et plus que toute la classe politique réunie, mieux et
plus que Bouteflika et ses programmes électoraux, sans contrainte et sans bus,
sans appât que celui de marquer des buts dans le camp de l'adversaire,
provoquant des cris de joie et des bras levés vers le ciel pour démontrer
qu'ils font toujours partie du corps. Pour montrer qu'après un match de
football ces bras peuvent servir à autre chose que de nager impuissants vers
les côtes de l'Europe, accrochés à une barque de fortune. Il suffit de les
voir. Pour montrer qu'ils peuvent encore labourer, porter un sac de ciment,
écrire et qu'ils en ont marre de décharger des bateaux alimentaires. De rester
croisés, les mains ouvertes sous les aisselles à attendre qu'une équipe de
football les délivre, pendant qu'une équipe gouvernementale s'amuse à dérouler
des menus de chiffres qui n'ont aucune emprise sur le quotidien. S'amuse à
faire du mensonge des chiffres, une recette non vérifiable tant la cuisine
inconnue et les cuisiniers nombreux. Un seul homme comptait aux yeux des
Algériens en ce 11 Octobre, un seul comptait à chaque match, un seul comptera
face à l'Egypte. Un homme serein pourvu du sens de la stratégie, parlant peu et
surtout pas de détails. Et cela nous rappelle Boudiaf annonçant qu'il n'avait
pas trouvé 60 personnes valables pour créer un conseil de transition. Il en est
mort juste après les voir difficilement trouvé. Le peuple de la rue a déjà
oublié. Laissons-le danser, il n'a plus que ça à faire, puisque pour une fois
nous apprenons à gagner.