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J'ai longtemps
hésité avant de m'atteler à cette chronique. Le sujet est loin d'être simple
mais de nombreuses discussions avec des amis maghrébins me convainquent de
l'aborder. Tout part de la polémique à propos de Frédéric Mitterrand, accusé
comme chacun le sait, d'avoir célébré le tourisme sexuel dans l'un de ses
livres. Je n'entends pas le juger ni me mêler du débat à propos des appels à sa
démission. Je pense simplement que l'on ne peut se réfugier derrière l'excuse
de la littérature, du « moment littéraire » selon l'expression de l'intéressé,
pour s'absoudre et balayer les indignations, qu'elles soient sincères ou
dictées par le calcul politicien.
En réalité, ce qui m'importe, c'est que tout au long de l'affaire, il a souvent été question d'amours tarifiées, de relations charnelles avec mineurs (en écho avec l'arrestation de Polanski) mais aussi de certains pays asiatiques, comme la Thaïlande, devenus de véritables pôles magnétiques pour le tourisme sexuel. Tout cela, comme si, de manière consciente ou non, la machine médiatique s'efforçait de reléguer géographiquement ces pratiques en les cantonnant à un ailleurs lointain et régulièrement cité au tableau des catastrophes et corruptions en tous genres. Et, bien entendu, pas un seul mot ou presque sur ce qui se passe au sud de la Méditerranée. Voilà un sujet interdit, abordé de temps à autre par le cinéma ou la littérature, mais que les rédactions, à commencer par celles des médias lourds, préfèrent éluder et je ne parle même pas des Etats-majors politiques. Sur cette question règne une pestilentielle omerta car la réalité, c'est que des villes en Tunisie et au Maroc sont devenues de véritables paradis pour touristes sexuels quand il ne s'agit pas de pédophiles. Petite mise au point préalable : remisons nos fiertés, évitons la surenchère nationaliste et commençons par reconnaître que si l'Algérie est plus ou moins épargnée, c'est d'abord parce que le tourisme pourvoyeur de devises n'y règne pas en maître absolu (ce qui se passe aux alentours des grands hôtels de la capitale et de ses environs relativise toutefois la thèse de l'exception algérienne sur ce sujet). Deux villes sont en tête de liste du tableau du déshonneur : Hammamet et Marrakech. Prenons la première. Il faudrait être aveugle pour ignorer le spectacle de ces plages où, sur les pas d'André Gide, des salopards bedonnants à la peau cramoisie prennent le soleil en compagnie de jeunes gens du crû dont certains sont de toute évidence des mineurs. Il faudrait être hypocrite pour affirmer ne s'être jamais retrouvé dans un restaurant à la mode où celui ou celle venus du nord offrent un généreux repas à un gamin du coin? Mais chut, silence. Nous sommes priés de détourner les yeux et de n'en parler qu'à l'abri des murs. Quant à Marrakech? Les récits qui courent au Maroc sur les avanies que subissent des mineurs derrière les murs de certains riads cossus sont épouvantables. De temps à autre, les turpitudes d'un étranger, pas nécessairement un européen car des ressortissants du Golfe sont eux aussi à blâmer, finissent par être connues. Le concerné, qu'il soit artiste, diplomate (hé oui !) ou hommes d'affaires finit par être expulsé mais, la réalité souterraine demeure inchangée. Sur le terrain, les associations de prévention font un travail remarquable. Au Maroc, des bénévoles tentent ainsi vaille que vaille d'arracher des mineurs à la triste condition de travailleur, saisonnier ou non, du sexe. Dans les deux pays, la prévention contre le sida n'est plus un tabou, c'est même devenu une urgence. Les autorités quant à elles, tentent de préserver les apparences et rechignent à effrayer le touriste. Jusqu'à présent, ni la Tunisie ni le Maroc n'ont cherché à émettre de signal en faisant un exemple. Simple question : jusqu'à quand ? Le pire dans l'affaire, c'est que les peuples notent et enregistrent en silence. Fausse résignation qui pourrait bien se transformer un jour en vengeance physique. De l'étranger, de celui qui vient du Nord ou du lointain Levant, ils retiennent le comportement inconvenant, l'arrogance du fortuné, le crime du pervers. Année après année, ce dernier se sent en confiance, intouchable et impuni. Pire, il n'est que rarement stigmatisé dans son propre pays. Pourquoi donc cesserait-il ses agissements ? D'où vient ce silence au nord de la Méditerranée ? Evoquer le tourisme sexuel qui s'y développe, c'est prendre des risques à commencer par fâcher les autorités locales. Or, nombreux sont ceux qui pourraient dénoncer cette situation mais leur problème, leur fil à la patte, est qu'ils ont fait du Maghreb un lieu de villégiature. Bien entendu, ils n'ont absolument, mais absolument rien à voir avec ceux qui y brisent des corps et des âmes, j'entends par là les adeptes du tourisme sexuel, mais ils n'ont pas envie non plus de se voir interdire le paradis. Comme Frédéric Mitterrand, ils y ont parfois des maisons ou des intérêts économiques. Et comme lui, ils prétendent que rien ne vaut l'action silencieuse car elle serait la seule susceptible de faire infléchir l'ordre des choses. Je ne crois pas à ce discours. Il pue l'égoïsme et la lâcheté. Chaque été à Hammamet, pratiquement toute l'année à Marrakech, des drames terribles ont lieu, la raison du plus riche étant la plus forte. C'est tout simplement inacceptable. |
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