|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Après la «disparition» du pacte de stabilité et de croissance économique
si capital pour une Europe forte, voici venu le temps des compromis bancals
pour une vitrine politique de l'UE sans grandes ambitions pour ses peuples.
Les Irlandais ont adopté, vendredi par voie référendaire, le Traité de Lisbonne qui ambitionne à donner au fonctionnement de l'UE plus de démocratie et une meilleure visibilité politique. Est-ce suffisant pour que l'Europe croit en son destin de future première force économique et politique du monde ? En regardant de plus près les compromis que certains Etats membres ont arrachés avant de signer, adopter et parafer le Traité, il n'est pas si sûr que l'UE ait marqué des pas de géant vers un avenir commun. A supposer que les eurosceptiques présidents tchèque et polonais signeront le Traité, à supposer que le virtuel futur Premier ministre anglais David Cameron parafera le texte dès son arrivée au pouvoir en mai prochain, enfin à supposer que le Traité entre en application dès la fin 2010, l'UE sera-t-elle pour autant en «ordre» de marche pour conquérir la place de leader politique mondial ? Pour cela, il faut regarder ce que contient le Traité de Lisbonne et surtout de voir à quel prix certains Etats, et non des moindres, ont accepté de l'adopter. A commencer par la France dont le peuple a, rappelons-le, rejeté le projet constitutionnel (père de l'actuel Traité de Lisbonne) en votant à une large majorité (54,68%) non, le 29 mai 2005. La France qui a contourné, avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en mai 2007, l'obstacle en adoptant le Traité par voie parlementaire (à majorité UMP, parti présidentiel). Sur ce point, Sarkozy avait bien raison de «forcer» l'adoption du texte, puisqu'elle est le premier pays à disposer du meilleur bonus financier européen: l'agriculture. La France bénéficie, à elle seule, de 40% des subventions européennes pour son agriculture. Elle a touché 13,7 milliards d'euros du budget européen, dont 10 milliards pour aider ses agriculteurs en 2008. Même si la France demeure le 3ème contributeur (après l'Allemagne et la Grande-Bretagne) au budget commun européen, elle n'en tire pas moins des privilèges pour bien de ses secteurs économiques. La Grande-Bretagne a, d'ailleurs, mis toujours en évidence cet avantage concédé à la France pour sauvegarder le sien, soit une ristourne fiscale annuelle de plus de 5 milliards d'euros. Pour 2008, le budget de l'UE lui a offert un chèque de 6,3 milliards d'euros. Par ailleurs, ce pays a signé le Traité de Lisbonne après avoir obtenu la garantie de l'UE de lui laisser une totale liberté en matière de fiscalité nationale et de politique étrangère. Et jusqu'à l'Irlande qui, pour entrer dans le Traité, a obtenu de ne pas être inquiétée dans sa législation familiale (interdiction de l'avortement) ni dans celle de sa politique fiscale. Ce ne sont là que quelques exemples pour relever toute la fragilité, voire l'inconsistance du Traité de Lisbonne. Ses défenseurs mettent en avant trois points essentiels: il permet de stabiliser la présidence du Conseil européen en donnant un mandat de 2 ans et demi à sa présidence au lieu et place des 6 mois actuels ; il dote l'UE d'un ministre des Affaires étrangères et étend les pouvoirs du Parlement européen (codécision). Cette organisation architecturale est parfaite sans les dérogations et avantages accordés à tel ou tel Etat membre. Autrement dit, à chaque fois que tel ou tel Etat membre se trouvera en difficulté politique ou financière, il se retranchera derrière les «dérogations» qui lui sont accordées. Les votes seront plus difficiles au Conseil européen (Instance suprême de l'UE) même si la règle de la majorité remplacera celle actuelle de l'unanimité. Sur le plan international, l'UE peine à construire une politique extérieure commune et une défense commune. Ce sont là deux domaines de réserve qui démontrent de la force et de la puissance d'un quelconque Etat. Il faudrait plus qu'un miracle pour que l'UE arrive à bâtir ces deux piliers qui lui ont toujours fait défaut, parce que les intérêts de ses membres ne sont pas les mêmes dans les autres zones géostratégiques du monde, et aussi parce que ses armées sont loin d'une intégration opérationnelle commune et une uniformisation technologique. En sus de ces remarques, l'autre question vitale pour les Etats membres est celle de l'opinion de leurs propres peuples. Des études et sondages ont démontré que la majorité des populations européennes rejetteront ce Traité en cas de vote populaire (référendum). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Etats ont préféré plutôt la voie parlementaire. Le souvenir des votes négatifs français et néerlandais n'a pas été oublié. On en arrive au paradoxe suivant: sous prétexte de plus de démocratie et de liberté pour l'Europe, les dirigeants européens privent leurs concitoyens de s'exprimer sur un texte qui conditionne leur avenir. C'est toute la complexité de la longue construction européenne dont les membres communiquent entre eux en... 23 langues différentes. |
|