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Si vous voulez
des preuves que nous ne sommes plus dans l'univers psychique et politique de la
Grande dépression, l'issue des élections en Allemagne - un gouvernement stable
de centre-droit - devrait être un argument suffisant. Dans l'Allemagne de
l'entre-deux-guerres, la dépression a anéanti la démocratie allemande et
entraîné une montée en puissance d'Hitler et du national-socialisme ; dans
l'Allemagne d'aujourd'hui, la crise économique la plus grave depuis la Seconde
Guerre mondiale a conduit à la réélection de Frau Merkel.
Il est communément admis qu'en temps de détresse économique, les électeurs punissent les partis et les politiciens en exercice. Durant toute la campagne, il n'y a jamais eu aucun doute sur la place ni sur la popularité de la chancelière Angela Merkel. La dépression de l'entre-deux-guerres a mené à la désintégration des valeurs politiques et économiques libérales. En Allemagne, en 2009, il n'y a pas eu de balancement vers l'extrémisme politique de la droite, pas plus qu'il n'y a eu de signe de quelconque soutien à une droite radicale. Aux élections des parlements régionaux, les petits partis de la droite radicale (qui n'ont jamais été caractéristiques de la politique nationale) ont tout bonnement disparu. Le grand gagnant de la campagne, qui a remporté 14,5 % des voix et une place au Parlement qui déterminera la forme du nouveau gouvernement de coalition, est l'héritier du libéralisme allemand classique, le FDP. Ce parti a fondé sa campagne sur une promesse de réduction des taxes et de déréglementation, en vue de stimuler la croissance économique dont a besoin l'Allemagne pour se sortir de la crise. Les grands perdants de l'élection sont les sociaux-démocrates, avec une chute des suffrages de 11 %, sans précédent dans l'histoire très stable du comportement électoral allemand. D'aucuns à gauche affirment que les résultats catastrophiques du SPD sont dus à un engagement trop marqué pour le libéralisme et la déréglementation. Selon eux, le parti paierait maintenant le prix des tentatives réussies du chancelier Gerhard Schroeder de réformes économiques au début des années 2000. Il semble plus probable que ce parti ait été puni pour sa terne campagne électorale et pour la négativité avec laquelle il s'est efforcé de présenter l'issue des élections (coalition de centre-droit) comme une menace à la paix sociale du pays. Durant la crise démocratique de l'entre-deux-guerres, la participation aux élections a connu une forte hausse étant donné que les électeurs s'efforçaient de protester contre « le système » que dénonçaient les partis radicaux. En Allemagne, en 2009, le taux de participation a baissé de 5 %, passant à 72,5 %, puisque les électeurs désillusionnés par la politique ont simplement pensé qu'il ne valait pas la peine de voter. Le seul point commun entre les résultats de l'entre-deux-guerres et ceux d'aujourd'hui semble être le renforcement de la gauche radicale en temps de crise économique. Mais quelle différence ! À l'époque, le parti communiste était puissant et étroitement aligné sur les intérêts et sur les politiques de l'Union soviétique. Aujourd'hui, le parti de la contestation est sans ambiguïté celui des perdants historiques : à l'Est, d'Allemands nostalgiques de l'économie planifiée et du socialisme d'État ; à l'Ouest, des détracteurs du SPD qui ont perdu une lutte de pouvoir contre Gerhard Schroeder. Le parti n'a pas de programme cohérent mais plutôt un compendium de slogans populaires et nationalistes. Sa situation témoigne de la responsabilité et de la maturité du peuple allemand : cette alliance diversifiée de mécontents n'a attiré que 12 % des votes. S'il est évident que les élections ne sont pas une victoire pour le radicalisme politique économique, il serait tout aussi erroné de les interpréter comme le triomphe de l'économie de marché. Durant toute la campagne, il y a eu un degré étrange de consensus sur les avantages des caractéristiques fondamentales d'un système de valeurs nettement européen et plus précisément allemand. Quelles sont ces valeurs ? Une économie de marché sociale plutôt qu'un capitalisme de marché effréné ; une économie d'exportation établie sur un vaste tissu industriel innovant sur le plan technique ; un immense réseau de PME souvent familiales, ouvert à l'économie mondiale ; un sentiment de responsabilité environnementale ; et une méfiance à l'égard du capitalisme d'entreprise et de la mondialisation à l'anglo-saxonne motivés par des considérations d'ordre financier. En fait, le sentiment que l'Allemagne a pu exhiber les forces uniques du « modèle allemand » a été essentiel à l'attrait de Merkel, qui a fait observer à maintes reprises quelle position ferme elle avait prise contre celle des banques. Durant les prochaines années, il n'est pas exclu que le gouvernement allemand fasse davantage entendre sa voix dans les débats européens et mondiaux. Il présentera probablement le modèle allemand comme celui qui correspond le mieux à ce dont le monde a besoin au lendemain de la crise financière. L'activité financière était largement concentrée dans ce que les Européens qualifiaient d'économies « anglo-saxonnes » : en premier lieu celles des États-Unis et du Royaume-Uni, puis de quelques petits pays qui se sont efforcés, avec pertes et fracas, de reproduire un modèle de financement libre pour tous, comme l'Islande et l'Irlande. Mais les marchés émergents qui motivent la mondialisation au début du XXIe siècle répondent à un dosage similaire d'orientation vers l'exportation et de base industrielle saillante de PME souvent familiales. Ces marchés doivent aujourd'hui réconcilier la croissance dynamique et la cohésion sociale, problème qui fut autrefois celui de l'Allemagne et pour lequel le modèle social allemand était et est présenté comme la solution. La nouvelle coalition de Merkel résonne parfaitement avec le nouveau gouvernement de Yukio Hatoyama au Japon, lui aussi en quête d'un nouveau modèle particulièrement japonais de croissance économique. Au XXIe siècle, les nouvelles conceptions nationales de l'économie ne se replient pas sur elles-mêmes ni ne se lancent dans des campagnes agressives motivées par un nationalisme racial et xénophobe, comme ce fut le cas au XXe. Dans le monde d'aujourd'hui, les modèles d'organisation sociale doivent convaincre plutôt que conquérir ; et l'on cherche des solutions locales ou nationales aux problèmes mondiaux. Frau Merkel a remporté les élections parce qu'elle a formulé une réponse claire. *Auteur de The Roman Predicament, est professeur d'histoire et d'affaires internationales à l'université de Princeton |
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