Les bureaux de poste sont devenus, en ces derniers jours de Ramadan, des
zones où le sens de la responsabilité cède la place aux comportements
injurieux, arrogants et nonchalants.
A l'approche de l'Aïd El-Fitr, les postes sont assiégées par un nombre
impressionnant d'usagers qui veulent retirer les quelques sous qui leur
restent, après avoir dépensé plus qu'il n'en fallait durant un mois qui,
pourtant, ne nous demande pas plus que sagesse et piété. «Il faut prendre un
ticket pour n'importe quoi», lance un agent au guichet aux personnes à la
recherche de renseignements. Non content d'être à chaque fois interpellé, le
guichetier fronce les sourcils et cherche par là à se donner un air sévère,
fatigué et même méchant. A la Grande Poste, il est inutile de prétendre se
frayer un chemin pour voir au moins la tête de l'agent au guichet. Beaucoup de
monde transite par cette belle bâtisse pour diverses prestations. La poste de
Didouche Mourad située en plein centre de la capitale, «un quartier huppé», se
plaît-on à le qualifier, les choses ne se passent pas autrement. A celle du 1er
Mai, appelée communément Champ de manoeuvre, les nerfs aussi sont à fleur de
peau et les visages renfrognés pour un service au compte goutte. Peut-être même
que dans ces bureaux de poste de quartier, les choses sont plus moches à voir
par rapport à la Grande Poste. La raison est qu'ils sont bien moins vastes que
la Grande Poste qui, d'ailleurs, porte bien son nom. Du coin où ça nous
semblait qu'on attendait notre tour indéfiniment, on pouvait tout voir. Les
gens étaient entassés hier à l'écoute du distributeur de tickets qui fonctionne
quand les gestionnaires de la poste veulent bien. A force d'attendre, le bruit
grinçant de cette machine énervait les esprits déjà bien usés par des heures
d'attente. «On nous a dit qu'il y a un guichet spécial pour payer les factures
de l'électricité et de l'eau, alors pourquoi on nous oblige à prendre un ticket
pour attendre avec tous les autres ?», interroge une jeune femme. Elle s'entend
répondre par un jeune homme à côté : «il vaut mieux aller à Sonelgaz pour payer
ou à la Seal, ce serait plus rapide et plus simple peut-être». Le jeune homme
avait un ticket au numéro 283. «A ce train là, je serais encore là au Shor, je
regarde si je ne connais personne au guichet pour me faire passer sinon, je
rentre chez moi». Tous les autres avec lesquels la jeune femme ne voulait pas
attendre sont des retraités dont beaucoup d'entre eux disaient qu'ils étaient
là depuis plus de deux heures. En fin de compte, l'on s'interroge sur l'utilité
de l'emplacement d'un distributeur de ticket dans un bureau de poste si la
moitié des sièges derrière le guichet sont vides. Sur dix sièges, trois étaient
occupés par des agents qui travaillaient véritablement, trois autres au fond
étaient parfois occupés parfois non mais le service ne semblait pas permanent à
ce niveau. Les quatre restants étaient vides comme pour narguer les clients qui
se faisaient de plus en plus nombreux au fur et à mesure que la journée
s'écoulait. Une jeune femme, une des agents de derrière le guichet, se plaisait
à papillonner entre ses collègues. Caparaçonnée d'une manière très inélégante,
sans goût, elle avait un stylo à la main, de temps à autre temps, elle lisait
un papier ou faisait semblant, parlait à haute voix, interpellait l'un ou
l'autre des agents sans vraiment dire quelque chose d'intéressant. Il semble
que c'est la chef quand on voit que personne de ceux derrière le guichet ne
l'ont remise en place. Autre fait curieux chez elle, elle prenait son sac comme
pour partir mais le repose et se remet à traîner de poste en poste. Indécente
manière de se comporter en pleines heures de travail. Un de ses collègues, certes
lui, très actif, prenait son portable à chaque fois qu'il sonnait. Et là, il
prenait le temps qu'il lui fallait pour répondre. Gare à celui qui lui poserait
une question. Il n'aura jamais de réponse ou alors il sera regardé de travers.
Il n'était pas évident de sortir d'un tel désordre sans entendre les injures
les plus repoussantes. «Je suis un invalide, pourquoi je devrais attendre ?»,
demande un vieil homme à un agent dont le bureau était au fond de la salle.
«Vous attendez comme tout le monde, tous ceux qui sont là sont invalides», lui
répond le concerné en se rapprochant du guichet. «Comment oses-tu me dire que
tous sont des invalides, je vais voir ton chef, tu verras». Les propos de l'un
et de l'autre s'entrechoquent et ceux de l'agent de service deviennent
insultants. «Si je sors dehors, je te défonce !», dit-il au vieil homme en lui
rajoutant «tu es vil». Le vieil homme sort en lui promettant «d'aller voir ses
chefs au Télemly». Le jeûne, le manque d'argent et le manque de civisme font
très mauvais ménage en ces derniers jours d'un mois où la sagesse doit être la
vertu des hommes. Il faut admettre que le manque de sérieux des
administrations, la nonchalance de leurs personnels et l'absence de contrôle et
de sanctions, signent davantage la débâcle du pays.