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Lorsque le
gouvernement algérien affirme que la crise financière ne nous affecte pas, cela
est vrai si l'on se place du point de vue strictement financier. En effet, le
système bancaire algérien est insensible à la déprime des marchés financiers
dans le monde, pour la simple raison qu'il est en totale déconnexion par
rapport à eux.
les investissements de portefeuille entre l'Algérie et le reste du monde sont inexistants. En revanche, les conséquences de la crise se sont manifestées indirectement lorsque la recession économique mondiale a provoqué un choc pétrolier qui a fait chuter le prix du baril de 145 dollars à moins de 35 dollars en quelques mois. Ce n'est pas la crise économique mondiale qui est responsable des difficultés économiques de l'Algérie. Ce sont plutôt les faiblesses structurelles de son économie qui explique sa forte densibilité aux chocs externes quelle que soit leur origine. Au début de la décennie 80, l'aisance financière provoquée par la hausse du prix du pétrole a permis le lancement du PAP (programme anti-pénurie). Le slogan de l'époque était pour une vie meilleure et pour cela, on pensait que pour introduire une part de bonheur dans les foyers algériens, il suffisait d'importer des biens. Le choc pétrolier de 1986 a mis fin à cette illusion et ouvert la voie à un état de cessation de paiement et l'inévitable recours à la politique de rééchelonnement de la dette extérieure. Plus de vingt ans après, un second choc pétrolier met en évidence la vulnérabilité de l'économie algérienne. La répétition du scénario de 1986 inquiète sérieusement le gouvernement. L'adoption de la loi de finances complémentaire adoptée par voie d'ordonnance en juillet 2009 cherche à faire face aux graves menaces qui pèsent sur la situation de la balance de paiement. Parmi les mesures prises dans le cadre de cette loi, l'attention se focalise sur la suppression du crédit à la consommation et l'imposition du crédit documentaire (Credoc) comme seule technique de paiement des importations. Peut-on considérer ces mesures comme des instruments de régulation adaptées à une économie en transition vers le marché ? Apportent-elle une solution durable à l'impasse économique algérienne ou bien s'agit-il simplement d'un replâtrage dans l'attente d'une évolution favorable du marché pétrolier ? Le crédit à la consommation est une technique de financement de la consommation des ménages qui a pour but de soutenir la croissance et l'activité économique d'un pays. Lors de son introduction en Algérie, il était clair que cette technique allait certes profiter à des ménages en leur donnant l'accès à certains biens durables mais surtout aux entreprises et aux banques étrangères. D'ailleurs, ces dernières se voient attribuer un monopole qui consolide leur position sur un segment rentable et à faible risque. Il est surprenant de constater que c'est seulement aujourd'hui que l'on semble prendre conscience que le crédit à la consommation est ruineux pour l'économie nationale, car il fait fonctionner les économies étrangères. Dans un système économique mondialisé, il est reconnu que les banques étrangères s'installent dans d'autres pays pour accompagner le développement de l'activité internationale des multinationales. Si on voulait réellement attirer les capitaux étrangers dans la sphère productive pourquoi avoir gelé un règlement de la Banque d'Algérie datant de 1990, lequel obligeait les concessionnaires et grossistes s'installant dans notre pays à investir au bout d'un certain délai, avec la levée de cette contrainte, les sociétés étrangères peuvent vendre leurs produits en Algérie et investir dans d'autres pays. Au moment où l'Algérie a importé des véhicules pour une valeur de 3,7 milliards de dollars en 2008, le groupe Renault-Nissan va réaliser une usine au Maroc qui doit produire 400 000 voitures annuellement dont 70 % a l'exportation et va générer 6.000 empolois. Le coût total de cet investissement est d'un milliard d'euros. Maintenant, si nous retenons l'hypothèse que la suppression du crédit à la consommation a pour cible le surendettement des ménages, alors il faut que l'autorité monétaire commence déjà par encadrer les taux d'intérêt en obligeant les banques à afficher un taux effectif global et fixer un taux plafond contre la pratique des taux usuaires. La deuxième mesure porte sur l'imposition du crédit documentaire (Credoc) comme seul mode de paiement des importations. Il faut préciser que le Credoc, selon les pratiques bancaires internationales, remplit deux fonctions : c'est un moyen de paiement et un instrument de financement des importations dans la mesure où l'importateur peut disposer de la marchandise et payer plus tard (crédit documentaire à paiement). Lorsqu'il y a une relation de confiance entre la banque et son client ou que celui-ci bénéficie d'une ligne de crédit, cette technique de paiement comporte des avantages car elle préserve les intérêts de l'acheteur et du vendeur. Si la banque a des doutes sur la solvabilité du client, elle peut exiger le versement d'un dépôt de garantie pouvant égaler le montant de la transaction. C'est surtout cet espace du Credoc qui suscite le plus le mécontentement des importateurs. La constitution de la provision est un acte d'immobilisation de la trésorerie qui annule l'avantage accordé par le fournisseur à son client lorsqu'il le fait bénéficier d'un délai de règlement. Le dépôt de garantie prive les entreprises surtout celles qui sont productrices de la possibilité d'uiliser le crédit fournisseur comme instrument de financement de leur besoin en fonds de roulement. La généralisation du Credoc comme seul mode de paiement va entraîner un effet d'éviction de toutes les sociétés importatrices qui ne disposent pas d'un matelas financier conséquent. Le credoc n'est rentable en termes de coût que lorsque les factures émises portent sur des montants élevés. Il n'est pas certain que par ce procédé l'objectif de diminution de la facture des importations soit atteint. En 2008, 42,5 % des biens achetés à l'égranger sont constitués par des équipements industriels destinés surtout aux grands projets publics. La mise en application de cette mesure risque d'encombrer le service étranger des banques, surtout si le crédit documentaire implique l'ouverture d'un dossier pour chaque transaction. Enfin, cette disposition n'améliore pas le climat de compétitivité des entreprises algériennes et peut desservir le risque Algérie car les partenaires étrangers peuvent en faire une autre lecture que celle qui est avancée par le gouvernement. Les mesures édictées par la loi de finances complémentaire 2009 font craindre aux importateurs la mise en place d'une politique indirecte de rationnement des ressources en devises. Elles sont révélatrices d'un état de panique concernant une détérioration rapide des comptes de la balance de paiement de l'Algérie. La balance de paiement est un document comptable qui peut être comparé au compte de résultat d'une entreprise dans la mesure il rend compte de son activité d'exploitation. Il renseigne sur les sorties et les rentrées de devises qui résultent des flux de biens et services et des flux financiers entre l'Algérie et le reste du monde. Depuis 2002 jusqu'à 2008, la balance de paiement de l'Algérie a été largement excédentaire grâce à la balance courante. Cela signifie que durant ces années l'Algérie a disposé d'une capacité de financement qui la classe parmi les pays exportateurs nets de capitaux. C'est grâce à cette capacité de financement que le remboursement anticipé de la dette extérieure a pu se réaliser et que la banque centrale a effectué des placements en bons du Trésor américain. La survenance d'un choc pétrolier à partir du second semestre 2008 a provoqué un scénario des plus inattendus. En effet, les résultats du 1er septembre 2009 indiquent que l'Algérie s'achemine tout droit d'ici la fin de l'année vers un déficit de la balance courante qui avoisinerait les 10 milliards de dollars. Cette évolution s'explique par trois facteurs : l'effondrement de l'excédent commercial, le volume très élevé des importations de services (transports et assurances des marchandises, études et assistance technique) et les transferts des dividendes des entreprises étrangères installées en Algérie. La valeur des services importés et celle des dividendes rapatriés ont atteint respectivement 11 milliards de dollars et 4,56 milliards de dollars en 2008. Les chiffres pour l'année 2009 confirme cette tendance et dans l'hypothèse fort probable d'une stabilité du compte financier, le solde de la balance de paiement globale sera négatif à la fin de l'année en cours. Le déficit de la balance entraînerait comme conséquence logique une dépréciation du dinar à l'égard des monnaies étrangères et pourrait affecter la convertibilité du dinar en rapport avec la décision de libéralisation des transactions courantes. L'évolution de la situation des comptes extérieurs exprime un basculement brutal d'une situation de capacité de financement à un état de besoin de financement. Cela veut dire quoi ? Tout simplement que pour financer ce besoin, la banque centrale doit puiser dans les réserves de change. Cela veut dire également que l'idée d'acheter les obligations internationales proposées par le FMI ou de faire autre placement à l'étranger n'est plus d'actualité. Imaginons maintenant un scénario catastrophe qui demeure fort probable, celui d'une forte baisse des réserves de changes suite à des causes diverses : hausse de l'euro par rapport au dollar, augmentation du prix des produits sur les marchés internationaux ou dégradation plus importante du marché des hydrocarbures, etc. Si le niveau atteint par ces réserves ne peut plus couvrir les importations, alors il faudra se tourner vers les marchés financiers internationaux c'est à revenir à l'endettement extérieur. Cette solution n'est pas évidente en raison de la crise financière internationale marquée par une contraction du crédit international. Il reste alors une ultime alternative, c'est de solliciter le soutien du FMI. Or, cette institution internationale finance le déficit de la balance de paiement d'un pays en contrepartie de conditionnalités très sévères. C'est le spectre d'une nouvelle politique d'ajustement structurel qui plane sur le pays si rien n'est fait pour freiner cette tendance. La suppression du crédit à la consommation et l'obligation d'utiliser le Credoc comme seul moyen de paiement sont des mesures qui ne sont pas à la hauteur des véritables enjeux et des défis qui se posent à l'économie nationale. Ce sont des décisions administratives et coercitives qui sont aux antipodes d'une politique de régulation propre à une économie de marché. Elles occultent les causes réelles et profondes des déséquilibres financiers internes et externes. Le débat de fond doit aller au-delà des mesures contenues dans la LFC 2009 si on veut agir efficacement sur les distorsions qui minent l'économie nationale et sont responsables de sa sensibilité aux chocs externes. Pour ne pas avoir tiré les leçons de la crise de 1986, l'Algérie est victime d'un nouveau choc pétrolier qui révèle, une fois de plus, les limites d'une stratégie économique axée délibérément sur la valorisation des hydrocarbures, l'accumulation rentière et le recyclage de cette rente dans une économie non intégrée, déstructurée, extravertie et caractérisée par une très faible capacité d'absorption. Le recyclage de la rente s'opère par le biais de la dépense publique qui devient le principal instrument de la monétisation des ressources des hydrocarbures au sein d'une économie qui ne peut pas absorber le surplus monétaire. Si on prend l'exemple de la loi de finance 2009, les recettes sont établies sur la base d'un prix du baril de pétrole explicité égal à 37 dollars. Pour l'année 2009, le montant des recettes atteint 2.787 milliards de dinars alors que celui des dépenses est de l'ordre de 5.191 milliards de dinars. On enregistre par conséquent un déficit de 2.404 milliards de dinars. Le prix de 37 dollars demeure une référence théorique, car si l'on tient compte des ressources mobilisées en puisant dans le fonds de régulation pour financer le déficit budgétaire on s'aperçoit que les dépenses sont exécutées sur la base d'un prix égal à 69 dollars le baril et non pas 37 dollars. Par conséquent, lorsque le prix du baril descend à moins de 69 dollars il y a déficit budgétaire. La stimulation de la croissance économique par la dépense publique dans le contexte de l'économie algérienne ne produit pas les mêmes résultats que ceux envisagés par la doctrine keynésienne. La monétisation de la rente pétrolière n'a pas entraîné une croissance économique globale diversifiée et durable et n'a pas eu de retombées sur les autres secteurs notamment sur le tissu industriel. L'augmentation massive des dépenses publiques financées par la fiscalité pétrolière dans le contexte d'une économie non diversifiée est à l'origine de l'explosion des importations sans impact tangible sur la production nationale. L'injection de monnaie par la sphère budgétaire a provoqué un accroissement de la masse monétaire qui est passé de 11,45 % en 2004 à 24,17 % en 2007, ce qui laisse supposer que nous allons connaître des taux d'inflation élevés. Plus grave est la hausse de la monnaie fiduciaire (billets en circulation) dont le taux de croissance entre 2004 et 2008 a atteint 76,2 % et cela au moment où des investissements considérables ont été réalisés pour le développement de la monétique : utilisation du chèque et des moyens de paiement électronique. L'élargissement des bases de l'accumulation rentière est devenu un puissant frein à l'émergence et au développement de la modernisation industrielle et d'une économie de production diversifiée. Nous avons expérimenté différentes doctrines économiques : le socialisme, le monétarisme à l'occasion du rééchelonnement de la dette extérieure et depuis les années 2000 un semblant de keynésianisme et aucune de ces doctrines n'est parvenue à ébranler les fondements d'un système économique assis sur la rente énergétique. La stratégie économique poursuivie sans relâche relève d'une conception mercantiliste. Ce courant de pensée dominant au XVI et XVII°siècle soutient la thèse selon laquelle pour enrichir une nation il faut accumuler beaucoup d'or. En ce début du 21ème siècle, la démarche économique privilégiée consiste toujours à accumuler des devises et des dinars en substituant de l'or noir (le pétrole) à l'or jaune. La diversification de la production des exportations promises depuis le choc pétrolier de 1986 n'a enregistré aucune avancée, et la même situation peut se reproduire à l'occasion du prochain plan quinquennal pour lequel on envisage d'investir 150 milliards de dollars. Pour mobiliser cette somme, la tentation sera forte de produire et d'exporter davantage de pétrole et de gaz, c'est-à-dire, consolider encore plus l'économie de rente. Et si la politique économique se limite à injecter de la monnaie résultant de cette rente par le biais de la dépense publique sans mobiliser les forces productives nationales et sans attirer les investissements étrangers créateurs de richesse matérielle, alors nous courrons le risque d'accentuer encore plus les déséquilibres actuels. Ce n'est pas une loi de finances complémentaire adoptée en catimini avec des meures à portée limitée qui va résoudre le déséquilibre de la balance de paiement de l'Algérie. Ce n'est pas la crise financière internationale qui est responsable de l'impasse économique dans laquelle se trouve le pays. La reprise économique mondiale aura lieu mais sans nous. Il est évident que la seule solution pour sortir de cette impasse, c'est de réformer l'économie en ayant le courage politique de remettre en cause l'ordre établi par le modèle rentier. C'est grâce à cette rupture que l'on peut envisager une alternative de croissance économique réelle qui crée des emplois durables, mobilise les énormes compétences maintenues dans un état jachère et sauvegarder les équilibres de la balance de paiement sur le long terme. Une telle stratégie mettra l'Algérie à l'abri d'un programme d'ajustement structurel bis dont le coût social dans les conditions actuelles serait plus élevé que celui qui a été appliqué entre 1995 et 1998. *Universitaire |
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