Par quel
mécanisme, un frère, un fils (et jamais une fille) d'un président africain
arrive-t-il au pouvoir après le décès de ce dernier ?
Rapidement
évacuée, cette question peut trouver sa réponse dans la persistance de la
structure sociale de la société africaine, postindépendances, qui se
caractérise par un tribalisme ancestral, une résistance à la modernité, un
désintérêt pour la chose publique affiché par les populations, victimes
elles-aussi de ces mêmes caractéristiques. Qu'est-ce que l'Etat-Nation alors et
quel est le sens d'une frontière nationale, d'une armée, d'une institution
parlementaire, des fondements d'un peuple, d'élections, de conventions
internationales ? Le problème c'est que la question ne peut plus se limiter à
la compréhension ou de la justification pour peu que l'on s'intéresse à ce qui
se passe en Afrique. Plus près de nous, le Gabon est en train d'en payer le
prix, par une guerre civile et tout et tout... laissant certainement des
fractures béantes pour l'avenir. Il ne faut surtout pas croire que les choses
marchent de la même façon que durant les années soixante. Les indépendances
étaient porteuses d'un vent nouveau, les leaders libérateurs étaient dotés d'une
légitimité issue du combat pour la « libération territoriale », la corruption
n'avait pas encore pourri les institutions héritées du colonialisme et tout
restait à faire. Nous sommes en 2009, de jeunes loups qui veulent leur part du
gâteau, et qui font tout pour l'arracher aux bouches édentées de leurs aînés,
sont arrivés sur le marché politique, dominé par les appareils militaires
eux-mêmes rajeunis là où il faut. Les dentiers risquent de se casser au moindre
choc et les gencives des anciens n'ont plus cette force d'avant par
rétrécissement. Pour preuve, en pleine tenue du 13ième Sommet africain pour «
traiter et résoudre les disputes électorales », l'annonce des résultats des
présidentielles gabonaises a provoqué une « dispute » entre trois gagnants dont
Ali Bongo, le fils de l'ancien président Hadj Omar Bongo 42 ans de pouvoir,
mais aussi ancien ministre de la Défense aationale de son père. C'est ce qui
fait dire à Bouteflika dans son dernier discours prémonitoire à Tripoli qu'« à
l'aube du 21ème siècle et à l'ère de la mondialisation et de la constitution
des grands ensembles, dans lesquels se créent et se fondent de nouvelles
solidarités identitaires, il est certainement plus qu'anachronique que des
considérations claniques, tribales et ethniques continuent de dominer les
relations entre les enfants d'un même pays et d'alimenter des conflits ». Tiens
donc ! La course à la longévité aux sommets du pouvoir est pourtant africaine
et ne s'arrête qu'avec le dernier souffle de la vie ou de ces fameux coups de
force qui prennent des allures parfois constitutionnelles, parfois médicales.
Au Niger, cela n'a pas marché et les signes avant-coureurs de changements
encouragés sans doute par l'ère de la « bonne gouvernance » commencent à donner
leurs fruits, tout en posant les raisons de l'inquiétude des sommets africains.
L'exemple nigérien n'a pas été suffisamment commenté, car c'est un mauvais
exemple pour les gouvernants et matière à réflexion sur demain. Quant à dire
que la mondialisation est fondatrice de nouvelles solidarités identitaires en
ignorant qu'elle est justement la contre-identité par excellence, il y a des
pièges qu'on ne peut plus éviter et dans lesquels glissent les présidences à
vie pour avoir mal jugé l'Histoire. Chaque chose en son temps. Et le temps des
risettes semble en voie d'extinction malgré les nombreuses prothèses. En dehors
du Maroc, qui essaie tant bien que mal de maintenir une monarchie essoufflée et
imitée sous sa forme africaine par le « guide de la révolution » libyen, ainsi
que quelques Etats qui ont pris le risque d'un début d'ouverture politique sous
le haut patronage des Américains et autres unionistes de l'Europe, les autres
pays d'Afrique fonctionnent sur le mode familial. Entendons par Afrique toute
l'Afrique y compris celle du Nord dont nous faisons partie. Car, souvent, nous
l'oublions par proximité d'une mer qui détermine plus les frontières du
développement que celle des cartes de navigation et sur l'usage de laquelle
nous commettons tant d'erreurs. L'Algérie, évidemment, n'est pas exclue de
cette dimension. On a bien vu ce qu'a soulevé comme interrogations la supposée
création d'un parti politique du frère de Bouteflika qui n'aurait eu que peu de
chance de créer un parti politique sans l'appui de son frère même à 52 ans. D'autres
demandes d'agrément sont déposées depuis belle lurette sur le bureau du
ministre de l'Intérieur et qui se sont vues rejetées pour cause d'inventaire
des dégâts occasionnés par une fausse ouverture politique. Il est vrai que la
Pologne offre un bel exemple de deux frères jumeaux qui se partagent le
pouvoir. Mais les jumeaux c'est connu ne peuvent pas se séparer sans douleurs
et puis la Pologne est soumise à des règles et normes européennes, ce qui n'est
pas le cas chez nous. L'exemple de Cuba lui aussi offre matière à méditation.
Seulement, Raul Castro fait partie d'une génération qui puise son acceptation
dans le contexte historique du pays. Nous sommes, quant à nous, des Africains
et nous le démontrons chaque jour un peu plus dans l'exercice du pouvoir. S'il
s'agit pour l'instant et probablement dans une première étape de faire appel à
une « génération libre » ou à un « rassemblement pour la concordance nationale
» comme chaîne de recrutement de patients en mal de traitement, il s'agit aussi
de comprendre ce qui motive le frère d'un président à briguer le pouvoir en
dehors des registres de la psychanalyse. C'est vrai qu'il n'y a pas d'héritage
sans défunt et c'est ce qui explique l'empressement de sphères connues pour
leurs allégeances permanentes aux hommes du moment. Du tapage de coulisses et
des secrets connus de tout le monde pour tester la rentabilité d'une entreprise
qui essaie de se rénover en pleine faillite politique en empruntant les mêmes
techniques désuètes. L'exemple du Gabon, celui du Niger méritent que l'on s'y
attarde ne serait-ce que pour apprendre les leçons du futur et s'arrêter à la
limite du possible en n'oubliant jamais que nous sommes d'abord des Africains.
Des Africains sans maréchal.