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Son activité jugée illégale: La Chambre française de commerce sommée de se conformer à la loi

par Ghania Oukazi

Créée en 1975 conformément à des lois qui ne sont plus en vigueur depuis 1991, la Chambre française de commerce et d'industrie en Algérie (CFCIA) active jusqu'à aujourd'hui dans une totale illégalité.

La CFCIA vient de se faire signifier le gel de ses activités pour raison de non-conformité de ses statuts avec les lois algériennes. La genèse de cette entité a été marquée par des phases où laisser-aller, infractions volontaires aux lois et règlements, complicités et autre servitude de cadres algériens, au grand mépris de la légalité, ont fait très bon ménage. Les faits sont têtus et retracent des situations incongrues où l'Etat algérien a fermé les yeux sur des dérobades et subterfuges de responsables français qui ont amassé des fortunes en activant en même temps avec un pas à Alger et l'autre à Paris.

 «Les Français ont toujours pensé qu'ils sont chez eux, alors ils ont royalement ignoré les lois algériennes avec la bénédiction, faut-il le dire, de nos autorités», nous faisait remarquer sereinement hier un haut fonctionnaire de la Présidence de la République. Il a bien accepté de nous relater l'histoire de la CFCIA - parce que c'en est bien une -, une entité qui active depuis 1975 en toute illégalité.

 «Créée en 1975 par des hommes d'affaires français, la CFCIA représente les intérêts collectifs français en Algérie et constitue un organe important de promotion des échanges franco-algériens», lit-on dans une note de la Chambre. Bien que les autorités algériennes de l'époque eussent affiché une certaine réticence à l'égard d'une institution de droit algérien qu'elles auraient jugée quelque peu «néocolonialiste», la CFCIA a activé normalement «avec une trentaine d'entreprises françaises et une quinzaine de membres algériens associés» jusqu'au début des années 90, où la situation sécuritaire de l'Algérie s'était profondément détériorée. «La directrice de la CFCIA - Mme Serr - avait décidé de quitter l'Algérie et voulait installer la Chambre en Tunisie,» raconte notre source. Cette responsable avait peu de temps après démissionné de son poste, plongeant ainsi la CFCIA dans une période de flottement. «C'est Jean-François Heugas qui a eu l'idée de relancer les activités de la Chambre. Connu pour avoir été juriste en Algérie pour le compte d'entreprises, Heugas connaissait déjà bien l'Algérie. En 1991, l'Etat algérien avait adopté la loi sur les associations sur la base de nouvelles dispositions.



«Personne n'avait prêté attention au retour de la CFCIA»



 La CFCIA, comme tant d'autres entités, avait six mois pour y conformer ses statuts. Mais en la prenant en main, toujours pour des raisons d'ordre sécuritaire, Heugas avait préféré la faire fonctionner à partir de Paris. Il n'a ainsi pas jugé utile de la conformer à la nouvelle loi algérienne, «les délais étant d'ailleurs largement dépassés.» Il fallait donc songer à l'appeler autrement. Son directeur voulait qu'elle devienne la chambre franco-algérienne «pour répondre aux lois françaises». Ce qui avait attiré l'attention de l'ambassade d'Algérie à Paris, qui avait réagi pour dire aux Français que «cette nouvelle appellation n'est pas possible parce que la chambre n'a rien de franco-algérienne puisqu'il n y a pas d'Algériens dedans». Heugas l'appelle alors CFCIA Section France. Ce qui ne l'a pas empêché de revenir dès 1995 à Alger pour la réinstaller. C'était à une période où le terrorisme faisait rage. «Personne n'avait prêté attention au retour de la CFCIA, qu'on a laissé fonctionner avec un agrément caduque, celui de 1975», affirme notre interlocuteur, qui a tenu à rappeler que l'Algérie a été mise dès 1994 sous embargo après le détournement de l'Airbus d'Air France. «Pensez-vous qu'on pouvait se permettre le luxe de rechigner sur quoi que ce soit ou d'être regardant sur des lois alors que la vie se monnayait quotidiennement ?», interroge le haut fonctionnaire, qui précisera que «les efforts de l'Etat algérien étaient concentrés ailleurs».

 Les orientations politiques étaient en évidence de laisser les étrangers venir pour casser l'isolement de tout un pays. Durant ces années-là, les Algériens étaient presque privés de sortie du territoire. Les visas étaient délivrés au compte-gouttes. Les responsables de la CFCIA commençaient à recruter des Algériens - des chefs d'entreprises - et se sont installés aux alentours d'El-Mouradia pour des raisons évidentes de sécurité. «De 1991 avec une trentaine d'entreprises françaises et 15 ou 20 membres algériens associés, la CFCIA s'était retrouvée à partir de 1995 avec plus de 1.600 adhérents algériens, y compris des cadres de différentes administrations algériennes, affiliés notamment aux ministères des Finances et du Commerce. Il faut le faire !», s'exclame notre source.



Visas, formations et transferts illicites de capitaux



 Les facilitations pour l'obtention des visas que leur garantissait la CFCIA auprès de l'ambassade de France à Alger, ainsi qu'à leurs familles, ont largement pesé dans leur adhésion. «Les adhérents algériens devaient s'acquitter chaque année de frais de cotisation équivalents à 35.000 dinars, mais pour un statut d'associé seulement, et ils ne peuvent être ni électeurs ni éligibles. Les Français, par contre, devaient payer 45.000 dinars, mais sont membres à part entière», explique notre source. Les rentrées financières de la CFCIA devenaient de plus en plus importantes. «Plus de 3 milliards de gains chaque année, c'est énorme !», s'exclame notre source encore.

 «La CFCIA avait commencé à s'occuper de formation, de management et même de l'enseignement du français alors qu'on parle français», dit le haut fonctionnaire, qui rappelle que «la mission initiale de la CFCIA est d'assurer aux entreprises françaises l'encadrement, l'animation et le développement pour pénétrer l'économie algérienne». Il fait savoir au passage que la Chambre française avait même formé des secrétaires de ministres algériens. Il continue : «La CFCIA avait réussi par ailleurs à se faire labelliser par UBI France, un organisme chargé de la promotion du commerce extérieur français. «Le couple Jean-François Heugas (directeur)?Michel de Caffareli (président) se retrouve ainsi depuis plusieurs années à gérer deux entités en même temps, l'une à Paris, la CFCIA Section France, et l'autre à Alger, la CFCIA, ceci par des artifices juridiques», dit notre source. «Nous avons assisté sans réagir à des transferts illicites de capitaux, puisque la CFCIA participe à la Foire internationale d'Alger et autres salons en prétextant ramener de l'argent de l'autre côté, mais en réalité tout se finance à partir des cotisations des Algériens à Alger, des refus de rapatriement de capitaux puisque la CFCIA Section France est une rallonge de la CFCIA, avec en plus le non-paiement des impôts. «La CFCIA a refusé de payer la TVA parce qu'elle active avec un agrément de 1975. Son directeur a même réussi à faire ouvrir des comptes auprès des banques algériennes avec le même agrément !», note notre source.

 Ce n'est qu'en 1999 qu'elle a été rappelée à l'ordre par les autorités algériennes. C'était au temps où Bakhti Belaïb était ministre du Commerce et «avait été alerté de l'illégalité de la chose par la Chambre algérienne de commerce et d'industrie (CACI)».



«Nous sommes prêts à coopter des Algériens»



 L'institution présidée alors par Ali Habor avait saisi le ministère de l'Intérieur pour signaler la non-conformité de la CFCIA aux lois algériennes. Bakhti Belaïb avait demandé à l'Intérieur de prendre certaines mesures pour obliger ce genre d'entité à se conformer aux lois du pays. «Le tout est resté lettre morte,» estime notre source. Habor réécrit au ministre du Commerce en 2004 et Bendjaber, l'actuel président de la CACI, le fait en 2006. «Les Français ont saisi Mohamed Bedjaoui, alors ministre des Affaires étrangères, pour lui faire part des pressions qu'ils subissent et ont fait savoir au ministre du Commerce qu'ils ne dépendaient pas de lui. D'ailleurs, en 2006, ils avaient même participé à la foire d'Alger, ils narguaient tout le monde», raconte notre source.

 En 2007, avec les changements de responsables au niveau des différents services du ministère de l'Intérieur, «les choses ont changé et sont allé vite. Reprise en main du dossier et rappel à l'ordre de la CFCIA pour respecter les lois algériennes». Cette fois, nous dit-on, «c'est l'ambassadeur de France en personne qui réagit et saisit les ministres de l'Intérieur et du Commerce, alors que le dossier relève du droit algérien. L'ambassadeur de France a dit aux responsables algériens: nous sommes prêts à coopter des Algériens. Ce qui est grave !».

 Nous apprenons que «l'Algérie a fermé les yeux sur le non-rapatriement de devises, les transferts illicites de capitaux, le non-paiement de la TVA, mais exige de la CFCIA de changer de statut. Le 7 juillet dernier, la CFCIA a déposé un dossier auprès du ministère de l'Intérieur avec une lettre de demande de mise en conformité, mais, souligne notre source, «ce n'est pas un dossier de conformité qu'il faut déposer, mais tout un nouveau dossier de création avec un nouvel agrément selon la loi en vigueur, avec une nouvelle assemblée générale et des membres fondateurs».

 Théoriquement, ajoute-t-on, «la section France doit être dissoute et la démission de tout le staff dirigeant serait un acte moral». Théoriquement aussi, «le gel des activités de la CFCIA a été prononcé mais son site Web continue de fonctionner et la section France se prépare pour la prochaine foire en Algérie», affirme le haut responsable à la Présidence de la République.