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De la morale d'un «pourboireux»

par El-Houari Dilmi

La bouche avalée, les yeux exorbités et le ventre dans le dos, Chalachou, par un matin «carêmeux», fixe d'un regard vitreux sa pierre philosophale pour tenter de fausser compagnie à ses cauchemars soudainement ravivés. Mais en décidant de tirer le Malin par sa queue obturée, Chalachou prend sur lui le défi mortel, devant tous ses prochains, d'exterminer jusqu'à l'avant-dernier fantassin toute l'engeance en voie de prolifération des tricheurs nés, partout dans les auges où ils pourraient subodorer leurs proies aux pommettes angulées. Qu'elles (les proies) soient cachées derrière le dos rond du petit peuple, par derrière le crâne rasé des cadavres congelés, sous l'oeil révulsé des sans-grade, des sans-le-sou, dans la poche trouée des laissés-pour-compte, ou même par-dessus le nez brisé des déclassés sociaux. A mort tous les mangeurs d'hommes donc...!

 Cachant son visage angélique derrière un foulard en toile mal cirée, Chalachou jure par le nom (in) prononçable de son défunt trisaïeul de faire bouffer du pain noir à tous ceux qui, leur vie durant, ont dévoré avec des mâchoires en fer forgé le quignon de pain rachitique des autres. Tous les autres. Et chipé à la roulotte le chicot des sans-les-dents fixes. Jetant sa langue aux fauves affamés, Chalachou se convertit sans ablutions dans le recyclage des morales usées et des hommes usagés. Pour sauver l'infra-peuple des crocs en pierre taillée des affineurs de chair fraîche, Chalachou décida même d'inventer, à partir d'une gousse d'ail frélatée, un poison anti-triche. Pour faire rendre gorge à tous les pourris putréfiés, en verlan, les ripoux décomposés, les chefs cuistots des râteliers sans étoile, les soudoyés par vocation, les prévaricateurs par formation, les concussionnaires passés maîtres en malversations de haut vol, les exacteurs riquiqui, les «pourboireux» véreux, les «tchipeurs» morveux et avec dans la gamelle cradingue toute l'engeance de ceux qui soudoient un mammouth pour exploser la tête à un hyménoptère. Croyant dur comme fer au principe en voie d'extinction que le vendu n'est jamais collé qu'aux basques crados de celui qui l'a acheté, Chalachou se retrouve nez à nez face à la faune imbattable des suceurs d'huile de coude. Il fut condamné à l'encagement, jusqu'à la preuve par neuf de sa bonne foi (e) annoncée.

 Désespéré, Chalachou jeta sa langue dans la fosse aux anthropophages, avant d'enfiler son armure de voleur d'auges pour trouver une camisole en fil barbelé en mesure de le protéger contre l'appétit rapace de la faune des bouffeurs de chair fraîche. Dans un geste preux, Chalachou offrit à la «race» envahissante des mangeurs d'hommes un décoction létale faite de viande de baudet enragé, rôti à petit feu sur un plateau en terre cuite. Parce que pour Chalachou, quoi de plus radical que d'enfoncer une potence chauffée à blanc dans la gueule... aux danaïdes de ceux qui n'ont jamais savouré que du gibet...!