![]() ![]() ![]() ![]() Outre la zalabia, la flambée des prix des
produits de consommation, les Taraouih et tout ce qui accompagne le mois sacré
du Ramadan, il faut dire que le nombre de mendiants augmente de façon
drastique, au point où il n'y a plus un endroit où on n'en voit pas. C'est même
devenu une habitude chez bon nombre de citoyens que de se transformer en
mendiant durant le mois de Ramadan, en faisant très attention à ne pas le
paraître, pour plusieurs d'entre eux. En effet, les mendiants «classiques» sont
reconnaissables à leurs accoutrements particuliers faits de lambeaux de vêtements
crasseux, aux emplacements près des mosquées, des marchés et de la poste qu'ils
choisissent, et, surtout, à leurs supplications pour amasser quelques sous,
qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il fasse chaud comme maintenant. Mais durant le
mois de Ramadan, il y a une autre frange de mendiants qui font leur apparition
dans des endroits inhabituels et en étant habillés le plus normalement du
monde. Ils se placent dans des rues peu passantes, rasent les murs, se
déplacent sur des centaines de mètres, font mine de faire leurs courses ou de
se promener pour passer le temps mais leurs yeux sont aux aguets : ils jaugent
les passants d'un oeil connaisseur et choisissent leurs «proies». Dès qu'ils
sentent que c'est une personne aisée qui pourrait leur donner quelques dinars,
ils s'en approchent subrepticement et lui demandent de les aider en ce mois
sacré de Carême. Ils affirment qu'ils sont sans travail, qu'ils n'ont pas été
payés depuis plusieurs mois, qu'ils sont malades, qu'ils n'ont aucun revenu et
qu'il ne demande qu'un pain ou quelques «dinars». Ils vous rappellent que c'est
le Ramadan, que vous devez faire la charité et que c'est votre devoir d'aider
ces pauvres bougres qui ne peuvent se payer ce que vous ramenez dans votre
couffin qu'ils regardent avec insistance. La plupart des gens approchés
n'hésitent même pas et mettent la main à la poche pour en sortir quelques
pièces et les remettre à ces mendiants d'un autre genre, s'en voulant presque
de disposer d'un salaire et de revenus alors que ceux-là ne trouvent même pas
avec quoi acheter du pain. Dans ces rues et ruelles, nous rencontrons surtout
des hommes qui n'habitent pas le quartier ou même la ville personne ne les
connaît et ils font très attention. Au niveau des marchés, ce sont surtout les
femmes que nous voyons se déplacer derrière les innombrables clients ou
s'installer près d'une boucherie, d'un marchand de fruits et légumes ou
d'autres produits. Là, elles attendent les clients, les abordent en prenant
leur air le plus malheureux et demandent souvent à ce qu'ils leur achètent un
peu de la marchandise étalée devant eux. Là aussi, les gens hésitent peu à leur
acheter ce qu'elles demandent et se disent que, du moment que ces mendiantes ne
demandent pas uniquement de l'argent, c'est qu'elles sont vraiment dans le
besoin, surtout qu'elles sont habillées très normalement, il y en a d'autres
qui vont de commerçant en commerçant pour quémander quelques produits, qu'elles
se font remettre dans beaucoup de cas. Mais la question qui vient directement à
l'esprit c'est : que vont faire ces mendiants de toutes ces quantités de pains,
de légumes, de lait ou d'autres chose que les citoyens leur remettent. En
effet, nous avons pu voir une femme qui avait près de 10 sachets de lait à
côté, une autre qui traînait difficilement un sac contenant quelque 50 pains,
sans parler de celles qui ont plusieurs kilogrammes de légumes, des fruits ou
d'autres produits. Et ce n'est que difficilement que nous avons pu savoir
qu'elles les revendaient à des commerçants dans d'autres quartiers, à des prix
moindres que ce qu'ils coûtent réellement. Rares sont ceux qui emmènent tout ce
qu'ils auront reçus chez eux pour le consommer. Une autre question se pose
aussi d'elle-même : d'où viennent tous ces mendiants ? Sont-ils vraiment dans
le besoin ? Mais là, la réponse nécessite toute une étude sociale bien que nous
ayons pu classer quelques catégories, même si ces classements demeurent
aléatoires, car nous ne pourrons jamais avoir toutes les informations voulues.
Parmi ces mendiants, il y a les habituels qui en ont fait un travail très
lucratif, qui n'ont plus aucune honte à s'afficher partout, à demander à tout
le monde, peu importe de quel statut social ils voient les gens, ils ont dans
l'esprit qu'ils pourront toujours leur donner ne serait-ce qu'un dinar. Ces
mendiants ne demeurent jamais près de leurs lieux de résidence et, le soir
venu, soit qu'ils se fassent amener en voiture, soit qu'ils se rendent devant
les commissariats pour passer la nuit en sécurité puis reprendre leur «travail»
très tôt le lendemain matin. Il y en a d'autres qui restent dans leurs villes,
en changeant uniquement de quartier et interpellent ceux qu'ils connaissent, en
leur affirmant qu'ils sont sans travail et qu'ils n'arrivent pas à nourrir les
leurs. Là aussi, et parce qu'ils les connaissent vaguement, les gens ont honte
de paraître radins et donnent parfois de grandes sommes, soit pour aider soit
pour qu'on dise qu'ils sont serviables.
D'autres, enfin, sont vraiment dans le besoin mais ne se résignent que la mort dans l'âme à tendre la main et à demander l'aumône. Leur fierté est mise à rude épreuve et c'est ce qui les pousse à choisir les rues les moins passantes, à hésiter plusieurs fois avant d'aller demander à un passant de les aider, et encore en prenant soin à ce que les autres passants ne le remarquent pas. Nous avons rencontrés I..., un homme âgé de 55 ans, qui a perdu son travail il y a longtemps et qui ne peut survivre qu'en faisant de menus travaux çà et là mais avec l'arrivée du mois de Ramadan et toutes les dépenses qui vont avec, il ne peut suivre et il a été obligé de mendier. Quand nous lui avons parlé d'article et de presse, il est devenu tout rouge et nous a supplié de ne pas le citer puis nous a demandé de faire appel à la charité des gens et, surtout, de leur dire que ceux qui mendient ne sont pas tous professionnels et que beaucoup souhaiteraient mourir plutôt que de tender le main. Mais, quoiqu'il en soit, le nombre de familles vivant au-dessous du seuil de pauvreté en Algérie de vient de plus en plus élevé et, paradoxalement, les marchés ne désemplissent pas, les produits les plus coûteux sont achetés par tout le monde. Alors, pauvreté ou pas pauvreté ? |
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