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C'est, finalement, et sans surprise, que
les musulmans entament le premier jour du Ramadan en ce samedi,
particulièrement chaud, autant pour les bourses que pour les corps. En effet,
la quasi-totalité des produits de large consommation ont connu des
augmentations inexpliquées et inexplicables, qui grèvent dangereusement les
budgets déjà instables des fonctionnaires. La dernière en date est celle du
sucre qui est passé à 75 et 80 DA le kilo après avoir affiché entre 60 et 62 DA
durant une période assez longue. Tous les autres produits sont à l'avenant même
si les citoyens, pressés par le temps et par leurs douces moitiés, achètent,
pestant contre tout et tous, comptant et recomptant leur pécule, faisant des
gymnastiques financières dignes des grands slaloms, hésitant devant un étal
pour aller plonger tête la première dans un autre, faisant la chaîne des heures
durant pour économiser un dinar et en perdre dix sur le plan de la qualité,
paraissent vouloir coûte que coûte acheter autant que faire se peut. Déjà hier,
vendredi, il était difficile de mouvoir dans les marchés tant la foule était
compacte et tous les commerçants pris d'assaut. D'ailleurs, ils en profitent au
maximum et vous toisent de haut, ne tolérant même pas que vous disiez un mot :
vous devez acheter, payer comme ils le veulent et repartir, en ayant surtout
l'air heureux et en lui disant merci. Outre tous ces ventres qui courent après
la bouffe avant même d'avoir jeûné, il y a toute une faune de vrais ou faux
mendiants qui vous collent à l'oreille, vous regardent d'un air malheureux et
quémandeur, implorent votre générosité en vous promettant le pardon de Dieu et
son paradis. Ils sont si nombreux que les gens les évitent comme la peste quand
ils ne les rabourent pas carrément. En effet, beaucoup de citoyens, déjà gênés
et ne sachant pas comment s'en sortir, se voient approcher par un, deux puis
jusqu'à dix ou vingt mendiants, l'un après l'autre, qui demandent un kilo de
patate, qui un peu de viande... Alors que certains n'en ont même pas acheté !
Ailleurs, aux alentours des souks, sur les trottoirs, un peu partout, des
dizaines d'enfants d'hommes et de femmes proposent du pain fait maison. Il y a
le F'tir, le Matlouû, préparé de différentes façons. Chacun vante sa
marchandise, mais tous se sont mis d'accord sur le prix : 25 DA pour celui
préparé avec de la farine et 35 pour celui préparé avec de la semoule et pour
le F'tir. Les jus et charbet sont aussi présentés sur des étals de fortune à
chaque coin de rues, le kalbalouze et la zalabia ont refait leur apparition et
les devantures aveugles des cafés donnent le ton du Ramadan ! Dans les
mosquées, le nombre de fidèles a quintuplé et il faut se présenter tôt pour une
place, sinon c'est sous le soleil dur de l'été que vous faites votre prière.
Mais malgré tous les aléas, toutes les perturbation, toutes les disputes et,
surtout, la cherté de tous les produits, Ramadan restera sacré pour les
Algériens et chacun entame le jeune avec une foi retrouvée et un bonheur
inégalé.