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Voilà que le mois
sacré pointe son nez dans un dénuement quasi total. La flambée des prix est
ainsi une énième fois ressassée. La solidarité aussi. Le comportement citadin,
l'attitude citoyenne ont fui petit à petit l'ancrage de valeur qui le
caractérisait. L'échelle sociale justement de ces valeurs ne semble plus avoir
de marches.
Tout se dégringole. La critique est nécessaire dans la société. L'autocritique l'est davantage. Elle l'est d'autant plus impérative, lorsqu'il s'agit de se rappeler par intermittence la charte morale dans ses droits et ses obligations. Combien de fois, dans les cénacles de la prestesse d'idées et de la haute pensée décisionnelle, des gens et des gens n'ont-ils pas tenté de connecter les échecs et les décadences de faits ou d'événements au bouleversement des différents échelons d'une grille qu'ils nommaient l'échelle des valeurs ? La société s'érige par l'idée que font d'elle ses sociétaires. Elle s'épanouit et progresse par les idées qu'ont pour elle ses propres sociétaires. Donc la société en termes de commerce ne vaut que ce que valent les détenteurs de ses capitaux. L'institution, que par ceux qui la dirigent. C'est une évidence dites-vous. Mais force est de ne pas omettre que tout ce qui est évident n'est ni parfait ni imparfait et que la certitude d'un moment est une variabilité un autre moment. Que la vérité d'un jour n'est forcement pas une vérité éternelle. Alors que dire de la certitude d'une personne ou de la vérité d'une autre à l'égard d'une personne ou d'une autre ? Par quelle valeur aura-t-on la sérénité consciencieuse ou morale à lire sans décryptage cette échelle ou grille de valeurs ? Le «qui tue qui» avait failli, après l'avoir ébranlée, renverser l'échelle sur laquelle repose toute la valeur d'une institution républicaine crainte et respectée. Est-ce au tour de «qui juge qui» ou plus exactement «qui apprécie qui» de venir, séditieux et provocateur, se pointer au ras de nos marasmes ? Que dites-vous quand pour gagner l'estime d'un pouvoir, sans bon de commande, au préalable, le perverti accuse de perverti un autre ex-pouvoir, l'escroc condamne d'emblée son bien et sa vertu ? le juge-arbitre admoneste sans voir, houspille sans croire et blâme sans s'émouvoir ? ou quand pour plaire au successeur sain et dénué de préjugés, décrocher les photos du prédécesseur est un jeu de gamin où il valait mieux accrocher la photo de son propre père ! L'histoire n'est pas un dépotoir quand elle retint que Galilée, condamné, n'avait pas tort ! Qu'Hitler vivafié, forcené et fou, était fort ! Ou que El Halladj, mystique et illogique, jetait et présageait des sorts ! La déliquescence de la société ne peut apparemment provenir que des prismes tout à fait faits sur mesure au moyen desquels l'on se tient prêts à dresser d'abord des constats, puis formuler des jugements... de valeurs. Tant sur des modes de gestion, des façons de réflexion ou simplement sur des états d'être, de paraître ou de vouloir être que sur des personnes et/ou de leurs d'idées. Si la différence de vue garde bien son caractère uniquement de point de vue, cela ne voudrait pas essentiellement dire que l'un a tort et l'autre a raison. Car certains esprits épris d'une prise de vue sur un cas, croient en prendre une vue d'ensemble alors qu'en fait il ne s'agit que d'un ensemble de vues. Diffuses, éparses, aptes au débat et à la concertation, au mieux ; au traitement autocritique. Combattre c'est mieux que battre, convaincre est tout aussi meilleur que vaincre. C'est en somme ça l'échelle de valeurs que nous avons quelque part hélas mis en exergue, sinon aucune valeur ne pourrait être contenue dans l'échelle échappant à notre goût ou appréciation. L'Algérien a-t-il gardé cet instinct fort religieux et fort civique d'apporter son aide et son assistance, face à un cas l'obligeant à le faire ? Les fléaux que connaît le bled, je pense eu égard aux divers aléas, n'avaient pu extraire de cet Algérien ce sens, appelé à coup de spots publicitaires à signaler un danger ou une menace quelconques pouvant revêtir l'apparence terroriste. Pourquoi ? Le tracas interrogatif, la suspicion et la trouille procédurales, ainsi que l'absence de crédibilité sont à l'origine de ce que la loi aussi pourrait qualifier de crimes ou de délits de non dénonciation d'actes répréhensibles, d'embrouille à une instance judiciaire ou finalement de rétention d'informations capitales. Il en est de même de cette «valeur» attachée à l'honneur de se faire le parent, dans la rue, de tous les enfants qui oseraient s'adonner à l'accomplissement de quelques trucs, jugés incorrects ou indécents, tels pour un môme de 6 ans, qui sur un capot perché tenait en son bec un mégot, malgré son beau plumage d'écolier. Le vrai parent te fera entendre ce que ton père, si c'en est le cas, ne le lui dira point. Que reste-t-il des «valeurs de novembre» ? Devenu, hélas, anodin et une date uniquement officielle, le premier novembre passe pour avoir été, d'une manière incongrue, confisqué aux dépens de son artisan, le peuple entier. 1962 et un peu plus tard, à chaque balcon, ou fronton de maison, pendait fier et altier le drapeau algérien. Il était le plus beau pavoisement de l'époque et le mobilier symbolique le plus patriotique. Il n'était pas un bout de tissu que maintenant l'on accroche pêle-mêle et n'importe où. Les kiosques à tabac, les stations d'essence ont en fait un décor se confondant maladroitement aux couleurs de leurs fanions. Il était un grand sentiment et une immense expression identitaire. Il hantait les quartiers, les îlots et les pâtés. Il faisait la joie dans les larmes des écoliers et la munition dans les armes des guerriers. A présent, rares sont ceux qui en leurs demeures possèdent cet emblème de famille. Rares le sont davantage ceux qui l'arborent ou le hissent par-devant leur royaume ou chaumière. Novembre ainsi craint de s'échapper du cours de l'histoire. N'est-il plus une révolution, cette douce grâce salutaire pour les souffrances que causait la France pour les crânes de bébés que nous étions ? Il devient aux dépens de l'histoire une fête, dans des salles de fêtes, ou à Riadh El-Feth aux sons d'un raï inopportun en la circonstance. C'est une cérémonie inconviviale, une mission et un service qu'accomplit majoritairement le personnel officiel ou politique. Une séance hautement solennelle de décoration mutuelle ou une occasion amnistiante. Ainsi, l'on a fait un ordre du jour (de l'année) impératif pour ce type d'agents de l'Etat, voire de l'administration. Et novembre devint à son tour une valeur, hélas administrée. Tout près de novembre, dans chaque contrée, existe et s'élève taciturne et silencieux le cimetière des martyrs. Un site en marbre et en albâtre, des épitaphes gravées en un alphabet doré, sont, le croit-on, le sarcophage à ciel ouvert de la gloire et du mérite national de ces âmes éteintes pour les âmes qui brûlent encore. Elles sont, nous en sommes sûrs, des deux côtés, sur le trône de celui à qui appartient le tout. Allah, le Tout-Puissant. Qu'en fait-on de ces cimetières ? Y lire la Fatiha en y déposant une gerbe de fleurs. Rendons-nous ainsi les honneurs à ceux sans qui le soleil n'aurait brillé d'un éclat étincelant dans la profondeur des prunes de nos pupilles ? La Fatiha ne se lit-elle valablement qu'en ces endroits voulus en excroissance funéraire à une administration qui tient aussi à administrer le rite et l'art post-mortem ? Je ne crois pas savoir et avoir vu que des jeunes, d'un élan spontané et non «organisé», se décident à aller un par un ou par vague, un premier novembre se recueillir et méditer auprès de pierres tombales anonymes où reposent paisiblement les insignes de la vaillance nationale. Nos glorieux martyrs. Néanmoins la raison peut paraître simple du fait qu'il est interdit de se faire admettre en visiteur à l'enceinte du cimetière, défense observée par le vigile qui ne sait ouvrir le portail qu'aux délégations officielles et après avis d'une autorité compétente. Voilà une autre valeur administrée. A-t-on pensé un instant à ramener nos gosses, un premier novembre, visiter le cimetière des martyrs ? Leur apprendre sur site le credo de «afin que nul n'oublie...», ils ne vivent cette «visite aux martyrs» qu'à travers les écrans de la TV et pour eux c'est peut être... un film. Protocole quand tu nous tiens ! Ils ne devraient pas se sentir non concernés. Le nationalisme, certes, peut s'apprendre à l'école, mais, le voir, le sentir, le toucher, le pratiquer, et se recueillir pour l'âme de ses pionniers et artisans, s'avère plus fort que tout cours ou leçon d'histoire et plus expressif que les scènes d'un journal télévisé. Ce besoin de renoncement partiel et instantané au monde, ce devoir qui nous prend au débotter des occurrences illustres des aïeux, ne peut se satisfaire et se fige, cantonné dans l'image des écrans pour les télévores que nous sommes. Car cette boîte magique «sandoug laâdjab» qu'est la télévision, voulant se voiler d'une voilette mariale au nom d'une neutralité de service public, fait ravages et tapages dans la valeur des choses et des êtres. Au même titre que les autres supports d'information (journaux, radio...), elle concerte et désarçonne les valeurs. Le journal télévisé de 20 heures ou la table ronde qui s'ensuit ont bien remplacé l'oraison et la narration des historiettes du «ghoul» et de «la vache des orphelins» que contait la grand-mère. La morale civique et l'amour du prochain ne s'apprenaient pas par la bouche d'un ministre qui se goure à chaque intervention, mais par la morale même et l'amour en personne. Les veillées familiales n'étaient pas défamiliarisées par l'abondance itérative d'un discours indigent et pompeux devenu trop pompant du temps familial. La chaleur humaine y était d'un apport conséquent. La confiance y était totale. La famille donc est une autre valeur qui dans ses intimes relations se disloque au gré du câble et des ondes. Les effets de l'amour dans un peuple sont nombreux. Un de ceux-ci est le sens spontané et soudain qui s'exprime en termes de solidarité agissante en cas de situation rendant cet effort indispensable. La raison de cette valeur sociale est le degré sublime d'être utile à l'autre, de répondre à qui lance des appels en silence et de se convaincre des préceptes du bien envers autrui. Le voisinage qui passait pour un quasi-droit à l'héritage, risque de devenir un cas de malaise et de bruitage. Une porte a peur de son vis-à-vis. La suspicion règne dans les cages des immeubles. Et quand un malheur s'abat, il ne fait dire que cela n'arrive qu'aux autres et quand il arrive, incontournable, il clame que nul n'est à l'abri. La solidarité était comme la charité ; invisible et non ostentatoire. Donner son sang était une offre gracieuse, exprimée loin des yeux et tous près des coeurs. Pourquoi montre-t-on un ministre ou un autre faire acte de bienfaisance par octroi de bus, de couffins de ramadhan par-devant les caméras, en vue d'une prise de vue personnalisée ? Pour qui le faisaient-ils ? Voulaient-ils volontairement l'en offrir ou nous en offrir l'image de l'offrir ? La solidarité aussi se déprave par l'impureté de l'intention et la déjection de la conscience. La solidarité, cette vertu viciée par une politique sans éthique au service de qui se compte, le calcul mesquin, demeure également une valeur hélas de statistiques et de téléthon. La désarticulation du panier des valeurs «en panique» est un spectre qui fait jaser plus d'un. L'homme est devenu ainsi, qui un CAC 40, qui un Dow Jones. Sa valeur dépend des éléments qui forment son coût. Elle est sujette aux fluctuations boursières dont les indices de progression ou de régression sont exprimés en monnaies politiques dans le marché parallèle du pouvoir. A la place cambiaire, l'homme n'a de valeur que celle que détiennent ses actionnaires. Il n'est qu'une somme, un intérêt ou un dividende. S'il «meurt», c'est le krach et la ruine. Néanmoins le ré-investissement et la ré-injection des cendres restent probables et prévisionnels en vertu du principe du «sait-on jamais !». Le paradoxe extra-naturel c'est qu'en se libérant de l'obligation d'évaluer ou de donner une «valeur» à une marchandise, l'on continue à s'obstiner à affecter le plus souvent, faussement, une valeur à telle position, à tels actes ou à telles réflexions, souvent sans possibilités de recours. Par quelle «valeur» a-t-on jugé (évalué) Ferhat Abbas, Messali, Benkhada, Ben Bella, à l'indépendance et Aït Ahmed en 1966, Saadi en 1980, Nahnah, Bouali en 1982, Abassi en 1990, et Chadli, Zeroual hier, pour «évaluer» demain Bouteflika ? Il va y avoir toujours ceux qui sont négativistes par rapport aux autres et vice versa. Qui a raison ? Qui a tort ? Les présents et les absents ! L'apanage des grands n'est pas de se laisser aller vers la tentation de détruire l'autre. Ne serait-ce que par pensée dévaluative. Car la diversité de cet autre n'est pas une adversité. Le pouvoir d'évaluer à la juste valeur ne doit pas ressembler à un préjugement ou à un acte sec d'une autorité éphémère. Le fil d'or n'est pas un déchet ferreux, il s'étire sous l'ardeur des feux, s'effile mais ne rompt jamais. Loin dans le temps et en dehors d'une vision administrative, au pif ou inamicale «La valeur réelle demeure la valeur de l'oeuvre et de la bonne action» disait El-Jâhiz, un des plus grands prosateurs arabes. Ne reconnaît-on pas par ailleurs l'artiste à l'oeuvre ? l'artisan à l'ouvrage ? J'écris ce que je pense et c'est tout. Sans rancune mais avec un peu d'amertume. |
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