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Un nom, un lieu: Hadj Abdellah Benmansour, un artiste très discret

par T. Lakhal

Pétillant, brillant et sobre, Hadj Abdellah Benmansour, le doyen des artistes-peintres algériens, quatre-vingts années au compteur, est encore trop étonnant pour laisser son interlocuteur indifférent. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ils doivent savoir que ce personnage est haut en couleur comme le sont toutes ses toiles qu'il expose à longueur d'année sur la devanture de son magasin, une librairie, si l'on veut dire, située juste à côté de la Grande Poste sur la rue Mohamed Khemisti. Et d'aucuns peuvent se demander pourquoi cet homme n'a pas fait comme tous les autres en transformant son fonds de commerce en une activité plus lucrative. Et l'homme est trop jaloux de sa passion pour se laisser tenter par la question.

 Hadj Abdellah Benmansour est né en 1929 à Tlemcen dans une famille versée dans l'Art artisanal. Il poursuivra ses études au collège de Slane à Tlemcen et à la medersa coranique au côté de Taleb Ibrahimi et Mohamed Bedjaoui pour ne citer que ces derniers, puis il part pour Paris pour rejoindre «Art Déco» qu'il quittera en 1952. En dépit du fait qu'il soit cité dans le livre de Khaled Merzouk sur Messali Hadj en le citant nommément à travers un autre témoin, Lacahachi Mustapha, sur le fait qu'il soit à l'origine de la conception du premier tract de l'ALN en janvier 1955, après avoir été jusqu'à Mostaganem pour chercher la ronéo et les stencils vierges, Hadj Benmansour ne veut rien dire sur ce passé, malgré notre insistance, sauf évoquer son métier et de la couverture que lui procurait cette activité pour son engagement indéfectible à la cause nationale.

 Benmansour est le premier Algérien à ouvrir une galerie d'Art du nom de Sesame à Mostaganem où d'illustres peintres y exposent leurs toiles. En 1964, il expose avec d'autres peintres algériens à Paris, notamment Khadda, Benanteur, Issiakhem, Baya, Galliero. Sa peinture est décrite dès lors comme un prolongement de la tradition du signe, dit l'Art originel, mais non sans renier la peinture actuelle et de ce qu'elle a amené de nouveau. Des tableaux chantant la nature, la beauté, les portraits, des calligraphies et bien d'autres toiles dégageant un parfum d'onirisme, presque juvéniles. Pour les peintres orientalistes qui ont peint l'Algérie, son verdict est sans appel: «Ces orientalistes sont la face polie du colonialisme, puisqu'ils ont peint la laideur et la misère dans tous leurs éclats». Façon de dire que ces peintres voulaient escompter le fait colonial en présentant l'indigène dans sa nudité comme un objet d'art sans âme ni esprit.

 Ses tableaux sont exposés un peu partout dans le monde, en France, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suisse et au Maroc. Plusieurs fois honoré, en 2004, à La Rochelle, il reçoit le premier prix sur 260 exposants et aura une sémillante discussion avec Alain Juppé alors en visite à Oran qui fut émerveillé par ses toiles. «Ma première toile, je l'ai dessinée quand j'avais huit ans et c'était le portrait de mon père et à sa mort, soit plusieurs décennies plus tard, je l'ai retrouvée cachée dans ses affaires, c'est ma plus belle oeuvre».

 Hadj Abdellah Benmansour ne vit pas uniquement de son métier comme la plupart des artistes-peintres algériens, il fait du graphisme, de la taille de pierre et conçoit à la main les registres réglementaires qu'on utilise dans les administrations. Cela lui permet de vivre. Un homme pieux et bon père de famille, puisque ses enfants sont des sommités dans leurs spécialités: une fille docteur en mathématiques, dirigeant un institut de recherche en France, une autre polytechnicienne dernièrement en détachement à Bakou, Azerbaïdjan, un autre versé dans l'énergie solaire avec comme lieu de travail Mexico et une autre spécialiste en médecine.

 Inépuisable mais pas du tout pédant, Hadj Abdellah Benmansour est un homme de grande culture. Une culture enracinée dans le terroir, la sagesse et l'humour tout en finesse. Un jour alors que le professeur de français demande à ses élèves d'écrire un poème, Benmansour écrit une poésie en ajoutant en dernier un quatrain de Victor Hugo. Le professeur lors de la remise des copies et après avoir lu le poème de Benmansour dira aux élèves: «Je ne savais pas que Victor Hugo imitait Benmansour». C'est toute la saveur d'une discussion menée à bâtons rompus avec un homme pudique et très distant avec les lauriers et les éclats éphémères.