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On a parfois
l'impression que l'Algérie avance vers le développement comme dans l'aventure
du Petit Poucet qui essaie de marquer son parcours avec de petits bouts de
pain, ignorant que les moineaux prédateurs ne laissent rien au sol qui soit
comestible. Et dès qu'il s'agit de revenir vers un point de départ, juste pour
évaluer le temps et la distance nous ne retrouvons plus les traces du chemin
parcouru si bien qu'attirés par de fausses lumières qui indiquent le salut,
nous pouvons nous retrouver dans la bouche d'un ogre, sauf que pour le Petit
Poucet, Charles Perrault avait prévu une fin heureuse et une morale qui cadraient
bien avec son époque. Et nous ne connaissons ni notre fin, ni même la morale.
La morale de ce côté-ci du globe c'est que nous ne savons pas retenir les
leçons du passé de même que nous n'avons appris qu'à nous mépriser, voire nous
haïr. Nous avons d'abord appris que notre supériorité pouvait résister à toutes
les épreuves du temps, pour découvrir finalement que certains nains étaient
plus grands que nous par leur humilité et leur persévérance. Du temps où la
couleur de notre pétrole était comparée à celle du sang de nos martyres pour
justifier les nationalisations et pendant que le peuple d'en bas manifestait sa
« détermination révolutionnaire » en applaudissant à se faire éclater les
paumes, celui d'en haut se préparait à rafler la mise d'un jeu truqué d'avance
et dont les règles remontent à l'époque des clans formés au-delà des
frontières, au moment où un seul clan, le peuple soufrant, faisait la guerre.
Nous avons fini par comprendre que les nations pétrolières n'étaient pas celles
qui extrayaient une matière qui dormaient sous leurs pieds endoloris, mais bien
celles qui la transformaient sous différentes formes en comptant sur le génie
créateur et sur la seule ressource humaine qui pérennise l'acquis en le
perpétuant, en l'améliorant. Nous avons appris que les nations qui nous
observaient de loin, faire et gouverner, savaient qu'un jour nous allions avoir
besoin d'elles pour habiter, manger, boire, chanter et même prier, parce que
nous n'avons rien appris des gourbis, de la faim, de la sécheresse, de
l'exclusion culturelle et même de la religion. Du temps où le socialisme était
comparé à un bain maure fait pour l'hygiène corporelle et la relaxation et dans
lequel la graisse des riches devait fondre, de futurs riches se préparaient à
salir le corps social par la corruption et l'engraissement, transformant le
pays en immense café maure où se font et se défont les politiques locales,
pendant que l'art de la politique continuait et continue à nous être enseigné
par les nations sérieusement construites. Du temps où une révolution devait
transformer comme son destin l'exige, le monde agraire en paradis terrestre, le
monde citadin s'est ruralisé perdant en chemin les valeurs de la ruralité,
celles qui fondent la terre et expliquent l'amour que l'Home lui attache.
Pendant ce temps et selon les prétextes de chacun, urbanité et ruralité n'ont
enfanté qu'un pays de parpaings et de bidonvilles insalubres où les nouveaux
riches s'approprient les richesses en empruntant la ruse et la malfaçon comme
outils de leurs richesses.
Du temps où une ouverture politique sous pression ou combinée dans les laboratoires noirs produisait des partis politiques à l'emporte-pièce tel un chapelet de prière raccordés par un même fil. Du temps où cette ouverture devait impulser une nouvelle façon de respirer et une autre façon de porter un regard joyeux sur l'avenir. De ce temps-là des groupes se préparaient à confisquer la liberté pour n'en laisser que celle de la parole, qui leur sert de registres de commerce face aux ambassades. De ce temps-là nous n'avons retenu que les milliers de morts et d'exilés chacun selon la manière dont on a voulu le tuer. De ce temps-là nous n'avons retenu que le goût de l'exil, transmis à une génération qui brave les vagues assassines par espoir de ne plus rester ici. Du temps où le Petit Poucet grandissait au milieu de ses frères nous avons perdu toute fraternité pour ne garder sur nous-mêmes qu'un regard réducteur, un regard de haine. Et l'on a de plus tendance à ne rien accepter de la différence qui doit faire notre véritable richesse en semant des pierres solides à la place des petits bouts de pain. |
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