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Lettre à mon banquier du coin

par El-Houari Dilmi

Ici contenu d'une lettre pas comme les autres, à détruire aussitôt après l'avoir lue et bien désamorcé son message, sous peine de se voir condamné à manger des punaises en marinade, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

C'est l'histoire incroyablement vraie de Chalachou, un fonctionnaire au saroual aux mille et une rustines, qui décida par un jour sans pain, en mal chutant de son grabat galeux, d'adresser à son banquier du coin une lettre à l'alphabet peu intelligible au commun des bipèdes, et écrite sur du papier résorbable avec une encre sans tain. Chalachou n'avait pas vu son dirlo de banque depuis sa dernière paie, virée, il y a dix lustres de cela, par une Sona-machin qui ne... sonnera plus jamais, elle aussi liquidée net après que son boss eût confondu entre un gros chèque en bois et un vrai faux billet de banque fripé de cent douros.

Habitant une localité paumée, coincée quelque part entre Aïn ici et Sidi là-bas, Chalachou compta bien réclamer, toutes canines dehors, sa propre part du giga-gâteau grand comme le bled et éhontément dilapidé, cela selon une idée bien vissée dans la caboche de Chalachou, une citrouille trop carrée pour croire aux idées qui ne cessent pas de tourner en rond.

«Mon bien beau directeur de banque, bon soit le jour sur vous et sur vous seul ; je vous écris ces quelques lignes pour vous faire savoir que, moi Chalachou, le quidam, Algérien, fils d'Algérien parmi les Algériens, je compte bien réclamer, conformément au cent-cinquantième article de la Constitution, ma part du gâteau et vous prie de me faire bénéficier moi aussi de l'effacement du prêt-achat véhicule que vous avez bien voulu m'accorder pour me permettre d'acquérir ma précieuse bagnole qui a miraculeusement raccourci la distance me séparant de la dolce vita de mes rêves éveillés, de ma douce moitié, de mes rejetons mais aussi de mes amis et même de ma mégère de belle-mère. Je vous fais savoir, mon cher directeur de ma bien-aimée banque, que je compte également réclamer l'effacement pur et simple du prêt à la consommation qui m'a permis de m'acheter de quoi boucher... la bouche à ma marmaille, payer l'ardoise de l'épicier du coin».

«Aussi, je vous informe, mon cher directeur de banque trop belle, que je coupe dans ma viande depuis quarante berges pour photographier mon pain noir sans jamais arriver à trouver un toit décent à ma criarde nudité, ni pointure à mes pieds déchaussés ni taille à mon corps freluquet. J'ai appris avec joie, vite noyée par un immense désappointement, que le raïs a décidé de passer l'éponge sur la dette fantomatique des gens de la terre».

«Larbi, mon voisin de palier, fellah en costume trois-pièces sans gilet pare-misère, m'a même offert un gros bélier encorné en guise de reconnaissance à la mère-patrie. Sauf que moi, fonctionnaire aux os trop anguleux, je compte bien racler le fin fond de mes poches trouées pour trouver de quoi vous verser les quelques sous que je vous dois pour l'échéance de la dernière chance. Veuillez croire, mon cher dirlo, en mes plates excuses et à mes évanescentes salutations».

PS: Entre nous, il n'y a pas pire punition que de donner des assiettes à astiquer à une personne terrassée par une faim de fauve !