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Bien sûr, cette chronique aurait pu être moralisatrice, un tantinet indignée et même très convenue. Comment, de quoi ? Tout ce barouf, toute cette émotion planétaire, ces longs reportages, ces pleurs, ces documentaires et émissions spéciales, ces rassemblements de fans, tout cela parce que Michael Jackson est mort ? Paix à son âme, aurais-je pu écrire avant d'ajouter qu'il y a tellement d'autres drames dans le monde, signalant au passage la disparition de la belle Farah Fawcett. Mais autant l'avouer, cela aurait sonné creux et tellement faux-cul. Après l'annonce du décès de la plus grande star de ces trente dernières années, comme des millions de personnes, je suis resté vissé devant le petit écran, ingurgitant clips et rétrospectives, m'abandonnant à une nostalgie inattendue, un tressaillement aigu causé par la disparition dramatique d'un artiste exceptionnel qui, disons-le tout de suite pour évacuer ce point, était certainement bien plus grand que l'homme. Commençons par le début. Les Jackson Five. «I want you back» et «ABC», des chansons qui tournaient en boucle dans l'Algérie des années 1970 où l'expression «Jackson Five», prononcez «Jakssounne Faïv , désignait aussi celles et ceux qui arboraient cette magnifique coupe afro dont on semble avoir si honte aujourd'hui. Pour être franc, je ne raffolais pas des Jackson Five, leur préférant les scènes rock, psychédélique, heavy ainsi que la bonne vieille variété (merci à celle qui vient de m'offrir l'intégrale de Joe Dassin pour mon anniversaire) sans oublier bien sûr la pop «dialna», notamment Idir et le raï à ses débuts. Et puis est venu Michael tout seul avec l'album «Off the wall». C'est du disco, hurlait la tchi-tchi en se trémoussant sur le son de «Don't stop ?'Til you get enough». C'est mieux que du disco, répondaient les admirateurs clandestins de Yes, Springsteen ou Santana en ajoutant : elle vous fait peut-être danser mais c'est d'abord de la bonne musique. Ensuite, nous est tombé du ciel l'album «Thriller», atteignant l'Algérie aux premiers mois de 1983, écrasant tout de son poids, réduisant les minets d'Imagination à une aimable plaisanterie ayant servi de passe-temps en attendant l'arrivée du phénomène. Là aussi sont apparus de nouveaux surnoms. Quel quartier d'Alger ou d'ailleurs, n'a pas eu sa jeune fille, brune, crépue, surnommée Billy Jean ? Et je n'oublie pas la mode. Manches retroussées, socquettes blanches, gomina et une seule main gantée de blanc ou de noir. Un nombre impressionnant de péquenots, de caves et de bouhiyas déambulaient dans nos rues sous les quolibets et les regards atterrés. Chaque quartier, chaque lycée, avait son Michael Jackson, spécialiste de break-dance et de smurf, capable de restituer à la quasi-perfection le fameux moon-walk, ce pas incroyable à placer dans le même panthéon que les claquettes de Fred Astair ou les envolées aériennes de Gene Kelly dans «Chantons sous la pluie». Souvenirs : «Hé, Kaddour, offre-nous un p'tit smurf». Sitôt demandé, sitôt fait. La main gauche déclenche l'onde qui se propage le long du bras, désarticule l'épaule, fait onduler la tête, puis coule vers la main droite, une double pirouette sur les pointes des pieds et, parfois même, un «iiiih-hi» pour clore le mouvement. Applaudissements, quelques plaisanteries aussi et tout ça grâce à Maïk'el ! Mon dieu, quel album que ce «Thriller». Incrédule, le dernier carré des sceptiques, ceux qui ne juraient encore que par le heavy metal, découvrait le son cogneur de «Beat it» rythmé par le solo guitare déchaîné d'Eddie Van Halen, membre du groupe de hard-rock éponyme. Mais qu'est-ce que c'est que ce mélange ? me dit un jour l'ami Lyes, grand adorateur d'AC/DC avant de rajouter : «Ce Jackson est génial». Cent dix huit millions d'exemplaires de «Thriller» vendus entre 1982 et 2008 (près d'un milliard d'albums pour toute sa carrière !) ! «Thriller» fut l'apogée, le temps de tous les espoirs. Cela coïncidait avec les vingt ans d'une génération, la mienne, qui croyait encore aux beaux lendemains, persuadée que les années 1980 ne pouvaient déboucher que sur du bien. On connaît la suite. Mais revenons à «Thriller». Grâce à une antenne capricieuse qui ne captait les chaînes italiennes que par temps vraiment clair (tourne un peu, à droite, voilà, c'est bon, tu peux descendre), je découvrais un jour de juillet le clip dans sa version intégrale. Dix huit minutes de bonheur jamais égalée depuis. Allez sur youtube, prenez le temps de le regarder, d'observer la chorégraphie, de suivre ces pas de danse irréels, et vous réaliserez qu'on n'a rien fait de mieux depuis si ce n'est de copier Jackson. Les albums du King of Pop ont continué de suivre en alternance avec les informations de plus en plus étranges à propos de la star, de ses mœurs, de ses manies, de son univers totalement déroutant. Il y avait de la bonne et très bonne musique ailleurs mais il a toujours été au rendez-vous par le biais notamment de clips qui ont continué à forger sa légende comme dans «Bad» (1987) filmé par Martin Scorsese (à cette époque les bouhiyas se sont mis au bandana?), «Black and White» (1991) tourné par John Landis (le réalisateur de Thriller) et, grand moment d'anthologie quelque peu ignoré, «You rock my world» où Marlon Brando en personne fait son apparition. A chaque fois, Michael Jackson a apporté quelque chose de nouveau, d'étonnant voire même de dérangeant (je pense notamment à son physique de mutant post-humain). On me dira que ses messages engagés étaient rares ou gnan-gnan. Peut-être, mais «We are the world» (co-écrit avec Lionel Richie) ou «Heal the world» sont des morceaux qui ont très bien vieilli. Et il faut rappeler les images du clip de Black and White où un Michael Jackson déchaîné fracasse des vitres marquées des slogans à la gloire du Ku Klux Klan et insultants à l'égard des clandestins mexicains. Surdoué, Michael Jackson a jeté un pont entre les générations et les musiques. Il n'a jamais cessé d'innover et de nous offrir un peu de bonheur. C'est ce qui explique le mieux pourquoi une vague de tristesse a déferlé sur la planète à l'annonce de sa mort. |
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