Le Palais de justice d'Oran a vécu hier un après-midi bouillonnant. A
peine le président d'audience, le juge Ferdi Abdellaziz, a-t-il prononcé le
verdict que le prétoire du tribunal criminel s'est embrasé. Pas moyen de calmer
des esprits chauffés à blanc. A l'extérieur, sur la place Square Maître
Thuveny, la vague de protestation est montée d'un cran. Pas moyen de faire
taire des voix révoltées et criant à «l'injustice». Grande émotion hier matin
au procès de la femme accusée du meurtre de son mari. La scène la plus
émouvante : le moment où la fille du défunt père - la plus jeune d'une fratrie
nombreuse - s'est effondrée en pleurs à la barre. Citée en témoin, la jeune femme
n'a pu retenir longtemps son émotion. La remémoration de cette douloureuse aube
du 31 août 2004 où elle vit son père agoniser, mi-allongé par terre, buste
adossé au lit sanguinolent de sa chambre, et ses regards furtifs lancés de
temps à autre en direction du box des accusés pour retrouver le visage de sa
mère, la «meurtrière présumée » de son père, ont un moment enfoncé la jeune
fille dans un état d'hyperémotivité indescriptible. Ses deux frères et trois
soeurs qui l'ont précédée à la barre pour témoigner ont, eux aussi, passé un
moment extrêmement accablant. Suicide ou homicide ? Telle était la grande
question. Autrement dit : la victime, L.H.D, s'est-il donné la mort ou a-t-il
été assassiné ? Le tribunal - magistrats et jury - avait la lourde et délicate
responsabilité de répondre à cette question. L'affaire a d'autant fait beaucoup
parler d'elle que la victime fut un personnage notoirement connu sur la place
d'Oran, et au-delà même. Grand commerçant, notamment dans la faïence et les
sanitaires, il est connu pour avoir été un dirigeant régional de la Fédération
nationale du tennis et un temps membre du comité directoire du club de football
MCO et jouissait-il d'une grande estime dans son entourage, surtout pour ses
oeuvres caritatives. Les faits. Le 31 août 2004, aux environs de 6 heures, la
victime fut admise aux UMC de l'hôpital d'Oran dans un état très grave.
Atteinte par balle au côté gauche de la poitrine, elle succomba à ses blessures
à 9 heures. La balle, tirée par un fusil de chasse, arme à feu appartenant à la
victime, toucha fatalement le coeur et le poumon. A grands traits, le rapport
d'autopsie établi par le service médico-légal du CHU d'Oran conclut à
l'hypothèse d'un suicide. Gros doute planant sur les circonstances, la police
n'écarta alors aucune piste. Toute la famille, sans aucune exception, fut
interrogée. A commencer par l'épouse, A.M, une sexagénaire. Lors de sa première
déposition, celle-ci déclara que «ce jour-là, le défunt se réveilla, comme
d'habitude. Après avoir fait la prière d'El-Fadjr, il récita quelques versets
du Coran en attendant l'appel à la prière de Sobh». Et d'ajouter : «alors que
j'étais dans la cuisine pour préparer le petit-déjeuner, j'entendis un coup de
feu. Je me précipitai alors vers la chambre à coucher où je trouvai mon mari
blessé, allongé par terre, la tête adossée au lit. Sur le champ, je montai au
1er pour appeler les enfants. Réveillés par mes cris, ceux-ci descendirent vite
au rez-de-chaussée et constatèrent leur père en agonie». Il est établi que la
victime ne fut transportée à l'hôpital qu'une demi-heure après à bord de la
voiture d'un voisin. «Pourquoi n'avez-vous pas amené tout de suite votre père à
l'hôpital ? Pourquoi vous avez demandé l'aide du voisin alors que vous aviez
trois voitures dans le garage et que vous aviez tous le permis de conduire ?».
Ces questions revenaient comme un leitmotiv dans la bouche du juge à chaque
fois où il avait un fils ou une fille du défunt en face de lui. Tous ont
prétexté de «la peur-panique, l'intensité de l'émotion, la singularité de la
situation... ». Ce n'est pas par hasard que les avocats de la partie civile ont
fait fixité sur ces détails : le nombre de coups de feu tirés, la position de
l'arme du crime par rapport au corps de la victime au moment où la mère et les
enfants sont arrivés sur le lieu du crime et les traces de brûlure qui étaient
sur le bras gauche de la victime. S'appuyant sur l'expertise balistique, Me
Benblal Abdellah a souligné qu'il y a eu deux coups de feu, deux balles sorties
du canon. Une tirée à bout portant dans la poitrine de la victime, l'autre dont
l'impact a été localisé dans le mur qui faisait dos au défunt. «Est-ce
raisonnable que la victime, dans son acte suicidaire prétendu, eut raté la
cible, son propre corps en l'occurrence. Qu'il eut par la suite rechargé son
fusil et rectifié le tir ? Il faut être dingue pour croire ça ! Le fusil mesure
86 centimètres de longueur, le bras de la victime 80, comment pouvait-il
retourner l'arme ? Et ce fusil qui était gentiment posée sur l'épaule de la
victime. Ce scénario de suicide est franchement trop beau pour être vrai !». Le
mobile ? L'épouse en aurait plus d'un, selon la partie civile. «Son mari était
polygame (deux autres épouses dont une en France), une affaire de gros sous :
300 millions de centimes ont disparu du coffre-fort...». Pour sa part, l'avocat
de la défense s'est étonné, il s'est même insurgé contre «la légèreté de
l'accusation et le manque de preuve contre l'épouse». Il a demandé
l'acquittement pur et simple. Le représentant du ministère public a requis 20
ans de réclusion contre l'accusée. Verdict : acquittement de l'épouse.