
Ceux de mon âge doivent s'en souvenir. Ceux qui n'ont pas
été nourris par le chich kabeb, ceux qui ne connaissaient la pizza qu'à travers
leur télé noir et blanc, doivent s'en rappeler. Le bon vieux temps des
pénuries... eh oui, que c'était le bon vieux temps ! On avait tous un salaire
et un poste de travail. Des allocations devises. Le dinar était aussi fort que
l'équipe nationale de foot. On habitait les appartements bien vacants, qui nous
ont été cédés à presque rien, et par facilité. D'autres, au même moment, ont
acquis leur châteaux aux mêmes prix, ce n'était pas un problème, on était
contents de devenir propriétaire. C'était le bon vieux temps des pénuries, on
était heureux de pouvoir trouver un bidou zit « sogédia », un frigo « sonacat
», une plaquette d'œufs espagnols, même qu'on riait de cette situation insolite
« nos poules sont devenues stériles » qu'ils disaient les coqs du village, nos
pas très cons citoyens. Dans les temps bénis de la pénurie, les ménagères ne
pouvaient pas planifier le menu. C'était au petit bonheur la chance. Cela
dépendait des Capcs, des Ofla et des intermédiaires. On arrivait donc, poussés
par nos couffins, au marché et tout se décidait sur place. S'il y a de la
batata, le problème ne se posait pas. On avait le choix. Batata frite, batata
boulangère, batata ragoût. Mais la purée de nous autres, c'est quand la batata
se faisait rare. Alors là, ya khouya ibanou les débrouillards. Avec oualou,
chacun devait nourrir ghoualou ! Il est né alors un commerce, celui de la
concomitance. Si tu voulais un kilo de pomme de terre, il fallait prendre un
kilo de carrota. Si vous en voulez deux, c'est un kilo de carrota et un kilo de
navets. La pratique s'est généralisée. L'épicier ne te fournissait du beurre
que si tu acceptais de prendre la semoule grosse comme des cailloux. La mairie
ne te délivrait un extrait de naissance que si tu présentait ta carte de vote
et j'en passe...
Aujourd'hui, y'a plus de pénurie. Koulchi moujoud sur le marché.
C'est la pénurie d'argent qui fait mal.