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Suite et fin
L'évolution en cours semblait donc annoncer une convergence des travaux historiques favorables à un accord sur les grandes lignes du sujet entre les historiens des deux pays. Mais elle fut perturbée par un évènement imprévu, lié à la transformation soudaine de la vie politique algérienne par la libéralisation du régime politique algérien en 1989 et par la contestation croissante des islamistes. C'est en 1990 que fut créée la Fondation du 8 mai 1945 par l'ancien ministre Bachir Boumaza, natif de Kherrata, au nord de Sétif. Suivant l'un de ses premiers manifestes, celle-ci était «née dans un contexte politique dangereux : celui de la révision insidieuse par certains nationaux, y compris dans les cercles du pouvoir, de l'histoire coloniale. Procédant par touches successives, certains hommes politiques ont, sous prétexte de dépasser une page noire de l'histoire coloniale, encouragé la normalisation des rapports entre l'ancienne puissance dominatrice et son ancienne colonie». C'est pourquoi, la Fondation s'est donnée pour objectifs de réagir contre l'oubli et réanimer la mémoire, démontrer que les massacres de Sétif sont un crime contre l'humanité et non un crime de guerre, comme disent les Français» pour «obtenir un dédommagement moral». Ainsi, l'histoire a été mobilisée au service de la mémoire et de la politique au lieu d'être reconnue comme un but propre. L'une des idées directrices de la Fondation est en effet d'interpeller la conscience des Français et des autres peuples européens qui «ne semblent s'indigner que sur l'holocauste commis contre les juifs. Cette ségrégation entre les massacres est une tare du monde occidental. Bachir Boumaza constate: «On applique et on reconnaît le crime contre l'humanité à propos des juifs, mais pas des Algériens dont on oublie qu'ils sont des sémites». Il présente son action comme un effort pour «décoloniser l'histoire et situer la colonisation dans l'histoire de l'humanité», une tentative saine et correcte d'écrire l'histoire. Le phénomène colonial est porteur de certaines valeurs qui doivent disparaître. Elles ne le sont pas encore. Et son expression la plus réussie est ce terme de crime contre l'humanité qui est réservé à une catégorie spéciale de la population. A son avis, la colonisation française en Algérie «présente dans toutes ses manifestations, les caractéristiques retenues au tribunal de Nuremberg comme un crime contre l'humanité». Et il ajoute: «J'ai suivi le procès Barbie. Depuis 1830, l'Algérie a connu des multitudes de Barbie», lesquels n'ont pas été condamnés parce que leurs crimes contre des Algériens n'étaient pas considérés comme tels. On voit que l'histoire est ici totalement subordonnée à des motivations politiques extérieures au sujet. Cette revendication s'est largement diffusée en Algérie dans les années de guerre civile. Sous l'impulsion de la Fondation, les autorités et la presse ont donné un très grand retentissement à chaque anniversaire du 8 mai 1945, et tout particulièrement à son cinquantenaire en 1995. Les discours officiels et les éditoriaux ont alors établi un lien explicite entre la commémoration d'un drame national et l'appel à rétablir l'unité nationale déchirée. «La célébration de ce douloureux anniversaire du massacre de plus de 45.000 Algériens et Algériennes constitue une nouvelle occasion pour interpeller notre conscience sue le sort réservé à ce grand pays qu'est le nôtre, aux prises avec une redoutable crise multidimensionnelle dont l'issue, impatiemment attendue par tous, risque de tarder encore si le bon sens et la sagesse qui nous sont coutumiers font défaut. C'est dans ce sens que M.Mokdad Sifi, chef du gouvernement, a inscrit son intervention remarquée lors de la commémoration de la date historique du 8 mai 1945", écrit l'éditorialiste d'El Moudjahid. Un quotidien indépendant a reproduit intégralement ce discours, situé mai 1945 dans une longue série de répressions répétées depuis 1830, invité les intellectuels algériens à «travailler au corps» les démocrates français pour qu'ils diffusent dans leur société un sentiment de responsabilité et de culpabilité pour réclamer à l'Etat français des excuses officielles au peuple algérien «pour les centaines de milliers d'innocents assassinés au cours de 130 ans de domination coloniale». D'après le journal Liberté, la commémoration du 8 mai est aujourd'hui revendiquée par toute la classe politique, et fait même l'objet d'une surenchère. L'ensemble de ces discours et articles commémoratifs, répétés chaque année, paraît une tentative de rassembler les Algériens divisés contre la France, en ranimant la flamme du nationalisme pour ne pas l'abandonner aux islamistes. Le président Bouteflika a évoqué un acte de repentance à la France dans son discours du 15 juin 2000 à l'Assemblée nationale française. «De vénérables institutions comme l'Eglise, des Etats aussi anciens que le vôtre n'hésitent pas, aujourd- 'hui, à confesser les erreurs et les crimes qui ont, à un moment ou à un autre, terni leur passé. Que vous ressortiez des oubliettes du non-dit la guerre d'Algérie en la désignant par son nom, ou que vos institutions éducatives s'efforcent de rectifier dans les manuels scolaires l'image parfois déformée de certains épisodes de la colonisation, représente un pas important dans l'oeuvre de vérité que vous avez entreprise, pour le plus grand bien de la connaissance historique et de la cause de l'équité entre les hommes». L'ex-président Jacques Chirac a longtemps fait semblant de ne pas avoir compris cette demande, mais la négociation d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie semble en avoir fait une condition impérative du côté algérien. Le 27 février 2005, le discours prononcé à Sétif par l'ambassadeur de France a paru apporter une première concession française à la demande algérienne moins d'une semaine après le vote d'une loi mémorielle favorable à la mémoire des Français et des Français musulmans d'Algérie. En tout cas, la revendication algérienne avait trouvé des relais en France, même sans pour autant que ces relais, obéissant à des motivations propres, aient voulu servir inconditionnellement la politique algérienne. En mai 1995, signalent nos sources, l'association «Au nom de la mémoire», composée de citoyens français originaires d'Algérie, a joué un grand rôle dans une première tentative de faire reconnaître «Le massacre de Sétif» par un film ainsi intitulé (par la publication d'une version abrégée de la thèse de Boucif Mekhaled, et par l'organisation d'un débat à la Sorbonne avec la participation de Bachir Boumaza et avec l'appui des journaux Le Monde, l'Humanité et Libération. En 2000, quelques semaines après le discours du président Bouteflika à l'Assemblée nationale, le déclenchement par les mêmes organes d'une campagne de presse visant la pratique de la torture par l'armée française sembla, à tort ou à raison, vouloir servir la même revendication algérienne de repentance. En janvier 2005, un manifeste intitulé «Nous sommes les indigènes de la République», voulant exprimer le point de vue des minorités immigrées d'origine africaine et musulmane, annonça une marche pour le 8 mai, anniversaire de la victoire sur l'Allemagne et de la défaite française de Dien Bien Phu, et justifia ainsi son initiative : «Nos parents, nos grands-parents ont été mis en esclavage, colonisés, animalisés. Mais ils n'ont pas été broyés. Ils ont préservé leur dignité d'humains à travers la résistance héroïque qu'ils ont menée pour s'arracher du joug colonial. Nous sommes leurs héritiers, comme nous sommes les héritiers de ces Français qui ont résisté à la barbarie nazie et de tous ceux qui se sont engagés avec les opprimés, démontrant, par leur engagement et par leurs sacrifices, que la lutte anticoloniale est indissociable du combat pour l'égalité sociale, la justice et la citoyenneté. Dien Bien Phu est leur victoire. Dien Bien Phu n'est pas une défaite, mais une victoire de la liberté, de l'égalité et de la fraternité !». Ce qui justifiait la conclusion suivante : «Le 8 mai 1945, la République révèle ses paradoxes : le jour même ou les Français fêtent la capitulation nazie, une répression inouïe s'abat sur les colonisés algériens. Avec des milliers de morts». En ce 8 mai, 60e anniversaire de ce massacre, le combat pour la mémoire continue, indiquent |
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