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Le Dr Mourad Preure, expert pétrolier international et géostratège: «L'ère du pétrole bon marché est révolue !»

par M. R.

Ayant participé au 10ème Sommet pétrolier de Paris le 2 avril dernier dans la capitale française, le Dr Preure nous a fait part au cours d'un entretien à bâtons rompus des inquiétudes nées de la crise financière internationale.

Celle-ci est au coeur des préoccupations des intervenants dans le jeu pétrolier international. Les pays producteurs étaient représentés par M. Al Attiya, vice-Premier ministre et ministre de l'Energie du Qatar, M. Al Hamli, ministre de l'Energie des Emirats Arabes Unis, M. Ghanem, président de la compagnie nationale libyenne, ainsi que M. Al Badri, secrétaire général de l'OPEP. Les compagnies pétrolières internationales étaient présentes en force. Total et Royal Dutch Shell étaient représentées par leurs présidents, Repsol avec son COO. Les compagnies de services pétroliers étaient également présentes, représentées par leurs CEO comme Technip et SAIPEM. Enfin, les pays consommateurs ont donné leur point de vue par la voix de M. Tanaka, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). L'International Energy Forum qui regroupe producteurs et consommateurs était représenté par son secrétaire général, M. Van Hulst. De nombreux experts internationaux étaient présents à cette rencontre présidée par M. Nordine Aït Lahoussine, ancien ministre algérien de l'Energie.

Ce cénacle prestigieux est qualifié par notre interlocuteur comme étant «un sommet pétrolier assez singulier», en poursuivant: «On peut le résumer par cette boutade du secrétaire général de l'OPEP: «Un ministre d'un pays consommateur m'a demandé que l'OPEP intervienne pour faire remonter les cours du brut qui ne lui permettaient plus de subventionner les biocarburants ! Il m'avait quelques mois plus tôt reproché le niveau élevé des prix !» Il semblait y avoir une grande convergence entre les différents acteurs pétroliers présents et un certain consensus sur les origines de la crise que subit l'industrie pétrolière, parfois même un accord sur les moyens à adopter pour en sortir. Ce n'est pas tous les jours, en effet, que l'on entend le premier responsable de l'Agence internationale de l'énergie, défenseur attitré des intérêts des pays consommateurs, plaider pour un raffermissement des prix du pétrole !».

Pour le Dr Preure, «à court terme, les perspectives restent sombres. Comme l'a indiqué le président de Shell: personne ne sait combien de temps durera la récession. La demande devrait encore décliner alors que la situation économique internationale se dégrade. Les dernières estimations de l'OPEP prévoient une baisse totale de 1,6% soit 1,36 Mbj en moins. Le secrétaire général de l'OPEP a insisté sur la nécessité d'une stricte régulation du système financier international. Il a fait remarquer que le court, le moyen et le long terme sont étroitement imbriqués. Des prix du pétrole trop élevés ou trop faibles sont préjudiciables à l'économie mondiale et la volatilité des prix est toujours destructrice. Même si le prix du pétrole faciliterait la relance de l'économie mondiale, il casse la dynamique de l'investissement».

L'expert ajoute que «lorsque la demande reprendra, vers un resserrement massif de l'offre. Il est important que tous les acteurs travaillent pour un prix raisonnable et stable. Les politiques de substitution au pétrole engagées par les pays consommateurs ne doivent pas se faire sur le dos des pays producteurs. Les combustibles fossiles seront au coeur des besoins pour un avenir prévisible. Il faut se préoccuper néanmoins de la question du CO2. L'AIE prévoit clairement un futur «supply crunch», un choc d'offre, pour l'année 2009».



La Russie tire profit des efforts faits par l'OPEP



Le Dr Preure explique que «le consensus des experts converge vers l'hypothèse d'une croissance négative de la demande en 2009. L'OPEP a fait preuve de bon sens en révisant sa production pour défendre les prix. D'ailleurs, M. Mandil, ancien responsable de l'AIE, lui, estime que le prix actuel est excessivement faible. Un niveau de prix de 80 dollars semble être un bon niveau». A ce propos, il estime que «la Russie tire profit des efforts faits par l'OPEP et ne contribue pas par une baisse de sa production à un raffermissement des prix». Notre interlocuteur ajoute que «la baisse de la production, donc des recettes de l'OPEP entraînera fatalement dans les mois qui suivent de nouvelles coupes dans les projets. Il existe réellement un défi en matière d'investissement car la demande n'a pas encore montré toute sa vigueur. Selon le Cambridge Energy Reaserch Associates, en raison des reports de projets de l'OPEP, la perte de capacité pourrait être de 8 Mbj en 2014. Cependant, tous les experts en conviennent, les compagnies maintiennent leurs niveaux d'investissements mais pas pour longtemps. Si les prix restent aux niveaux actuels, des coupes sombres seront nécessaires dans les programmes. En fait, le vrai risque d'effondrement des investissements va se poser à partir du troisième trimestre si les choses restent en l'état. La réduction des coûts est une parade mais elle reste limitée tant que le niveau des prix reste tel quel».

Le Dr Preure indique que d'après «le responsable de l'International Energy Forum (IEF), la demande va reprendre très fort, tirée par les pays émergents, avec une menace de crise grave d'ici trois à quatre ans, il a mis en exergue l'interdépendance croissante entre producteurs et consommateurs. On ne peut plus parler d'indépendance énergétique. Pour lui, la clé est le partenariat entre compagnies internationales et compagnies nationales. Nous pensons en effet que ce partenariat est indispensable et peut révolutionner cette industrie à l'avenir à l'expresse condition qu'il soit porté par une vision futuriste qui fait réellement une place aux pays producteurs à travers leurs compagnies nationales dans les transformations structurelles en cours de cette industrie. L'IEF, dont la vocation est en effet consensuelle, souligne que les réserves existent dans les pays producteurs pour satisfaire la demande future. Le problème est l'accès à ces réserves, soit leur ouverture aux investissements étrangers par les pays producteurs.

Tout porte à croire, poursuit notre interlocuteur, que l'économie mondiale des hydrocarbures connaîtra une évolution chaotique à l'avenir se caractérisant par une succession de crises systémiques graves qui dureraient toute la prochaine décennie et qui se manifesteraient par la succession de chocs haussiers/baissiers.

Selon nous, la crise que nous vivons aujourd'hui est riche d'enseignement. Nous sentons bien que ce n'est pas là une crise qui se résoudra un jour pour laisser place définitivement à un ciel serein. Cette crise indique une opposition entre deux logiques: les logiques spéculatives et boursières de court terme qui gouvernent la sphère financière et qui à la faveur des politiques de déréglementation qui se sont généralisées ont assujetti l'économie réelle et les logiques de long terme qui gouvernent réellement l'économie et où les acteurs ont besoin de visibilité et ne peuvent s'accorder avec la volatilité naturelle du marché accrue par le fait que le pétrole est devenu un actif financier».

 

Les pays producteurs doivent préserver les volumes pour les monnayer à prix fort

 

A la question de savoir: comment réguler les marchés financiers et l'économie mondiale et réduire la volatilité et la spéculation dans les marchés pétroliers, le Dr Preure réplique en disant que «cette tâche qui est en même temps pouvoir renvoie à celle du leadership de l'économie mondiale, voilà pourquoi nous restons réservés quant à la sortie de la crise». En concluant que «la spéculation a excessivement agi sur les prix pétroliers. Les volumes traités sur les marchés papiers sont sans commune mesure avec les volumes traités sur les marchés physiques. Selon M. El Badri, pas moins de 3 milliards de barils papiers sont traités quotidiennement sur les marchés à terme ! Cela n'a aucun rapport avec les volumes physiques. Les niveaux historiques de prix connus en juillet dernier étaient largement le fait des hedge funds. On sait qu'ils comportaient un fort potentiel récessionniste qui a précipité la diffusion de la crise vers l'économie réelle.

Des propositions ont été évoquées comme l'introduction de contrats OPEP dans le marché, voire la mise en place de fonds de stabilisation. Il est clair que l'axe autour duquel se résoudra cette crise est une plus grande transparence des marchés, une plus grande harmonie entre ceux-ci et les réalités physiques de cette industrie mais aussi et surtout le principe selon lequel la sécurité des approvisionnements pour les consommateurs est indissociable de la sécurité de la demande pour les producteurs. La sortie de crise n'est pas prévue avant 2010.

Il semble que la demande se raffermira au troisième trimestre de 2009 portant les prix vers des niveaux de 60 dollars le baril et préparant l'atteinte structurelle d'un niveau de 100 dollars qui devrait s'imposer la décennie à venir. L'effet rebond de la demande pourrait créer les conditions d'un violent choc haussier dont les prémisses apparaîtront dès 2010-2011 et qui pourrait porter les prix à des niveaux de 200 dollars à la fin de la décennie qui vient.

Aujourd'hui, pour les pays producteurs, il convient de préserver les volumes pour les monnayer à prix fort demain. De même, il convient pour eux de viser à être des acteurs marquants du jeu pétrolier et non des agents passifs. Voilà pourquoi ils doivent investir dans le renforcement de leurs acteurs nationaux. Dans ce sens, ils doivent songer à l'acquisition d'actifs pétroliers qui se trouvent aujourd'hui sous-valorisés par la situation actuelle du marché. La capitalisation boursière des compagnies pétrolières et de services pétroliers offre des possibilités nouvelles pour les pays producteurs disposant de ressources financières et qui souhaiteraient les placer utilement. Nous leur recommandons vivement de saisir cette chance unique pour acquérir des réserves et des sociétés de haute technologie pétrolière. Elles en auront besoin lorsque l'économie mondiale redémarrera et avec elle la forte compétitivité qui s'emparera de l'industrie pétrolière».