
« Pauvres Mexicains ! Après avoir été Américains tout en ne
l'étant pas, voilà que le monde vous enferme chez vous, comme il l'a fait pour
nous à l'époque de notre dernière guerre, ni civile ni militaire. Ce n'est plus
l'Amérique qui vous ferme ses frontières mais tout le reste de l'humanité qui
change de trottoirs à votre vue. C'est que nous avons connu ça: le traitement
par le vide dans les aéroports, la stigmatisation en vrac, les terminaux
isolés, les visas refusés et les doigts des satellites et des caméras qui vous
pointent comme un insecte. Le monde est ainsi: plus prompt à l'embargo qu'à la
solidarité. Maintenant, vous pouvez vous sentir Arabe même si vous ne l'êtes
pas. On vous dira qu'on va dialoguer avec vous, mais un par un. On vous
expliquera qu'on vous enverra de l'argent si vous restez chez vous. Les
ambassadeurs ne quitteront pas votre pays mais ne quitteront jamais ou presque
leurs bâtiments bien gardés. Vous vous verrez souvent dans les télévisions, mais
tout le monde parlera à votre place.
Quelques-uns de vos immigrés seront fichés, expulsés,
contrôlés, inquiétés ou même lapidés par un homme blanc pris de panique et dont
l'acte sera isolé mais avec un gros sens collectif. La grippe A n'a atteint que
quelques centaines, mais c'est tous les Mexicains qui en sont malades et le
monde entier porte un masque pour leur sourire avec pitié. C'est vous dire que
nous Algériens nous avons connu ça: pendant que les nôtres nous tuaient avec
des balles, les autres nous fusillaient avec les yeux. Et comme nous, vous
n'avez pas assez de moyens pour sauver votre image et pas de cinéma pour
présenter comme des victimes et soulever la pitié. Vous êtes les nouveaux
Arabes épidémiologiques des temps présents. Des pays que vous croyiez amis ne
vous approcheront plus jamais qu'avec des gants, des voisins que vous croyez
proches profiteront de votre trébuchement et chaque Mexicain sera traité avec
des pesticides même s'il s'appelle Carlos Fuentes. Il y a des époques comme celle-là:
le chapeau vaste sera votre barbe, comme chez nous, et même si vous n'en portez
plus depuis un siècle. Le siècle mettra un siècle à vous croire guéri et vous
ne vivrez jamais le voisinage du reste des hommes avec paix et pardon. Nous
avons connu ça nous les Algériens entre les travel-warning et les attentats
supposés. Avec Bush et Ben Laden. Le GSPC et les compagnies aériennes
étrangères. Chers frères mexicains, on sait ce qu'est être enterré de son
vivant et tous ensemble dans un même trou...»