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Sidi Bel-Abbès: La magie du quatrième art

par M. Kadiri

Les lampions de la 3e édition du Festival professionnel se sont éteints... Et la pratique doit continuer et c'est le directeur du théâtre régional de Sidi Bel-Abbès, M. Assous Hacène, qui nous a fait part de l'arrivée du metteur en scène égyptien, M. Intissar Abdel Fatah, et ce pour apporter sa longue expérience aux jeunes créateurs locaux qui ont tout de même montré de sérieuses prédispositions, tout en cumulant plusieurs succès, prix et récompenses dont le dernier a été acquis lors de l'ultime Festival national du théâtre professionnel tenu à Alger du 24 mai au 4 juin de l'année écoulée.

Ledit spectacle est inspiré de l'œuvre de Nicolas Erdman «Le Suicidé», l'adaptation est de Hamdoun Mohamed, quant à la mise en scène, elle a pour auteur le jeune Abbar Azeddine, spectacle qui a inauguré le 16 avril dernier le festival professionnel de Sidi Bel-Abbès. Ce n'est là qu'un indice d'une dynamique amorcée sur les lieux où une longue tradition théâtrale existe mais qui est très méconnue sur les bords de l'imprévisible rivière de la Mékerra et que l'on peut dissocier de tout un contexte historique, voire un survol loin d'être exhaustif, entendons-nous bien, qui a dû générer tout un mouvement social qui a bouleversé l'ordre établi par la soldatesque coloniale, et qui a fait littéralement changer de cap à notre pays et naturellement notre ville qui s'enorgueillit de tous ses enfants d'hier et d'aujourd'hui, tels les Abdelmoula K., Sohbi N., Djellab A., Nouar D., Benkhal A., Merbouh A., Benbakreti M., S. Habbès, Assou O., pour ne demeurer que dans la sphère théâtrale et son environnement ambiant.

D'autres noms figurent dans le monde du théâtre local et lesdits noms sus-cités sont ceux qui font partie prenante du spectacle dénommé «Falso» cité plus haut et qu'on a vu jeudi 16 avril, lors de l'ouverture de la 3e édition du festival professionnel de Sidi Bel-Abbès. Bien au-delà des faux clichés et autres mythes fondateurs autour de la création de leur ville qu'a repris à faire admettre la France coloniale et ses relais locaux... Il faut tout de même signaler que combien est bien ancienne la vue de ce coin de terre d'Algérie qui est la région de Sidi Bel-Abbès d'une façon générale qui a dû vivre tous les grands courants de l'histoire du Maghreb pour n'en rester que là.

C'est d'abord les Romains, et ce outre les géographes arabes du Moyen Age, pour que, selon l'historien El-Idrissi, de nombreuses matérielles concordent à conclure que Sidi Bel-Abbès n'est pas née d'hier à l'instar d'autres régions de notre pays. Elle qui a dû connaître les pires crimes de la colonisation de peuplement, violence, exactions et agressions multiples et diverses où les autochtones, tribu des Béni Ameur, opposèrent une longue résistance contre l'occupant, mais aussi une grande leçon de nationalisme, de sacrifices humains et matériels et autres formes d'oppression dont l'aspect culturel à présent sauvegardé.

En remontant au siècle dernier, l'on relèvera que le théâtre est sorti presque du néant dans les années qui ont suivi la 1re Guerre mondiale 14-18, et ce parce qu'il était une manifestation de la prise de conscience du peuple algérien et c'est feu Bachtarzi, qui est l'un des pionniers de cette inlassable oeuvre qu'était l'activité théâtrale où tout était à mettre en oeuvre. Certaines conditions vont contribuer peu à peu à galvaniser les effets. Il s'agit, au cours de cette période d'entre les deux guerres, de l'apparition de certains cercles culturels dont le célèbre Nadi Nadjah du Graba, dans l'ex-place Bugeaud, aujourd' hui place de Fida.

Admirablement servi par sa voix «miraculeuse» mais aussi par son génie, feu Bachtarzi et, dès son premier contact avec le public belabbésien, lors de ses passages en Oranie, il n'hésite pas à frapper l'attention des auditeurs, «O Algériens, mes frères, il faut vous réveiller. Voyez autour de vous, ce que font vos voisins, imitez ce qu'ils font en bien, et non en mal. Ce n'est que par l'action que vous serez dignes de vos aïeux, qui ont donné Averroès, Ibnou Sina et d'autres».

L'appel est donc direct. Il trace tout un programme face à un auditoire très attaché au patrimoine arabo-musulman, notamment andalou. Il s'agit non seulement de méditations sur un passé glorieux, mais aussi et surtout de sensibiliser le public aux graves problèmes de l'heure. Tel est le long et inlassable travail à mener jusqu'au bout et à travers un nombre croissant de villes et localités du pays. Par la même occasion, il s'agit d'adapter, de rénover l'outil de travail, la langue. Au départ, le choix pour la langue littéraire n'a pas été judicieux, car les représentations ne pouvaient intéresser qu'une infime proportion de l'auditoire. Tout cela s'est soldé alors par une éclipse du théâtre durant deux années consécutives. La reprise n'a pu se faire qu'avec le dialectal, même s'il y a eu à certaines occasions des pièces en langue classique comme le montrent en particulier les exemples de Hannibal, Abderrahmane Madoui et Al Mawlid, de Abderrahmane El Djillali... Quant aux thèmes à débattre, ils varient dans l'ensemble. On peut en distinguer trois destinés tous à engager un dialogue permanent entre les acteurs et le public. Ce sont en premier lieu tous les problèmes dans lesquels se débat la société et qui l'empêchent d'évoluer favorablement. Il faut entraîner la transformation des esprits.

Or tout cela ne peut se réaliser peu à peu, sans s'attaquer aux forces rétrogrades, et en particulier tous ceux qui se rangent derrière le masque opaque du maraboutisme, est l'objet de la pièce: faux savant. Rachid Ksentini, autre créateur du théâtre algérien, consacre au même problème un nombre incalculable de saynètes et de chansons.

En effet, qu'il s'agisse de cet acteur ou de Bachtarzi, les premiers pionniers n'hésitent pas à user de tout leur talent pour accomplir honorablement leur mission éducative et culturelle. Plus de cinquante ans après, cette matrice théâtrale est revenue par les artistes locaux avec l'expérience de la «halqa» qui n'est pas nouvelle. Elle vient même d'être ressuscitée, le temps d'un spectacle. Conçue par Abbès Lacarne, un ancien du «Masrah Echaâbi» (théâtre populaire), avec les talentueux artistes, Sedjerari A. Abbès et Bensaïd, Hassani Miloud, elle vient de faire des émules, à travers les échos retentissants au sein des centaines de spectateurs nationaux, là où se joue le spectacle «l'ultime halqa».

C'est l'histoire d'un «goual» qui, pour sa dernière apparition sur la place publique (tahtaha), est invité par deux de ses amis gouala comme lui, à animer une halqa exceptionnelle où le goual est tantôt meddah, troubadour, animateur et tantôt ajajbi, conteur et comédien. L'ultime halqa se veut un devoir de mémoire et une tentative de réhabilitation de notre patrimoine culturel national en général et régional en particulier. Elle est ainsi un relais infaillible entre le passé et le présent. Pour ce faire, il est repris dans cette «farja» tous les adages et maximes, airs populaires, chansonnettes et extraits de quacidate de poètes connus dans notre région et d'ailleurs. Nous citons Mostéfa Benbrahim, Mohamed Benharet, Abderrahmane El Mejdoub, Sidi Lakhdar Benkhlouf, Sidi Ahmed El Riffaï et bien d'autres... Les adages et proverbes dont il est question sont, comme le dit Mohamed Bencheneb vers 1905 dans son livre intitulé «Proverbes de l'Algérie et du Maghreb», «des flambeaux qui éclaircissent les discussions». Et Bencheneb d'ajouter: «Si l'adage est cité dans une conversation, il vient alors établir un contrat supplémentairement avec l'interlocuteur».

C'est un signe de civilité et de savoir-vivre, il établit un climat de sympathie réciproque qui peut faciliter le dialogue ou la transaction. Qui n'a pas le souvenir d'une grand-mère dont la conversation était émaillée à longueur de journée de proverbes toujours cités à propos ? Qui n'a pas connu de personnages, parfois un parent proche, qui ne parlaient ou ne répondaient aux interrogations qu'au moyen de proverbes ? L'ultime halqa c'est aussi la manifestation de certaines coutumes en pleine place publique. C'est aussi le souvenir (le goual) de l'enfance à la tahtaha, c'est cheikh Daho, c'est Kabasso, c'est Moul El Ouaada, c'est Ammi Baba (Allah Yerhamhoum), sans oublier l'ami Hamdan avec qui il jouait à longueur de journée au Tour de France, sans oublier Ammi Benadji (crieur public à la mairie). La forme de jeu est celle utilisée de tout temps par le meddah et s'identifie au théâtre de rue non conventionnel. Elle est conforme à notre culture populaire où le spectateur est impliqué, voire participe au spectacle. L'ultime halqa c'est enfin une halte d'adieu pour un goual qui a tant donné pour que vive la halqa et pour que nul n'oublie.

A Sidi Bel-Abbès, l'on citera Louis Jouvet, «La société a le théâtre qu'elle mérite, l'art est la fleur et le fruit de la politique», cité par Mustapha Kateb in «Consciences algériennes», décembre 1951. «La vie est une comédie aux cent actes divers», a écrit ce fin observateur d'une société et de la comédie humaine pour qui la vie est un vaste théâtre à ciel ouvert.

Notre théâtre n'en est donc que le reflet. Lieu magique, c'est une espèce de rêve où se mêlent et se conjuguent l'irréel... et le réel. Il en est ainsi à Sidi Bel-Abbès qui compte une longue tradition théâtrale et où la conquête de ce haut lieu de la culture a été significatif. Voici un des derniers actes de cette longue marche où se mêlent l'expression théâtrale et politique. Bientôt, bientôt, nez en l'air, les musulmans belabbésiens, amusés et curieux, déchiffrent ces deux mots isolés sur de petites affichettes jaunes, rectangulaires, collées aux murs de leurs quartiers. Bientôt quoi ? Bientôt qui ? se demandent-ils.

Et ce n'est qu'une quinzaine de jours plus tard qu'ils eurent la réponse sous la forme d'une grande affiche annonçant la pièce de Saïm El Hadj, intitulée «Les hors-la-loi», au théâtre municipal. Ce jeune metteur en scène, qui avait suivi les cours de Mustapha Kateb, venait de mettre en pratique une des dernières astuces de la publicité moderne pour attirer l'attention.

Nous sommes au printemps de l'année 1954 et le 1er novembre ne va pas tarder à frapper les trois coups du destin d'un peuple, un peuple qui va devenir acteur principal de son histoire. Comment alors un tel titre prémonitoire et provocateur a-t-il pu passer malgré la rigueur de la censure locale et être publiquement affiché ? L'explication est simple: il a profité d'un précédent, en l'occurrence un film western programmé récemment au cinéma le Rio et qui portait le même titre.

Ainsi, dans une colonie, le colonisé, plus facile et opprimé, s'avère plus subtil au jeu du chat et la souris, il sait user de tous les subterfuges pour exprimer son art et son idéologie. Il en a toujours été ainsi et partout à travers l'Algérie. Mais revenons au décor local.

Celui-ci a été planté dès les débuts. En effet un siècle auparavant, la ville comptait à peine 4.561 Européens quand, en 1857, elle disposait déjà d'une «salle où les artistes se produisaient»... Et le 16 septembre 1857, le directeur du théâtre demande au conseil municipal une subvention pour payer notamment un déficit de 1.942 F. Pauvre culture, elle a toujours été déficitaire.

A suivre