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Djazaïrouna

par Ahmed Saïfi Benziane

On admet difficilement qu'une société indépendante depuis près d'un demi-siècle continue à se référer au passé colonial ou au présent néocolonial pour retrouver quelques normes élémentaires de fonctionnement.

C'est se demander légitimement si les processus de décolonisation y compris par les guerres de libération comportaient une dynamique de prise en charge des indépendances ou n'étaient-ce que des mouvements liés à l'ère du temps au moment où le capital avait besoin d'un redéploiement d'après-guerre, pour reconfigurer la consommation et relancer les économies européennes. Même si cela était le cas il parait inexplicable par les seuls mécanismes de l'économie que des pays comme l'Algérie, disposant de richesses suffisantes pour amorcer un développement cohérent et répondre aux besoins immenses des populations, éprouvent des difficultés pour améliorer les conditions de vies de leurs citoyens. Le fait colonial ne peut plus justifier à lui seul les déséquilibres sociaux, la précarité croissante, les maladies persistantes, l'injustice, un mode de gouvernance par l'exclusion. Ce n'est plus un registre de commerce rentable. Les nationalismes s'avèrent impuissants pour s'ériger en idéologies dominantes et ne produisent que des rejets chez une jeunesse atteinte des syndromes de la modernité au point où le rêve des anciennes générations n'arrive plus à être transmis, même plus à être écouté. Au point où les jeunes générations ne rêvent plus que de partir dans une fuite qui ne s'explique que par la recherche d'une « vie meilleure » façonnant un imaginaire faussé par la recherche d'une identité différente mais inconnue.

Le rêve européen n'a pas été seulement transmis via la télévision qui occupe une place importante dans la construction des modèles mondialisant surtout dans les sociétés post- coloniales, il l'a aussi été par une nostalgie relative des aînés lorsqu'ils décrivent la période coloniale comme une période certes d'injustices mais aussi paradoxalement de respect des règles humaines. Le procès du colonialisme passe inévitablement par une vision sereine des évènements et c'est ce qui faisait dire à Ghandi « dans le colonialisme il y a de mauvaises choses mais aussi de bonnes ». Il n'est plus admis de faire du discours nationaliste un outil de mobilisation aujourd'hui. Et c'est là que l'équipe de Bouteflika a failli durant les deux derniers mandats en substituant aux discours de l'intelligence, celui dépassé de la démagogie électorale de façade qui cache mal les perversions du système.

 La boucle est désormais bouclée : Bouteflika a été consacré Président de la République, pour cinq ans, une troisième fois. Il est clair que le système ne changera pas et que la pratique du pouvoir continuera à obéir à la logique du « j'y suis j'y reste », en n'acceptant d'alternance que celle qui obéit à la survie d'un système, qui peut encore répondre aux sollicitations du marché mondial en matière énergétique et dont il tire sa véritable raison d'être. L'opposition au stade juvénile ne fait pas le poids à ce sujet et les garanties qu'elle offre ne peuvent satisfaire ni l'armée, pièce maîtresse de l'échiquier politique ni les propriétaires des capitaux nationaux et internationaux qui se croisent souvent autours des mêmes intérêts. Le reste est une question de façade où la couche visible cache les conflits latents qui trouvent réponses grâce à l'embellie financière. Pour le moment.

Le système vient de fermer ses portes une fois de plus, ne laissant aux réformes que peu de chances de se réaliser. Sauf si la ruse et l'intelligence de l'ex candidat de la clase politique majoritaire lui permettent encore de réagir à l'immobilisme d'une administration obsolète et corrompue au mépris des lois. Au-delà des scores réels ou préfabriqués, que peut faire le Président d'une victoire contestée par-ci, approuvée par-là, si ce n'est de donner un coup de pied dans la fourmilière et se débarrasser de tous ceux qui ont terni l'image d'un pays en pleine explosion et parmi lesquels il compte de nombreux amis ou fidèles ? Chemin difficile et semé d'embûches, mais nécessaire à la bonne santé des institutions si la volonté politique existe loin de toute mégalomanie. On peut se permettre de présager ainsi la naissance d'une nouvelle étape de moralisation de la vie publique maintenant que les richesses se sont accumulées, d'une manière paradoxalement apeurante.

Maintenant qu'est née une catégorie de possédants surgis de nulle part qui confond richesse et enrichissement, il y a tout lieu de lui expliquer clairement son rôle dans le développement du pays. Maintenant que l'Algérie est fréquentable par les firmes internationales qui font leurs premiers pas timides dans l'investissement et qui nous doivent en retour au moins le transfert du savoir-faire.

L'attente est énorme de ceux-là même qui ont voté Bouteflika ou pas et qui espèrent une vie meilleure, du travail d'abord par manque de choix ailleurs. D'abord du travail, lorsqu'on sait qu'à l'âge de 40 ans et sans qualification, beaucoup d'Algériens n'ont eu droit qu'à des refus successifs dans leur pays pendant que la main d'?"uvre dite « banale » profite des projets qui ont fait le lit des bilans de Bouteflika.

Sans aller vers la xénophobie développée par l'un des candidats de façade de la dernière campagne ou vers le radicalisme d'un autre vieilli par le manque de réalisme en proposant un retour désespéré vers une économie d'Etat, le juste milieu serait de savoir distinguer ce que doit faire l'Etat de ce qu'il doit laisser aux autres de le faire. Ce que l'Etat doit faire c'est de garantir la création des richesses par un dispositif législatif et d'en assurer le respect quel que soit le statut de ceux qui ne s'y conforment pas. En deux mots c'est d'assurer que les chances soient égales entre tous les Algériens sans avoir besoin d'être apparenté, allié ou ami à un haut fonctionnaire qui se cacherait derrière son nom pour dilapider la chose publique. Triste sort d'un pays qui vit d'une Histoire mal comprise, mal exploitée pour assurer à l'avenir d'un pays sérieux. Qui vit de la vengeance des uns contre les autres laissant l'essentiel au hasard du temps. Le temps, lui n'attend pas car il ne suffit pas de scander « vive Boutflika » pour continuer un processus ou l'inverse pour l'arrêter. Le temps n'est plus qu'aux actes de construction d'une voie pour de bon. Une voie sérieuse et durable.