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«Nous sommes tous ses lièvres»

par Kamel Daoud

Que vont-ils devenir ? Louiza, et à coup sûr, s'en remettra : le nationalisme économique lui promet un statut de Chavez en second pour quelques années encore. On a déjà ressenti, entre elle et Bouteflika, une sorte d'affinité et de passion tiède qui font qu'elle condamne vigoureusement le « Système », mais en préservant Bouteflika. L'amour, sans obligation d'achat en quelque sorte. Rebaïne ? Personne ne sait, même lui. Sociologiquement, il incarne une sorte de tentative avortée de présenter un candidat propre (au lieu de soutenir un candidat externe) fait par le lobby des anciens Moudjahidine, des martyrs, des fils de Chahid et de toute cette caste qui a été doublée par ses chefs. Ce Lobby reste encore puissant, dispose du monopole de la « légitimité » et a toujours fantasmé sur l'élection de l'un des siens, indépendamment de ses propres chefs monnayeurs. Rebaïne ne peut pas donc avoir de l'avenir, parce qu'il a trop de passé et veut le garder pour lui tout seul, comme sa caste. Dans le panthéon algérien, il est, institutionnellement, un souvenir actif.

Younsi ? Tout le monde le sait : lorsque le régime à recruté tous les islamistes dans son sillage, il ne pouvait rester sur le terrain que deux formules : les maquisards terroristes et les derniers islamistes de la série indolore. Younsi signe véritablement la fin de l'islamisme politique indépendant et menaçant. Il a à peine pu remplir ses salles de meeting là où Abassi peinait à y faire entrer tout le monde il y a vingt ans. Aujourd'hui, il se retrouve seul avec sa barbe entre El Qaïda Maghreb et le MSP assimilé. L'avenir de Younsi ? Aucun là aussi. L'islamiste est aujourd'hui soit international soit « nationalisé » par les régimes.

Mohammed Saïd alias Mohammed Saïd. On l'avait présenté timidement comme l'enfant de Brahimi, lui-même enfant de Bennabi... etc. Dans une Algérie qui ne serait pas passée par le socialisme ravageur, il aurait incarné l'offre politique de la bourgeoisie urbaine conservatrice. C'est son cas aujourd'hui, mais inutilement. Le seul problème est que cette bourgeoisie urbaine conservatrice n'existe pas, comme au Maroc ou en Tunisie. Elle a été laminée soit par le populisme, soit par les néo-capitalistes de la rente. Il ne lui reste que ses bonnes manières et ses politesses et sa culture. L'avenir de Mohammed Saïd est peut-être dans un retour à la diplomatie, mais chez lui.

Moussa Touati ? C'est le produit dérivé de la crise permanente du FLN depuis trente ans. Le FLN en tant qu'appareil dentaire produit beaucoup d'appelés, peu d'élus et donc beaucoup de déçus. Statistiquement, ces derniers devaient, tôt ou tard, avoir un parti alternatif et un candidat, Moussa Touati. L'avenir de celui-ci est une possibilité mathématique : le FLN, même mort, produit des enfants comme tout bon chahid fictif. Le FNA est son fils, le RND son frère cadet. Le FNA a déjà, sauf accident de parcours, un bel avenir d'appareil de rechange devant les siens.

On voit donc que ces gens-là sont de véritables sociologies piétonnes et pas des lièvres. Ont-ils été des lièvres ? Oui, mais pas seulement eux. Une belle réponse envoyée par un ami au chroniqueur suite à la dernière élection : « je pense que notre « société » a été tétanisée, meshoura pour rester dans les catégories adéquates et ses leaders politiques pseudo-modernistes et ses élites « khobziztes » le sont encore davantage. Finalement, le Pouvoir a transformé tout le monde en lièvres, pour ne pas dire autre chose par respect à ce qu'il y a encore d'humain chez les Algériens, ceux qui participent, ceux qui boycottent, ceux qui votent et ceux qui s'abstiennent. Tous participent paradoxalement à le renforcer ». Oui. Nous sommes tous ses lièvres.