Au moment où tout le monde parle, où chacun
trouve à dire et à redire sur tel ou tel candidat à la présidence, dans une
cacophonie où chacun essaie de se retrouver et de s'entendre, au milieu d'un
déluge de chiffres, de révélations tardives, de promesses creuses, nous avons
essayé de savoir ce que le citoyen moyen pense et, surtout, ce qu'il a envie de
dire. Nous sommes dans une ville de la Mitidja qui a souffert du terrorisme et qui en
souffre encore, à cause d'une réputation qui ne veut pas la lâcher. La première
personne que nous abordons a l'air d'un intellectuel, qui hésite pourtant à
répondre à une question somme toute banale. «Qu'avez-vous à dire concernant
cette élection ?». Après un moment de flottement, il avoue «je crois que la
meilleure chose qui puisse arrive à notre ville c'est que tout le monde vote et
vote bien !». Devant notre air interrogatif, il continue : «nous savons tous
qui va être notre futur président, alors il vaudrait mieux que les gens votent pour
lui, comme cela, nous ferons un peu oublier cette réputation de frondeurs, de
terroristes, que beaucoup ont voulu coller à notre ville. Nous sommes des
citoyens comme les autres, il y avait des terroristes comme partout en Algérie,
la plupart sont revenus à la raison, mais nous sommes toujours tenus pour tels,
alors, si les gens vont voter pour celui qui sera président, nous aurons une
petite chance de nous en sortir». Un jeune qui passait entra directement dans
le vif du sujet : «écoutez, il faut aller voter, sinon vous pourriez avoir des
ennuis plus tard, ne serait-ce que pour avoir certains documents», lâcha-t-il
sentencieusement avant de poursuivre : «je pense que tout le monde doit aller
voter, comme cela nous dirons à tous que nous sommes un peuple civilisé et que
nous avons choisi nous-mêmes notre président». Dans un quartier d'une autre
ville, un groupe de jeunes discutent bruyamment mais se taisent quand nous nous
sommes rapprochés. Dès qu'ils apprennent que nous sommes de la presse, l'un
d'eux nous demanda ce que nous voulions et, dès qu'il sut que c'était au sujet
des élections présidentielles, il explosa : «vous n'écrivez que pour la Houkouma,
venez voir où nous vivons, il n'y a ni goudron, ni eau, ni assainissement, nous
vivons comme des animaux. Nous n'avons que faire des élections, c'est juste
pour qu'ils se partagent l'argent, alors que nous n'avons rien». Ceux qui
étaient avec lui le confortèrent dans sa réponse et reprirent de plus belle :
«il a raison, écrivez et dites que les réfections des trottoirs, les
aménagements des cités, le goudronnage des routes, tout cela n'a touché que les
centres des villes ou les quartiers qui ont un élu à l'assemblée, venez avec
nous et vous verrez». Nous avons dû leur promettre de revenir un autre jour. A l'entrée
d'un marché, nous avons abordé un homme d'une soixantaine d'années et nous lui
avons posé la même question. Il prit un air inspiré pour nous répondre : «vous
savez, dans tous les pays, les citoyens se rendent aux urnes et élisent leur
président ou leurs représentants de manière très démocratique, alors pourquoi
faudrait-il que nous fassions exception ? Nous sommes obligés d'y aller et de
donner notre voix à celui que nous considérons le meilleur, maintenant s'il y a
fraude ou quoi que ce soit, nous aurons quand même fait notre devoir et c'est
cela l'essentiel !». Un peu plus loin, c'est une femme, sous le poids de deux
couffins remplis de victuailles qui attendaient le bus et qui engagea elle-même
la conversation : «Ouf ! Heureusement que c'est bientôt terminé, ils nous rabâchent les oreilles à longueur de journée avec leurs
promesses sans jamais les tenir. Nous avons un Président qui nous a ramené la
paix, qui a construit beaucoup de logements, ouvert des routes, alors qu'il
continue son travail et qu'on nous laisse tranquilles». Elle affirma qu'elle a
toujours rempli ses obligations d'électrice et qu'elle ira voter jeudi prochain
«même s'il pleut». Ailleurs, les gens vaquent à leurs occupations, sans
paraître se soucier de ce qui se passe autour d'eux. Surtout les commerçants,
ils n'ont qu'une idée : se faire le plus d'argent possible, de quelque manière
que ce soit. Nous avons essayé de leur parler des élections mais ils se sont
montrés, pour la plupart du moins, sans avis : «vous savez la politique a ses
adeptes et ses hommes, nous, nous pouvons parler du commerce et de ce que nous
endurons pour gagner notre vie», ont-il éludé la question. Quant aux militants
des partis, c'est avec véhémence qu'ils ont répondu à nos questions.
Abdelkader, la cinquantaine dépassé, militant très ancien du FLN : «Nous
appelons tous les Algériens à voter car c'est un devoir national qu'il ne faut
en aucun cas délaisser, il y va de notre avenir et de celui de l'Algérie», il
poursuivit en affirmant : «tout le peuple est avec Bouteflika,
car nous aspirons à la paix, à vivre tranquille, même si nous manquons de
certaines choses, nous sommes fatigués de nous entretuer». Une jeune fille,
militante d'un autre parti de la coalition, Fatima-Zohra,
travaille dans le cadre du filet social à l'APC et a
tenu à dire : «je me suis rendue chez toutes les femmes de ma famille et je
leur ai demandé de se rendre aux bureaux de vote pour donner leur voix au
candidat de leur choix, mais je ne vous cache pas que je voterai pour Bouteflika, c'est le seul qui pourra continuer l'oeuvre
qu'il a commencée». Et c'est ainsi à travers tous les quartiers, qu'ils soient
résidentiels, bidonvilles, de banlieue ou au fin fond de la forêt, il y a ceux
qui sont convaincus que voter est préférable, d'autres ne veulent pas en
entendre parler, d'autres, enfin, le font pour éviter des complications. A
noter enfin que la campagne présidentielle a pris fin lundi dernier.