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La recherche scientifique dans le débat des présidentielles

par Mohammed Mebarki *

A l'image de beaucoup de pays en développement, et pour des raisons assez diverses, l'Algérie a été très vite sensibilisée à la formation et à la recherche. C'est au début des années 80 que la recherche scientifique a commencé à intéresser sérieusement les pouvoirs publics, avec la création de l'Office national de la recherche scientifique (ONRS).

Depuis, le choix politique a été confirmé et l'activité de recherche scientifique est considérée, dans le discours politique, comme un moyen attesté d'accès à la modernité et au développement pour le pays. Cette tendance, observée dans beaucoup de pays en voie de développement, fera dire au sociologue François Siino en 1996, à propos d'un pays maghrébin, que «la science y est à la fois la source du développement économique, la garantie d'un gouvernement juste car «rationnel», une culture de la modernité susceptible d'émanciper le peuple tout entier» (1).

En effet, au-delà de la constitution d'un corps enseignant à l'université, la recherche scientifique est un moyen avéré de développement économique et social. Cela a été démontré dans des pays développés comme le Japon, qui ne dispose que de peu de ressources naturelles, mais aussi dans des pays comme la Malaisie ou la Corée du Sud. En Algérie l'énorme malentendu dans les visions, et sur les rôles que l'université et la recherche pouvaient jouer, a toujours freiné les avancées dans ce domaine. D'un côté, le reproche est fait à l'université de ne pas s'être ouverte sur son environnement (c'est-à-dire qu'elle ne vit pas les développements et les bouleversements de la société, ni essaie de les comprendre). D'un autre côté, si l'université n'a pas eu le rayonnement théoriquement attendu par la société, était-ce de sa propre volonté ? L'environnement culturel, social, économique et industriel en Algérie a-t-il jamais été disposé à clarifier sa relation avec l'université ? En fait, il fallait attendre la fin des années 90, pour que la volonté politique se traduise sur le terrain. La loi 98-11, portant orientation et programmation de la recherche scientifique et technologique, réaffirme clairement l'ambition des pouvoirs publics, à « réhabiliter et garantir l'épanouissement de la recherche scientifique et du développement technologique », et à en faire « des priorités nationales». L'Algérie a donc consenti un effort pour constituer un potentiel humain dans ce domaine, et asseoir les infrastructures de base nécessaires à cette activité. Aujourd'hui, des centaines de chercheurs de haut niveau ont été formés, et publient dans des revues spécialisées internationales.

Le bilan du Président Bouteflika sur les 10 dernières années est tout à fait révélateur de la volonté de développer le secteur : 34 PNR (Programmes nationaux de recherche) et plus de 6.200 projets sont initiés grâce à l'ambitieux programme de financement (34 milliards de DA consacrés). Cela a permis de réaliser quelque 7.000 publications, 14.500 communications nationales et internationales et 4.100 thèses de doctorat. Le nombre de centres de recherche est passé de 10 à 19 au cours de la même période, quand le nombre de chercheurs permanents a progressé de 451 à 2.000. La tendance est la même à l'université puisque le nombre de chercheurs associés a doublé pour atteindre 15.000 en 2008.

Néanmoins, la recherche scientifique en Algérie ne répond pas encore à toutes les attentes, et ne s'est pas imposée comme levier important au développement économique, social ou culturel, malgré la qualité des chercheurs dont elle dispose et des ressources financières importantes. C'est qu'elle souffre en même temps des aléas d'un environnement défavorable, et des carences dues à sa propre politique d'organisation et de fonctionnement. Le manque d'efficacité de cette activité est dû aussi aux politiques nationales qui mériteraient une meilleure adaptation et une plus grande précision des objectifs.

Les transformations de notre économie nationale et son passage à l'économie de marché n'ont pas eu l'impact souhaité sur la dynamisation de la recherche scientifique. Dans les pays développés, ce sont la demande et l'exigence de développement économique, industriel et social, qui jouent un rôle moteur et d'entraînement pour la recherche, qu'elle soit appliquée ou fondamentale. Nous avons souvent vu dans des pays occidentaux, des laboratoires universitaires de physique de renom, ne fonctionner que grâce à des contrats financés par l'armée de leur pays ou des grandes entreprises industrielles. Il est heureux de voir cette question prise en charge par le programme du candidat Bouteflika qui affirme que « seront mises en place de nouvelles mesures incitatives pour la recherche développement au niveau des entreprises». L'insuffisante utilisation des chercheurs et l'absence de valorisation des scientifiques expliquent, en partie, le faible rendement dans la recherche scientifique. Le dispositif juridique réglementant le statut des chercheurs ne les protège pas suffisamment des contingences et difficultés sociales, pour les amener à se concentrer sur le travail. Si dans les structures propres à la recherche hors université, le chercheur est considéré comme un fonctionnaire quelconque, à l'université, le statut d'enseignant-chercheur n'est pas plus mobilisateur. C'est l'enseignement, activité principale de l'enseignant-chercheur, qui détermine la carrière. Pourtant, en ce lieu de transmission et de production des connaissances, la recherche scientifique devrait être l'objet central de l'activité universitaire. Le désintéressement à l'endroit du potentiel humain a souvent amené le chercheur à s'expatrier pour faire valoir son savoir-faire. Car, dans la plupart des cas, l'émigration du chercheur à l'étranger n'est pas due aux conditions de sa propre vie sociale, mais de celles qui entourent son travail. La contribution des universitaires algériens au développement scientifique universel, quand ils sont dans des conditions normales, devrait justifier pour eux, un statut honorable qui ne laisserait pas les savants en marge de la vie du pays. A cet effet, les mesures annoncées par le Président Bouteflika comme la bourse de 12.000 dinars par mois aux doctorants n'ayant pas de salaire, est un encouragement à ces chercheurs débutants.

L'autre insuffisance quant à l'utilisation du potentiel humain est spécifique aux chercheurs formés à l'étranger et qui se retrouvent, à leur retour, isolés de leur équipe formatrice. Un effort est à faire pour rapprocher les chercheurs travaillant dans les mêmes spécialités, pour constituer de nouvelles équipes autour de sujets adaptés aux réalités algériennes, cette fois-ci. Ces chercheurs restent le plus souvent «branchés» avec leur ancien laboratoire d'accueil, subissant tous les aléas des financements et des autorisations de leur séjour à l'étranger. De plus, cette démarche ne participe pas à la mise en place localement, d'un environnement favorable à la recherche scientifique ; car la recherche se fait en équipe et de façon permanente. Dans cet ordre d'idées, souvent, en sciences expérimentales, les équipements lourds de fabrication ou de mesures sont des motifs de regroupement. Il s'agit, seulement, de répertorier les sujets et de faire l'inventaire national des «gros» équipements, pour les porter à la connaissance des chercheurs. Avec les moyens de communication actuels, il devient facile de faire circuler ces informations à travers tout le pays et en assurer la coordination.

En plus des moyens modernes d'acquisitions de l'information scientifique mis à sa disposition, le chercheur doit pouvoir participer aux rencontres scientifiques de sa spécialité. Ces réunions scientifiques internationales, organisées de par le monde, permettent aux chercheurs d'échanger et de communiquer les résultats de leurs travaux. Egalement, le chercheur pourrait suivre l'état d'avancement du progrès scientifique dans sa spécialité. Beaucoup de pays en développement, ne pouvant travailler dans tous les domaines de la recherche, suivent l'évolution scientifique et technologique du monde grâce à une participation assidue à ces congrès. Des chercheurs sont délégués pour ramener les actes du congrès et tirer les conclusions qui s'imposent. C'est le concept de «veille technologique» déjà pratiqué par beaucoup de pays et qui mérite d'être encouragé. D'un autre côté, l'organisation administrative et financière de la recherche a contribué à la faiblesse de son rendement. En particulier dans les établissements de l'enseignement supérieur, qui comptent le nombre le plus important de personnels mobilisables pour cet objet. Ici, la recherche est organisée en laboratoires et fonctionne conjointement avec l'enseignement, dans les mêmes bâtiments, avec le même ordonnateur de budget qui est le recteur. Ce système est conçu pour concilier entre les «intérêts» de la recherche et ceux de l'enseignement ; il permettrait de maintenir les enseignants gradés au service de l'enseignement, tout en restant actifs sur le plan de la recherche. Alors, aujourd'hui que la question de l'encadrement est réglée dans de nombreux établissements, il est temps de reconsidérer ce modèle organisationnel. Certains enseignants-chercheurs peuvent justifier leur charge, uniquement dans l'activité de recherche et l'encadrement de thèses.

Sur un autre plan, le statut d'établissement public à caractère scientifique et technologique (E.P.S.T.) octroyé au laboratoire le fait bénéficier de la subvention de l'Etat, à travers le fonds national de la recherche, en même temps qu'il lui permet de réaliser des ressources propres et jouir du contrôle financier a posteriori. L'intervention de l'Etat se fait en amont, pour retenir au financement les projets intégrables dans les programmes nationaux préalablement définis. Cela crée de l'émulation, dans la transparence. Ce statut a amené plus de fluidité dans les procédures financières, notamment pour les acquisitions de moyens de fonctionnement. Néanmoins, l'équipement des laboratoires en matériels lourds reste soumis aux mêmes obligations et lourdeurs qu'un établissement d'enseignement.

Malgré l'importance des moyens financiers mis en oeuvre, le système développé pour réhabiliter la fonction de la recherche n'a pas prévu tous les mécanismes pour l'utilisation efficace et rationnelle de ces moyens. Le chercheur perd beaucoup de temps dans la gestion administrative et financière. Et puis, une partie importante des budgets alloués reste inutilisée en raison du nombre, encore important, d'intervenants dans la gestion du budget d'équipement. Rares sont les laboratoires qui ont réussi à réaliser des commandes, avant un délai de trois années. Il y a lieu, à mon avis, d'approfondir l'évaluation de la première loi d'orientation pour compléter par des mesures allégeant et améliorant les procédures d'utilisation du financement accordé. Par exemple, la généralisation du contrôle a posteriori dans la gestion du budget de la recherche est une nécessité. Si, en recherche scientifique, l'intérêt du travail de groupe n'est plus à démontrer, il est aussi important que nos équipes locales développent des coopérations avec des chercheurs confirmés d'autres pays. Ils bénéficieront d'expériences, de moyens et d'un environnement qui n'existe pas encore en Algérie. Les «étrangers», quant à eux, profiteront de l'engouement et d'une disponibilité chez les universitaires algériens, car la coopération n'a de chance de réussir que lorsqu'elle est basée sur une réciprocité d'intérêts. C'est aussi dans ce créneau que les Algériens implantés à l'étranger peuvent apporter leur contribution. Dans ce cadre, la coopération avec les laboratoires universitaires français s'est beaucoup améliorée : les comités mixtes d'évaluation et de prospective (CMEP), par exemple, ont beaucoup gagné en efficacité et en expérience de travail commun. Elle reste aujourd'hui à élargir à d'autres pays. Ceux du pourtour méditerranéen et les pays arabes sont les mieux indiqués. La coopération scientifique est une chance pour développer un partenariat d'un autre type. En effet, au moment où les pays développés du Nord connaissent un ralentissement dans l'investissement et la formation de chercheurs, l'Algérie a constitué un potentiel humain qualifié et s'engage à mettre plus de moyens que par le passé. Alors, une autre politique de coopération et de partenariat avec nos voisins du Nord peut contribuer à développer la recherche scientifique en Algérie, et renverser la tendance à l'exil de nos élites scientifiques. Le système de délocalisation vers les pays du Sud, vérifié pour de grandes industries, peut bien fonctionner pour la recherche scientifique. Par exemple, l'Algérie peut initier, avec l'Union européenne, un projet de production d'énergie solaire. Car l'énergie et la sécurité énergétique sont une des priorités de l'Europe, et les arguments ne manquent pas pour élire l'Algérie à un tel projet. D'abord, le pays est très ensoleillé pendant toute l'année et dispose d'une immense réserve de sable au Sahara, dont la purification permet d'obtenir du silicium pour la fabrication de photopiles. D'un autre côté, il y a un réseau de formation professionnelle capable de fournir au projet de la main-d'oeuvre qualifiée, en des temps relativement courts. Egalement, à signaler l'existence d'une industrie électronique (Sidi Bel-Abbès, Tizi Ouzou, etc.), susceptible de soutenir la recherche et la fabrication industrielle de cellules, batteries, etc. Et enfin, il existe un potentiel humain scientifique important, en chercheurs algériens formés sur le sujet. L'avantage d'un tel projet est qu'il induit le développement de plusieurs industries : industrie de purification du sable, industrie de fabrication de (divers) matériaux, industrie électronique de fabrication de cellules solaires, industrie de fabrication d'accumulateurs, etc. Sur le plan économique, l'intérêt est évident, notamment sur la création d'emplois.

Pour conclure, et devant le progrès sans cesse croissant de la science et la technologie, nous dirons que la recherche devrait être au centre de toute politique de développement économique et sociale, d'autant que l'Algérie dispose d'un potentiel humain capable de relever le défi. L'effort d'investissement de l'Etat continuera sans doute ; la tendance est soutenue par le Président Bouteflika quand il précise dans son programme pour les présidentielles : «Nous veillerons à promouvoir davantage la recherche scientifique et nous lui consacrerons un minimum de 100 milliards de DA durant les cinq années à venir».

La réussite dans ce domaine c'est aussi l'expression forte de la volonté politique et la promotion de l'environnement adéquat. Par ailleurs, les besoins en recherche et développement doivent être exprimés de façon claire. Car la réussite consiste, aussi, à faire des choix judicieux des thèmes tenant compte des réalités et spécificités du pays. Des centres d'excellence peuvent se développer autour de ces choix, quand ils sont bien faits. Par exemple, la question des nouvelles techniques de communication, qu'on relève dans le programme de campagne du Président Bouteflika quand il affirme la nécessité de «l'enseignement des nouvelles technologies de l'information dans tous les paliers, pour que notre pays puisse maîtriser plus rapidement l'économie du savoir». Pour ce faire, l'organisation administrative et financière gagnerait à se libérer des lourdeurs et de la bureaucratie. Egalement, le potentiel chercheur algérien mérite plus d'attention et de confiance, à travers un statut qui lui permet d'exprimer sereinement toutes ses capacités et améliorer son rendement. Le maintien du contact à l'évolution rapide de la science et la technologie doit être assuré par la coopération et l'intégration des «compatriotes» de l'étranger dans le système de recherche, ainsi que par l'organisation de la veille technologique. Car, souvent, les résultats publiés sont obtenus grâce à la coopération avec des équipes étrangères. Et enfin, tout cela devient dorénavant réalisable, avec la réconciliation nationale et le retour à la paix.


* Universitaire, membre du Conseil de la nation.


Références :

(1) : «Les documents de l'IRMC», 1996, Paris et Tunis.