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Sidi Bel-Abbès: Retour sur les crimes de l'OAS

par M. Kadiri

Du côté des institutions étatiques, la célébration du 47ème anniversaire de la journée d'Ennasr (19 mars 1962) eut lieu dans la wilaya profonde à Sidi Chaïb Bir El-Hmem et Marhoum où tout un cérémonial a été organisé. Par contre, les autochtones de Sidi Bel-Abbès se rappellent de quelques péripéties de ces mois sanglants qui ont précédé le 5 juillet 1962. Tout cela s'ajoute aux multiples hauts faits de résistance des tribus locales des Beni Ameurs face à la soldatesque coloniale et son long et sinistre cortège d'horreur, de deuils, de lancinantes traces sur la mémoire des Belabbésiens de plusieurs générations et en plus des emmurements communs et exécutions collectives, individuelles, razzias et enfumades, perpétrés par les colonisateurs. C'est un trait permanent de la barbarie coloniale qu'a vu Sidi Bel-Abbès à l'instar d'autres villes peuplées d'Européens et qui a connu un vrai bout de la horde sauvage de l'OAS, telle une folie meurtrière et destructive qui cibla la communauté arabe établie dans ce qu'on appelait la ville arabe car la ville était duelle, les Européens au sud et les Arabes au nord, et ce, selon nos sources, est résumé par ceci: Sidi Bel-Abbès face à l'OAS où les mois de mars, avril et mai 1962 avaient été particulièrement meurtriers et ont connu d'importantes exactions sommaires et individuelles. A titre indicatif, nous citerons l'assassinat d'un des partisans actifs locaux des manifestations du 08 mai 45 à Sidi Bel-Abbès qui n'est autre que le tailleur Attar Belabbès.

Natif du 9 décembre 1912 dans la glorieuse cité arabe de la Graba, l'ex-PPA a été arrêté en compagnie d'une lignée de nationalistes locaux dont la plupart ne sont plus de ce monde. Le groupe de Sidi Bel-Abbès fut arrêté et condamné à mort par le tribunal d'Oran pour plusieurs chefs d'accusation dont l'atteinte à l'intégrité du territoire français. Relâché, feu Attar continua à activer jusqu'au déclenchement de la révolution. Il fut de nouveau arrêté et interné en juin 1955 et ce à Bossuet (sud de Sidi Bel-Abbès). Relâché le 7 septembre 1956, il est contraint à être hospitalisé à la suite des séquelles de son internement. Il ne quittera pas l'Algérie, refusant l'offre de l'exil.

Sa demeure fut plastiquée et incendiée par la horde de l'OAS. Le chahid mourra sous les balles assassines un certain 11 février 1962. L'indépendance n'était pas loin. D'autres exactions collectives eurent lieu telles que celles contre les familles Zaïdi, Dadi et autres crimes restés impunis en Algérie.

Pour un bref survol, car Sidi Bel-Abbès dépendait d'Oran, l'on évoquera que à la maison d'arrêt d'Oran le personnel de la détention ne cachait point son obédience à l'OAS.

A Orléansville, une autre tentative d'enlèvement de patriotes algériens est signalée et c'est le comité de détention qui fera l'alerte en saisissant l'opinion par voie de presse. Mais c'était le black-out par l'autorité française sur les noms de Rezzoug Mohamed, Kaïd Youcef, Baaziz Abderrahmane et Serradj Mohamed. Ce dernier fera d'ailleurs l'objet d'une deuxième tentative d'enlèvement. Il en fera part à son avocat de ces faits où il a été emmené par les militaires qui ont procédé à un interrogatoire et que les détenus lui vinrent au secours après l'avoir entouré, cité par une source qui s'est intéressée aux lettres et témoignages de 1954 à 1952 dans Les cahiers libres n°41, 42, 43 du duo Patrick Kessel et Giovanni Pirelli. L'administration pénitentiaire ne pouvant protéger les détenus algériens et étrangers gagnés à notre cause recourra à leur transfert aérien comme celui opéré pour les condamnés à mort et à perpétuité incarcérés à Oran-ville qui durent être transférés en métropole. Le gouvernement français reconnaissait là son incapacité à assurer leur protection en Algérie.

Au moment où sont signalés les fameux accords d'Evian, et alors que logiquement l'on s'acheminait vers la paix retrouvée. Ainsi, pour défendre leurs privilèges menacés par la guerre de libération nationale, les Européens ont été amenés à s'organiser sous le credo «Algérie française» et c'est à partir de l'échec du général Challe et de ses acolytes formant «le quarteron de généraux» (Salan, Jouhoud et Zeller) qu'apparurent les premières inscriptions murales de l'OAS et le mot «armée» contenu dans l'appellation était significatif, lourd de sens et de conséquence. Avec Salan comme général en chef, indique notre source, ils se sont partagé l'Algérie, le général Jouhoud né à Bousfer prit l'Oranie.

A Sidi Bel-Abbès, ces groupes d'actions violentes étaient appelés «commandos» ou «équipes spéciales», avec comme objectif la population arabe cantonnée dans les ghettos de misère. L'OAS était une organisation terroriste par ses actions et après ses écrits tel ce tract «l'OAS frappe où elle veut, qui elle veut, quand elle veut...». Son sigle en blanc ressort sur un emblème noir comme celui des corsaires à la place du drapeau tricolore. Des affiches conçues également pour inspirer la terreur aux passants firent placardées dans la ville et villages de la banlieue belabbésienne. L'une de ces affiches représentant la carte de l'Algérie, un poignard et les lettres OAS en gros caractères, une autre laisse percer deux yeux sur fond noir. Aussi, ce n'est pas sans raison que The Time publia un article qualifiant Salan the terrorist et la RA italienne taxa de gangster le chef de l'OAS.

Les armes et munitions de tous calibres provenaient d'Oran. Ces enlèvements d'armes dans les dépôts se faisaient par camion atteignant 120 tonnes en une seule opération. Les dépôts sur place de la Légion étrangère installée à Sidi Bel-Abbès avec la complicité du colonel Brothier, commandant en chef de ce corps et partisan convaincu de l'OAS, seront de la partie puisque Brothier n'avait pas caché ses sentiments dans une déclaration publique publiée par la presse locale. Mais pourquoi Sidi Bel-Abbès en particulier avec Oran et Alger pour en faire «un sanctuaire» selon sa propre expression. Des raisons multiples et évidentes sont avancées au moment où est proclamé à midi en ce 19 mars 1962 le cessez-le-feu mettant fin, dit-on, à la guerre d'Algérie et qu'un accord a été conclu. Alger, Oran, Sidi Bel-Abbès, la colonie européenne y est aussi nombreuse que la population indigène. A Sidi Bel-Abbès, l'importance de la Légion étrangère et de son chef complice des généraux factieux, nous souligne notre source régulière, pouvant être décisive pour faire basculer la région contre les accords d'Evian et le pouvoir en place. En attendant, l'OAS y a trouvé des hommes et des moyens de guerre.

Aussi, les Belabbésiens durent-ils organiser tout seuls, sous l'égide des commissaires politiques du FLN sortis de leur clandestinité, leur propre survie. Votre serviteur, âgé de huit ans, se rappelle avoir rejoint avec ses parents le quartier village Abbou limitrophe à village Errih. Et autres quartiers de la Graba, Sidi Amar, Monplaisir où s'était cantonnée la population musulmane. Les rares Algériens de l'autre partie de la ville, Sidi Yassine, Faubourg Thiers, Calle de Sol, menacés ont rejoint les leurs en ville arabe où ils étaient tous logés. Il n'était pas rare de compter dix à quinze personnes par chambre. Dans la ville arabe assiégée se posaient moult problèmes. Approvisionnement en denrées alimentaires, soins médicaux, mais grâce à l'apport de la campagne contrôlée par l'ALN et des grossistes se ravivaient en dehors de Sidi Bel-Abbès en évitant les villages contrôlés par les ultras de l'OAS. A signaler les bombardements de la ville arabe à partir de la cité européenne du haut du monticule de Sidi Yassine notamment qui vont marquer les mois qui s'ensuivirent. Les morts étaient enterrés dans le deuxième cimetière musulman (Moulay Aek), côté est de la ville, afin d'éviter l'avenue Kléber (aujourd'hui Lieutenant Khalladi) menant au mausolée de Sidi Bel-Abbès et qui était contrôlée par l'OAS. Les Belabbésiens assiégés livraient le combat de survie pour faire aboutir la dernière grande bataille, à savoir la perspective du référendum fixé au 1er juillet 1962 et que l'OAS cherchait à saboter. Des centaines de familles n'avaient ni soutien ni ressources. Le FLN omniprésent dans la cité a alors activé ses «oeuvres sociales» animées par un comité actif.

Des groupes d'autodéfense ont été créés sur place, un hôpital de campagne a alors été installé avec les moyens du bord dans la medersa de la rue Palestro, tandis que des infirmeries de fortune ont été aménagées, trois endroits sont cités par notre source. Un hôpital ambulant offert par un pays européen, l'Allemagne probablement, acheminé de Tlemcen au prix de mille et une difficultés est venu renforcer ce dispositif sanitaire. Les assassinats devinrent quotidiens, tout Arabe rencontré était systématiquement abattu, se multiplient alors les scènes de lynchages et de massacres collectifs. Au quatrième étage du HLM bâtiment F3 à 60 mètres de la demeure de votre serviteur, six personnes de la famille Zaïdi ont été toutes passées à l'arme. Un bébé survivra, aujourd'hui enseignante à Sidi Brahim. Au Campo (Haï Boumlik), six autres personnes sont exterminées par balles et à l'arme blanche, leurs extraits de décès portent tous la même heure. Le nourrisson exterminé était né le 25 décembre 61 (six mois). A Belarbi, huit personnes sont tuées, 14 autres sont tuées non loin le même jour.

Cette recrudescence d'attentats totalisera 174 morts, où une véritable course contre la montre est engagée par les jusqu'au-boutistes de l'OAS. Les jours qui suivirent ont enregistré le plasticage et les actes de sabotage. Ces destructions sont si importantes qu'il est nécessaire de les regrouper à savoir: l'hôtel des finances, le palais de justice (incendié), le centre de la jeunesse et sports (dévasté). Le cinéma «Empire» au centre-ville, aujourd'hui salle Afrique, est incendié, plusieurs établissements scolaires tels l'école Eugène Etienne. Cette école n'existe plus, elle était située tout près du mausolée Sidi Yassine. Le collège de garçons a été mis à sec. La demeure de l'ancien maire communiste (Justrabo René), expulsé d'Algérie par arrêté préfectoral, a été plastiquée, la villa de feu docteur Hassani Aek, la résidence des Feraoun, les maisons Attar Belabbès et Abdelkader et la boulangerie Oumrane, la maison de Haj Kouhli, Bouchentouf Kaddour. La liste est longue et encore loin d'être exhaustive.

En parallèle aux destructions, les assassinats continuèrent. Mezouari, un intellectuel de la ville, est abattu au centre-ville. Attar Belabbès cité plus haut, tailleur de profession et connu par ses idées nationalistes, subira le même sort. Un autre intellectuel tombera, il s'agit de Moulshoul Benamar. Outre cela, «l'opération Fatma» décidée inopinément par l'OAS débutera par le premier meurtre au niveau de la rue Jean-Jacques Rousseau. A signaler que la même directive est suivie à Alger, signale Axel Nicole. La population civile belabbésienne restera remarquable puisqu'elle a contribué à mettre en échec le plan OAS au niveau régional à l'instar des Oranais, Algérois... où même des Français payèrent de leur vie, par conviction, persuadés que l'Algérie serait indépendante. Maître Pierre Popie (assassiné par l'OAS), maître Maurice Perrin et autres militants et déserteurs qui ont poussé à leur terme le refus de la guerre coloniale poursuivie par la horde de l'OAS en soutenant leurs «khaouas» d'Algérie. Tout un récit sur la résistance et la solidarité agissante des Belabbésiens en cette période est à citer pour conclure.