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Il est des silences qui sont lourds de sens et de contresens surtout. Car qui ne dit mot consent. Nous nous sommes tenus dans le silence, par devoir de réserve et surtout pour ne pas alimenter les polémiques stériles. Mais nous constatons que cela a été considéré comme chaise vide, voire « bien vacant » et les charognards s'y sont rabattus, et on nous a enterrés vivants. Que cela concerne des choses non essentielles ni vitales, cela peut être traité par mépris. Mais quand ces choses touchent des domaines comme la Santé ou l'Éducation, alors rien ne va plus et l'on se doit des explications. On ne peut évoquer la santé des années de l'Indépendance sans rendre hommage vibrant à ceux qui l'ont rendue possible, médecins, pharmaciens, dentistes et infirmiers morts en chahid dans les montagnes et les villes. Nous évoquerons in memoriam : Dr Aït Idir, Dr Benzerdjeb, Dr Amrane, Dr Fares, Dr Belhoucine, Dr Boudaoud, Matiben, Zémirli, Issad, frères Damardji, Bouderba, Chrif Zahar... Nous évoquerons aussi le Dr Mohamed Essghir Nekkache, Premier ministre de la Santé à l'Indépendance et qui, aujourd'hui comme hier, survit à 90 ans dans un appartement à Oran. Il était entouré de précieux collaborateurs : Dr Mokhtar Djoughri, Dr Mustapha Yadi, Dr Azi, Dr Annette Rogers, Dr Ahmed Benhamla à la rue Hassiba Benbouali. Le professeur HAMIDOU, ministre délégué de la Santé et des Affaires sociales du Rocher Noir, qui a fait la transition entre mars et juillet 1962. La Santé en Algérie a évolué en fonction du contexte politico-social du pays, les premières années de l'indépendance, les quelques médecins qui exerçaient à titre privé ont été nationalisés, astreints à des tâches nationales après avoir fermé leurs cabinets. Les hôpitaux d'Alger ont bénéficié de l'apport de cadres nationaux de l'étranger et du maquis : Dr Atsamena Si Hassan, Dr Amir Benaissa, les Prs Mentouri, Mansouri, Toumi, Martini, Chaulet, Taleb Mourad, Boudraa, El-Okbi, Khatib, Colonna, Illoul, Yaker, Ben Allague, Bendib, Chitour, Taleb Ahmed et Taleb Slimane aidés par une coopération française : Serror, Roche, Stoppa, Bonnafous, Le Bon, Marguairaz, Brehant, Ferrand, Guntz, Haeffner, Laurence, Phéline, Destaing, Le Tenneger... Le 19 juin 1965 a libéré les cabinets privés, et on a commencé à faire appel à la coopération soviétique et celle de l'Europe de l'Est après la guerre des six jours. Puis vinrent les années glorieuses de la socialisation des terres agricoles, l'industrie industrialisante, et la Médecine gratuite a suivi. Les hôpitaux publics fonctionnarisés, le cabinet privé livré aux impôts, les cliniques privées nationalisées. La formation médicale transformée pour former la Quantité au profit de la Qualité et une inflation médicale flottante au rythme de la devise nationale ! Deux possibilités sont offertes aux cadres supérieurs des années 70/80, soit sortir des hôpitaux et ouvrir des cabinets privés, ou rester et participer, du mieux que faire, pour éviter les dérapages. Pour l'Histoire, en 75/77, nos Maîtres se sont divisés sur l'attitude à prendre. Certains des plus hardis ont franchis le pas et n'ont pas accepté les contraintes et sont sortis s'installer en privé, mais la majorité, surtout les jeunes maîtres assistants hospitalo-universitaires, sont restés et ont formé les cadres de la santé actuelle. Il a fallu attendre les années 90/2000 pour que le mur de Berlin tombe, que l'Algérie passe sous les fourches caudines du FMI, pour que des mesures appropriées soient prises. Les cliniques privées autorisées se sont multipliées et ont eu une place de choix dans le système de santé actuel, tout en entrainant un certain nombre de contraintes et pas des moindres. Aujourd'hui : Le malade a le choix pour se soigner : a) dans le «privé » : dans des cabinets médicaux ou cliniques médico-chirurgicales ou : b) dans le secteur public : aux hôpitaux généraux qu'ils soient CHU, 13 en tout allant de paire avec des facultés de médecines ou secteurs sanitaires des Daïra... etc. Alors, vous me diriez c'est formidable ! Pourquoi se plaindre ? Puisque le principe de choix est garanti et chacun se soignera en fonction de ses besoins et de ses moyens. La libre entreprise et le marché sera déterminant. Ce paradigme est un peu trop simpliste voire même complètement biaisé, quand on se penche sur la réalité du terrain, on déchante totalement. Qu'en est-il de la santé actuelle ? «La santé est un Bien supérieur ». Les malades se soignent en fonction de leurs moyens financiers et des possibilités offertes par le marché du secteur de la Santé. En général, ceux qui ont des moyens ou se les donnent vont dans le secteur privé, ils constituent 30 % de la population, les autres, la majorité 60 % vers les hôpitaux publics et 10 % se soignent à l'étranger ce qui reste non négligeable. Les chiffres exacts peuvent nous être donnés par ceux qui détiennent la comptabilité nationale, mais il serait absurde de le faire ! Comment fonctionnent nos hôpitaux ? Ils sont sous la tutelle du ministère de la Santé (MSP), ils bénéficient d'un budget global qui leur est alloué, et sur le quel, on pourrait épiloguer longtemps vu les disparités existantes entre chacun, sans aucune transparence dans leurs objectifs et finalités. Le personnel médical, paramédical et administratif est, lui aussi, soumis au MSP sous le contrôle de la fonction publique, les organigrammes sont identiques, seul le statut de chaque hôpital diffère. Les malades sont hospitalisés après consultations et remplissent des formulaires. Leurs apports financiers sont des plus réduits voire inexistants (maladies chroniques...). L'apport des mutuelles et du ministère des Affaires sociales par la contractualisation n'a pas été encore mis en vigueur afin qu'on puisse apporter un jugement. L'Etat a fait de très gros efforts financiers dans les budgets qui ont été multipliés par 100. Soit 60 milliards de dinars de budget annuel sectoriel, soit 16,9 % du PIB pour la santé. Ces chiffres sont identiques à ceux de l'Europe ; l'Allemagne 10,6 %, l'Espagne 7,5 % la France 9,9 %, la Suède 8,4 % Etats-Unis 13,1 %. Chaque Algérien dépense en santé une moyenne de 20 000 DA par an, soit le triple de 2002. La Sécurité sociale paye un forfait hôpital de 38 milliards de DA, soit la moitié du budget sectoriel. Les médicaments se donnent la part du lion soit 64 milliards de DA remboursés, et la pente est ascendante, puisqu'elle va dépasser en importation le milliard de dollar cette année. Les engagements pris par le gouvernement dépassent l'entendement, de 2009 à 2025 près de 2.000 milliards de DA seront réservés à la santé, soit 133 M chaque année ! L'équivalent d'un milliard d'euro/an ! En 15 ans, l'Algérie construira deux fois son parc actuel, on passera alors de 1,7 lits/pour 1.000 habitants à 3,4 lits/pour 1.000 habitants. Aucun pays dans le monde n'a réalisé en un temps aussi court pareille Révolution. Mais cela apparaît-il dans les résultats ? Tous les indicateurs de santé sont dans le rouge, les mortalité et morbidité de la mère, de l'enfant et des vieillards. Seules les pathologies de greffe (rein foie, cornée, moelle...) ont le vent en poupe. Qu'on parle des maladies cardio-vasculaires, qui sont la première cause de mortalité, tous les jours des malades de moins de 50 ans font des morts subites par des infarctus myocardiques massifs, les services de cardiologie sont submergés, un Algérien sur cinq est une pharmacie ambulante ; une rose le matin au réveil. Une bleue l'après-midi et la blanche au souper. De la Cardiologie on termine en neurologie avec un AVC (accident vasculaire cérébral). Si on cite les cancers, il n'y a pas un organe qui reste indemne ; le sein, le colon, le poumon, la prostate, le rectum, le pancréas... etc. Et Tous à des stades incurables. Malgré toutes les avancées technologiques en matière de diagnostic (scanner, IRM...), les malades arrivent au stade de traitement palliatif ! Quel progrès avons-nous réalisé ? Celui de leur allonger la vie par une radio-chimiothérapie et des plus coûteuses ? Ne citons pas les maladies infectieuses, car la tuberculose est de retour malgré toutes les vaccinations, et les maladies honteuses de plus en plus sournoises. Les maladies de la modernité que sont les traumatismes par accidents de la voie publique sont en flèche ascendante, plus de 5.000 morts/an, alors qu'ailleurs, ils régressent. Peut-être que l'amélioration des routes et les facilités bancaires pour l'achat des voitures sont des paramètres à prendre en considération !? Nous n'oublions pas de rajouter les maladies des mains salles, les infections nosocomiales. Ces inconnues des hôpitaux et qui, selon les statistiques, dépassent les 20 %. Choses irresponsables mais qui ne font que refléter la triste réalité. Nos hôpitaux sont sales comme nos rues et les façades de nos maisons, les routes sont pleines d'immondices et de crevasses, il faut attendre les visites présidentielles pour qu'on se mette à nettoyer les parcours des cortèges officiels, le reste est du saupoudrage. Cette triste réalité n'est pas du ressort uniquement des responsables mais de toute la population, et à cet effet, seule la mobilisation par tous les moyens de tout le monde pourrait changer la triste réalité. Y a-t-il encore une possibilité de sursaut ? Si OUI, on peut alors engager des dizaines de milliards d'euros. En investissement sur les Hommes ils perdureront. Mais dans les briques : aucune chance, le plus petit Tsunami les emporteront. Les maladies et les malades se sont multipliés et ils coûtent très chers, les budgets des pharmacies, des hôpitaux et des plateaux techniques avalent des sommes faramineuses. Est-ce que les malades sont bien pris en charge ? Sont-ils contents de leur système de santé ? Ce sont des questions épineuses et fondamentales, car touchant au plus intime de chacun, ce n'est pas à un médecin d'y répondre, celui-ci est tenu de soulager ses patients voire de les guérir en fonction des moyens disponibles. Ce que nous pouvons essayer de dire, c'est de tirer les sonnettes d'alarme quand le système dérape et actuellement, c'est ce qui arrive avec des conséquences très graves. L'Algérie est un pays riche avec des gens pauvres. Oui nos partenaires sociaux : médecins, infirmiers, gestionnaires, agents de la fonction publique sont «des gens pauvres », ils peinent à subvenir à leurs besoins quotidiens. Le côtoiement de la maladie accentue leur détresse et les rendent plus malheureux. Qu'ont-ils comme moyens de recours ? Je vous laisse deviner la réponse. Faut-il recourir à une augmentation de salaires pour rééquilibrer la balance ? Oui pourquoi pas ? Comme leur confrères maghrébins. Mais si cela est nécessaire, ce n'est pas suffisant. Nous rentrerons dans une spirale inflationniste qui n'est pas de mise pour leur secteur. Il faut changer le système de santé voire le révolutionner en adoptant des mesures radicales. On a vu que le système de santé est tributaire du système politique, alors que faire ? Faut-il attendre que le système politique change ou prendre le taureau par les cornes et renverser la problématique ? Y a-t-il un bon système de santé qu'on peut imiter ? Dans le monde : les Systèmes de Santé sont remis en cause. Aux USA: Le nouveau président Obama peine à trouver des conseillers ou ministres de la Santé, c'est le seul secteur où l'on démissionne aux USA, c'est que les problèmes sont gravissimes joints aux problèmes économiques que traverse le monde, les pays occidentaux ; USA-Europe sont bancairement en faillite et les fonds souverains des pays émergeant leurs seuls garant d'argent frais. En France: Les scandales se succèdent dans les hôpitaux alors que la France est le pays qui a le meilleur système de santé, ils ne sont pas à l'abri du vent qui souffle. En Angleterre: C'est la même chose, pour se soigner, les délais d'hospitalisations sont très longs, les travaillistes ont fait bouger les choses qui avancent bien. En Algérie : une proposition de sortie de crise : Je crois que chaque pays se doit d'inventer son propre système en fonction de sa spécificité culturelle et civilisationnelle et de ses moyens financiers et humains. L'organisation d'une consultation en conclave entre tous les partenaires sociaux avec un langage de sincérité et d'honnêteté ; 2 organes possibles : a) Le Conseil économique et social «CNES » : il pourrait être l'assistant technique et impartial de ce conclave. Cette organisation est présidée par notre ancien ministre de la Santé, Mr Babes, ancien responsable des Affaires sociales doublé d'une approche canadienne. Il connaît bien les tenants et aboutissants. b) La CCHUN : instance consultative qui groupe tous les acteurs de santé ; MSP, MERES, Ces mesures, étudiées, discutées, pourraient ensuite être présentées à l'Assemblé nationale pour lecture et adoption. En cas d'échec quelles sont les conséquences que nous encourons ? Ce sera la descente aux enfers ; c'est la fuite des compétences d'un secteur public qui ne répond plus aux exigences minimales de ses partenaires. Le malade ne sera plus pris en charge avec les mêmes objectifs, et les plus gros mangeront les plus faibles, cela accentuera la fracture sociale et ouvrira la porte aux aventures dramatiques. Après la décennie rouge s'ouvrira la décennie blanche. Nous ne le souhaitons pas. Les générations à venir en tireront toutes les conséquences. INTERRELATION SANTÉ-FORMATION Le système de santé n'est-il pas malade de sa formation ? Il y a une part qui revient au personnel de santé, une part qui est due au patient qui tarde à consulter et qui, souvent, arrive trop tard pour une thérapeutique efficace ; est-il toujours responsable ? Non, car très souvent, il a consulté et les traitements symptomatiques déjà reçus n'améliorent pas la situation et c'est le cercle vicieux : Malade, Médecin, Maladie, Moyens financiers, et donc perte de temps... Cela représente une partie du problème ; celui de la technicité. Notre médecin a-t-il les compétences Actualisées pour traiter ce genre de maladie. 80 % de nos médecins ont eu un cursus très chaotique et auraient besoin d'être recyclés, se pose alors la problématique de la formation médicale ! Nous enseignons actuellement selon la reforme des années 70, cela fait 30 ans, c'est une génération ! La science évolue tous les cinq ans. Il faudrait que le médecin lise 25 journaux par semaine pour se mettre à jour, ce qui est impossible. Il serait souhaitable de se pencher sur cet aspect fondamental de la problématique, car il conditionne le succès de toute réforme. En conclusion Ainsi, comme on le constate, les problèmes sont nombreux et très intriqués et on ne peut se permettre de toucher à un étage sans mettre en péril tout le système, mais chaque système a son époque, il faut être suffisamment lucide et courageux pour prendre les bonnes décisions sans casser la baraque. Comme disait le Dallai Lama quand on l'interrogeait sur ce qui vous surprend le plus dans l'humanité ? Il répondit : «les hommes qui perdent la santé pour gagner l'argent et qui, après, dépensent cet argent pour récupérer la santé. A penser trop anxieusement au futur, ils oublient le présent, à tel point qu'ils finissent par ne plus vivre ni du présent ni du futur, ils vivent comme s'ils n'allaient jamais mourir et ils meurent comme s'ils n'avaient jamais vécu !». La santé est un bien trop précieux qui mérite toute notre attention, il y va de l'avenir de notre pays. «Elle est le socle sur lequel se bâtit la prospérité d'une nation». * Chef de service de chirurgie générale «A » - CHU Tlemcen |
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